Face à la menace imminente du Brexit et d'une éventuelle privation de l'accès aux eaux britanniques, la tension grimpe entre pêcheurs français et britanniques, et pourrait gagner les Français entre eux.
"Il faut vraiment qu'on alerte les services de l'Etat sur ce qui se passe en mer", s'inquiète Sophie Leroy, à la tête de l'Armement Cherbourgeois, une entreprise qui emploie une vingtaine de marins et une trentaine de personnes sur trois bateaux. Lors d'une table ronde en clôture des assises de la pêche à Granville (Manche), elle a décrit "depuis mi-août une tension énorme entre Britanniques et Français" et "un renforcement des contrôles quasi-quotidien des autorités britanniques".
"Samedi dernier, à 21 milles des côtes anglaises", lors d'un contrôle décrit comme interminable, "on s'est retrouvé avec 15 bateaux (anglais) autour des nôtres et ils disaient: "on va faire pareil que ce que les Français nous ont fait l'année dernière"", pendant la guerre de la coquille Saint-Jacques, a raconté Mme Leroy.
"Guerre des nerfs"
Si les marins n'en sont pas à venir aux mains, elle évoque une "guerre des nerfs" sur les réseaux sociaux : "J'ai eu une photo d'un de mes bateaux publiée sur Facebook avec une cible dessus." Mais les Anglais ne sont pas l'unique source d'inquiétude de Mme Leroy. Comme d'autres armements, elle craint que la fermeture des eaux anglaises, en cas de Brexit dur sans accord entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, ne pousse les marins-pêcheurs tricolores à se disputer la ressource halieutique entre eux.
Ce spectre de luttes intestines, par exemple entre pêcheurs bretons et normands, a hanté les assises dès leur ouverture, jeudi en début d'après-midi. Lors de sa venue, le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume n'a cessé d'appeler à la "solidarité" entre pays de l'UE susceptibles d'être affectés, mais également entre pêcheurs français.
"Un Brexit sans accord, c'est un enjeu considérable pour nous", a rappelé Philippe de Lambert des Granges, chargé du dossier à la direction des Pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA). "C'est 20% au niveau de l'activité métropolitaine en valeur, et c'est 25% en volumes."
D'autres pays européens concernés
Des chiffres qui expliquent la nervosité des pêcheurs français, d'autant qu'ils masquent d'énormes disparités. Les eaux britanniques représentent ainsi 70% des captures réalisées par l'entreprise montée par Mme Leroy avec son mari. "De Boulogne(sur-mer) à la Bretagne, on va tous être impacté, donc on va tous être sur les dents, donc forcément il va y avoir des conflits entre pêcheurs, entre pêche côtière, entre fileyeurs, entre chalutiers hauturiers qui vont venir plus vers la côte", a-t-elle estimé.
"La difficulté, c'est de quantifier ces reports" de pêche dans les eaux britanniques, a relevé pour sa part Hubert Carré, directeur général du comité national des pêches. "La décision de report appartient à chaque chef d'entreprise", qui peut également choisir un arrêt temporaire de sa flotte, indemnisé par des aides européennes.
Mais de nombreux armateurs rechignent à avoir recours à ce dispositif, de crainte de perdre des marchés. "On est un certain nombre d'acteurs en région Pays de la Loire qui nous inquiétons de conflits potentiels de reports de pêche en Atlantique, et plus précisément dans le golfe de Gascogne", a indiqué une élue du conseil régional, interpellant les participants à la table ronde sur des conflits entre pêcheurs français ou entre ceux-ci et leurs voisins espagnols.
Car la France ne serait pas la seule à pâtir de la fin de l'accès aux eaux anglaises. Huit Etats membres de l'UE sont concernés, a rappelé Philippe de Lambert des Granges. "Nos collègues belges, c'est une dépendance à 45% en volume et 50% en valeur." "On n'existe pas au niveau communautaire si on est isolé", a-t-il déclaré, appelant à "absolument garder" la "cohésion au niveau des huit Etats membres impactés", et rappelant "la détermination (de l'Etat français), en cas de Brexit sans accord, de maintenir ou rétablir dans les meilleurs délais les accès aux eaux britanniques".
Dans les Hauts-de-France, 75% des poissons prélevés par les pêcheries le sont dans les eaux britanniques.