"C’est tout simplement honteux" : des pêcheurs révoltés face à la décision européenne de ne pas réguler une technique de pêche destructrice

Dans la Manche, 54 navires pratiqueraient la technique de la senne démersale, dont une quarantaine appartiendrait à des armateurs hollandais.

"C’est une catastrophe, c’est tout simplement honteux". Lorsque Laurent Merlin décroche son téléphone, ses premiers mots sont incisifs. "La France qui est contre ses pêcheurs, c’est du jamais vu"

Pêcheur à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) depuis 26 ans, il se dit « outré » de la décision de l’Union Européenne de renoncer à l’interdiction de la senne démersale, une technique de pêche qu’il juge "destructrice". 

La senne démersale, qu’est-ce que c’est ?

Apparentée au chalutage de fond, cette technique – aussi appelée senne danoise – fait l’objet de vives critiques depuis plusieurs années. Apparue dans les eaux de la Manche et de la Mer du Nord au début des années 2010, elle consiste à déployer des filets sur plusieurs kilomètres carrés qui émettent des vibrations et raclent le fond des mers pour encercler les poissons. Elle est très prisée des industriels néerlandais.  

"En une seule journée, 5 super pêcheurs hollandais sont capables grâce à leur senne d’encercler une ville comme Paris", nous expliquait il y a quelques mois Alexandre Fournier, jeune patron de pêche à la tête du Notre Dame de Boulogne. Selon les pêcheurs français, cette technique a fait chuter le nombre de poissons présents dans les eaux. Illustration avec Laurent Merlin. "Avant, on ne faisait que de la sole toute l’année, entre 30 et 40 tonnes. Là, on arrive à peine à faire 10 tonnes sur l’année. Il n’y a plus de carrelet, plus de limande… Des poissons ont totalement disparu. À force de saccager les fonds, les poissons s’en vont ou disparaissent. Et nous, pêcheurs boulonnais, nous mourons"

Déjà interdite dans la bande des douze miles en Aquitaine, en Bretagne et sur une partie des côtes normandes, la senne démersale est autorisée sur le littoral des Hauts-de-France.

Selon un sondage réalisé par le comité régional en avril dernier, 57 des 61 pêcheurs votants étaient favorables à un moratoire dans toutes les eaux de l’UE. 

Vote en faveur de l’interdiction… et volte-face

Il y a d’abord eu une manifestation au port de Boulogne-sur-Mer, rassemblant pêcheurs, associatifs et élus. Puis un happening organisé main dans la main par des pêcheurs anglais et français en pleine mer du Nord. Sur la toile, une pétition a été lancée (elle est aujourd’hui signée par plus de 58 000 personnes). 

Le 12 juillet, un amendement pour interdire la senne démersale porté par l’eurodéputée belge Carole Roose (Verts-ALE) a été approuvé en commission pêche. Mi-septembre, le président de la région des Hauts-de-France a publiquement interpellé le secrétaire d’État à la Mer pour interdire cette "technique de pêche dévastatrice". Le lendemain, 120 parlementaires de tout bord ont co-signé une tribune dans le Monde exhortant "le gouvernement français (…) d’user de son pouvoir pour interdire la senne démersale" lors des négociations prévues à l’échelle européenne.  

Jeudi 29 septembre dernier, tous les regards étaient alors tournés vers Bruxelles. Dans le cadre d’un trilogue entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen, l’amendement approuvé deux mois plus tôt en commission pêche devait être validé. Mais les représentants des trois institutions ont finalement renoncé à interdire cette technique controversée.

Cette technique, c’est un véritable pillage organisé et légal. À croire qu’il y a d’autres intérêts plus importants que la pêche ?

Olivier Leprêtre, président du comité régional des pêches dans les Hauts-de-France

"On savait qu’il y avait ce fameux dernier vote mais je pensais que ça allait le faire", explique Laurent Merlin, désabusé. Même son de cloche au comité régional des pêches des Hauts-de-France. "On croyait que ça allait passer parce que c’est une demande des pêcheurs mais le ministre n’est pas allé dans le sens qu’on voulait, déplore son président, Olivier Leprêtre. Cette technique, c’est un véritable pillage organisé et légal. À croire qu’il y a d’autres intérêts plus importants que la pêche ?" 

Un mensonge d’État ? 

Comment alors justifier cette décision ? Nous avons posé la question à Claire Nouvian, présidente de l’association Bloom à l’origine de l’amendement déposé au parlement européen par la députée écologiste Caroline Roose en juillet dernier. "Je pense que l’État français veut tuer la pêche artisanale", avance-t-elle.

Une version contredite par le président de la commission pêche au parlement européen, le député du groupe Renaissance Pierre Karleskind. "L’amendement qui était proposé aurait permis à la France d’interdire spécifiquement aux navires belges et hollandais l’utilisation de la senne démersale dans ses eaux, a-t-il déclaré à nos confrères de France 2. Donc l’ensemble des autres pays européens a dit : « en fait, c’est discriminatoire, nous n’en voulons pas »". 

Faux, répond Claire Nouvian. "Pierre Karleskind a essayé de dézinguer notre amendement et a demandé une analyse de celui-ci. Les services juridiques du parlement ont bien validé notre amendement disant qu’il était conforme". Quels arguments alors pour le rejeter ? "Comme la France ne peut pas dire qu’elle défend des industriels répréhensibles par rapport à ses propres pêcheurs, alors la France a menti et continue en disant que l’amendement déposé n’était pas adapté, avance la présidente de l’ONG Bloom. C’est faux". Des propos qu’elle a également tenu lors d’une réunion "surréaliste" mardi 3 octobre avec Hervé Berville, secrétaire d’État chargé de la Mer.

L’ONG est en train d’étudier les recours possibles pour ne pas en rester là. "Il va nous falloir des réponses", abonde le président du comité régional de pêche dans les Hauts-de-France. Et vite. "Si on attend 10 ans de plus pour légiférer, il n’y aura plus de pêcheurs artisanaux à Boulogne-sur-Mer", résume Olivier Leprêtre. 

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