Pour le moment, aucun cas de Covid-19 avéré à l'EHPAD des Mouettes à Outreau. Mais c'est une directrice sous pression qui nous parle aujourd'hui. Florence Demède est en charge de l'établissement depuis 22 ans. Et elle n'a jamais connu une situation aussi difficile à gérer.
"Les filles sont solidaires. Celles qui sont planifiées le matin reviennent le soir aider les collègues. Au sein de l'équipe c'est formidable, n'empêche qu'il y a cette charge psychologique. On désinfecte à tour de bras, on prend des milliards de précautions mais c'est le stress pour tout le monde. On n'a jamais connu ce sentiment de dangerosité intense." Florence Demède est inquiète. Inquiète pour ses 59 résidents. Inquiète pour sa cinquantaine de salariés. "Parfois j'en pleurerais. On n'a pas les moyens qu'il faut."
Les résidents confinés dans leur chambre
La veille, une des résidentes a dû être transportée à l'hôpital. Ses symptômes laissent à penser qu'il ne s'agit pas du virus mais dans le doute, tous les résident sont depuis confinés, chacun dans leur chambre. Il faut trois jours pour connaître les résultats du test. "On a la chance d'avoir de grandes fenêtres."
Autre inquiétude du moment : l'équipe commence à manquer de gants. Les fournisseurs habituels sont en rupture. Pas de gants médicaux, donc, les seuls disponibles sont des gants d'entretien. Quant aux masques : "On se rationne, c'est pas normal". L'Agence régionale de santé leur en livre deux cent par semaine. Deux cent pour une cinquantaine de salariés. Des masques sensés durer quatre heures mais que le personnel porte jusqu'à la fin du service, c'est-à-dire environ sept heures. "Et puis on n'ose pas les jeter, on se dit qu'on va les laisser reposer pendant douze heures pour que le virus s'en aille..."
La semaine dernière, Florence Demède s'est vu proposer 5000 masques par téléphone, à un prix défiant toute concurrence "Je me suis dit que ce n'était pas possible, que c'était de la marchandise "tombée du camion"". Par peur d'une escroquerie, la directrice a dit non. Et c'est la solidarité qui a permis de parer au plus pressé : la mère d'une salariée en a confectionné en tissu, assez pour équiper chaque aide-soignante de deux masques lavables.
"Personne ne nous appelle"
Mais le plus difficile, c'est le manque d'écoute des interlocuteurs habituels. "On reçoit des tonnes de fiches par mail, des instructions, les procédures. Mais à part notre conseil d'administration, personne ne nous appelle", explique celle qui est aussi Présidente de la Fédération des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (FNADEPA). Un sentiment partagé selon elle par d'autres directeurs d'EHPAD. "On se sent totalement abandonnés."
Et puis il faut pallier les absences du personnel. Avec parfois certaines aberrations : les agents qui font l'entretien des chambres ne bénéficient pas du système de garde d'enfants mis en place au niveau national pour le personnel soignant. Résultat : un tiers des effectifs manque à l'appel à l'EHPAD des Mouettes.
Heureusement, il y a quelques petits bonheurs. Ce message de remerciement d'une famille, reçu le matin-même. La solidarité du personnel. Et les moment de partage entre les résidents et leurs proches grâce à internet. De quoi faire oublier un instant la liste des soucis qui n'en finit pas de s'allonger. Avec un sinistre exemple ces derniers jours : plusieurs véhicules de soignants ont été fracturés dans la région afin de dérober du matériel de protection. Florence Demède a dû prendre la décision de fermer le portail d'accès à l'EHPAD. Le confinement jusqu'au bout.