Prise en charge déficiente d'enfants placés, manque de moyens financiers, conditions de travail difficiles... Lundi 21 novembre une cinquantaine de professionnels de la protection de l'enfance s'est réunie devant l'hôtel du département du Pas-de-Calais, à Arras, pour manifester son désarroi.
"Maltraitance institutionnelle", "catastrophe annoncée". Les mots sont durs et les accusations lourdes pour qualifier l'état de la protection de l'enfance dans le Pas-de-Calais. Ce lundi 21 novembre, à l'initiative du syndicat FAFPT CD62, une cinquantaine de professionnels de ce secteur s'est rassemblée devant l'hôtel du département, à Arras, pour lancer un cri d'alarme.
Ces derniers dénoncent l'état "catastrophique" de la prise en charge des enfants placés, causé par le "manque de moyens" accordés à l'ensemble des acteurs - travailleurs sociaux, médico-sociaux, assistants familiaux etc. "On a l'impression que tout le monde a la tête sous l'eau et que le Département nous appuie dessus", a lancé la secrétaire générale du syndicat, Sandrine Trépié. Les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) relevant du conseil départemental.
Un rassemblement qui fait écho à la mobilisation des professionnels dans le département du Nord, avec la publication d'une tribune, le 17 octobre, dressant un même constat "catastrophique" de la protection de l'enfance. "La situation est similaire dans le Pas-de-Calais", assure Sandrine Trépié.
Manque de place en famille d'accueil
Le département du Pas-de-Calais compte 7.000 enfants placés, selon les chiffres datés d'août 2022, communiqués par le syndicat. Concernant les modes d'hébergement, il y aurait 4.267 places en familles d'accueil et 2487 places au sein d'établissements et de foyers. Un nombre "insuffisant" selon les professionnels du métier. "Il nous faut 200 à 300 assistants familiaux en plus dans le département, assure Sandrine Trépié.
Face à cette pénurie de places d'hébergement, certaines familles d'accueil se retrouvent surchargées. "Alors qu'ils devraient en accueillir 3 au maximum, certains assistants familiaux se retrouvent avec 5,6 ou même 7 enfants chez eux". Marie-Pierre Meurisse, assistante familiale depuis 2013, illustre l'aberration de cette situation : "on nous appelle parfois à 22 heures le soir pour savoir si on a un lit ou un canapé de disponible."
En France, le nombre de mineurs suivis par l'aide sociale à l'enfance est en constante augmentation, passant de 265.255 en 2007 à 299.801 en 2016, selon l'observatoire national de la protection de l'enfance. "C'est en augmentation chez nous également", atteste Laurence Cordier, référente de l'ASE à Arras depuis 26 ans.
J'ai une fille qui a fait 20 lieux d'accueil en trois mois.
Gwendolyne Semet, référente ASE, à Arras Sud.
Victime de l'insuffisance d'hébergements, les enfants placés se retrouvent, eux, soumis à de nombreux changements de foyers ou de familles d'accueil, parfois en dernière minute. "Un certain nombre d'enfants n'ont pas de lieux d'accueil pérennes", confirme Laurence Cordier. Certaines situations paraissent ubuesques. "J'ai une fille qui a fait 20 lieux d'accueil en trois mois", confie Gwendolyne Semet, référente ASE, à Arras Sud, depuis 8 mois.
Les manifestants demandent également davantage d'embauches de travailleurs sociaux et médico-sociaux au sein de l'ASE. "Il faudrait 2,3 voire 5 référents ASE en plus par site (il y en a 25 dans le Pas-de-Calais NDLR)", chiffre Sandrine Trépié du syndicat FAFPT CD62. Ces référents, des éducateurs chargés d'accompagner l'enfant dans ses démarches, se disent en sous-effectif. Conséquence ? "L'urgence est devenue le quotidien", selon Laurence Cordier.
Des conséquences "tragiques" pour les enfants
Manque de repères affectifs, instabilité mentale, décrochage scolaire... L'insuffisance de moyens dénoncés a des conséquences "tragiques" sur les enfants, assurent les professionnels. "Ils ne peuvent pas se stabiliser, se projeter dans le lendemain et perdent confiance dans la société", déplore Marie Garbe, référente ASE, à Arras Sud, depuis 4 ans. Et d'ajouter : "on a déjà vu une gamine faire une tentative de suicide dans nos locaux."
Un enfant mal pris en charge psychologiquement est un enfant qui souffre et qui fait souffrir sa famille d'accueil.
Marie-Pierre Meurisse, assistante familiale dans le Pas-de-Calais
Marie-Pierre Meurisse, famille d'accueil avec son conjoint, constate la dégradation de la prise en charge sur le plan médical. "On a parfois des enfants qui ont vécu des choses douloureuses, qui ont été maltraités, et qui doivent attendre un an avant de voir un psychologue, dit-elle. Or, un enfant mal pris en charge psychologiquement est un enfant qui souffre et qui fait souffrir sa famille d'accueil."
Des métiers peu reconnus
Face à ces défaillances, les acteurs de la chaîne de la protection de l'enfance voient leur métier se déprécier. "On ne peut plus répondre à nos missions, on n'a plus le temps de construire les projets des enfants, regrette Laurence Cordier, référente ASE. Et ces situations ne nous permettent plus de travailler dans le plan légal."
Plusieurs assistantes familiales regrettent un manque de "reconnaissance", qui se traduit jusque dans la rémunération. "Quand on voit que pour la deuxième et troisième place d'accueil on est payé 70 heures de SMIC (contre 120 heures pour le premier enfant NDLR) pour prendre en charge un enfant 31 jours dans le mois, c'est très peu", lâche Marie-Pierre Meurisse. Mickaël Renaut, assistant familial depuis 2016, est lui catégorique : "si je pouvais trouver un autre travail, je le ferai."
Le Département pris pour cible
Cible des critiques et des revendications des manifestants, le Département du Pas-de-Calais ne souhaite pas s'exprimer dans un contexte d'élections syndicales à venir (du 1er au 8 décembre). En décembre 2021, après la gronde nationale du secteur de l'aide à l'enfance, le président du Département Jean-Claude Leroy (PS) avait annoncé la création de 25 postes d'urgence en CDD, pérennisés depuis. En 2022, le budget alloué par le conseil départemental à la protection de l'enfance représente 285 millions d'euros.
Le syndicat FAFPT CD62, actif depuis près d'un an, a déjà prévu un nouveau rassemblement et une distribution de tracts le 12 décembre prochain lors de la réunion de commission permanente du conseil départemental du Pas-de-Calais.