Calais : un aumônier du Secours Catholique et deux militants en grève de la faim contre le sort réservé aux migrants

Trois Calaisiens ont entamé, ce 11 octobre, une grève de la faim pour protester contre le sort réservé aux migrants installés sur le littoral du Pas-de-Calais. Anaïs Vogel, Ludovic Holbein et Philippe Demeestère nous expliquent leurs raisons.

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Ils s'appellent Anaïs Vogel, Ludovic Holbein, Philippe Demeestère. Mais derrière ces trois noms, ce sont des centaines de militants, bénévoles, unis par une même cause : celle des exilés des rivages de la mer du Nord. A Grande-Synthe, à Calais, l'organisation Human Right Watch dénonce dans un rapport paru le 7 octobre une "humiliation et un harcèlement quotidiens" organisés par l'Etat envers les réfugiés installés sur place.

Le 11 octobre, Anaïs, Ludovic et Philippe ont entamé une grève de la faim, dans l'église Saint-Pierre de Calais, leur lieu de vie pour toute la durée de leur action. Ils y seront suivis quotidiennement par une équipe médicale. "Je suis un peu gêné d'être là à ne rien faire pendant que les copines et les copains sont en train de courir à gauche et à droite pour répondre aux besoins des exilés", confie Philippe Demeestère. A 72 ans, ce religieux jésuite est aumônier du Secours Catholique pour le département, mais travaille principalement auprès des exilés de Calais. 

"Nous, Français, on fait corps avec les exilés"

Le père Demeestère n'a pas de mots assez forts pour décrire le spectacle auquel il assiste quotidiennement. "Sur fond de campagne pré-électorale, il y a un durcissement des politiques menées à l'encontre des exilés. On dépasse l'admissible, l'intolérable. Et on est au sommet de la stupidité ! Parce que pendant que Mr Darmanin va sur le rivage du Pas-de-Calais pour dire qu'on a mis tous les moyens, il y a 1500 personnes qui passent de l'autre côté ! Les politiques savent bien qu'il est impossible de fermer les frontières, mais le dire rapporte des électeurs. Ici, il s'agit de retrouver de la vérité : avec des gens qui parlent en vérités, on peut toujours se comprendre. "

"Je ne peins pas tout en blanc : le slogan "no borders" n'a aucun sens, estime Philippe Demeestère. Vous avez une porte, j'ai une porte aussi, on l'ouvre, on la ferme, mais c'est bien la question de l'usage des frontières qui est en jeu. Dire que les exilés viennent prioritairement en France ou en Grande-Bretagne, ce n'est pas vrai. La majorité restent dans les pays avoisinants, on vend du fantasme."

En effet, selon les chiffres recueillis par Amnesty International, 84% des réfugiés sont accueillis dans des pays en développement. La Jordanie, le Liban, ou encore le Pakistan et l'Ouganda sont ainsi les Etats qui ont accueilli le plus de réfugiés, selon des données collectées en 2018. 

Pour le religieux, loin de verser dans l'idéalisme, cette grève de la faim reflète la réalité de la vie dans les camps du littoral. "La réalité des corps, ici à Calais, c'est premier. Les exilés n'ont que leur corps, et c'est à ces corps que les pratiques policières et administratives s'en prennent. Nous, Français, on manifeste ici qu'on fait corps avec les exilés. Ce sont des gens comme nous. Et qu'est-ce qu'on fait avec ces gens qui sont comme nous ? On les fout dehors, ou on essaie des solutions pour avancer ?" interpelle Philippe Demeestère.

"Si ça doit devenir risqué, ce sera de la faute de l'Etat"

Avec Anaïs Vogel et son compagnon, Ludovic Holbein, ils ont pris leur décision au lendemain de la mort de Yasser, un jeune exilé mortellement écrasé par un camion. La police avait tout de même procédé à la quasi-quotidenne évacuation du camp où vivaient ses proches. "On s'est sentis démunis. On voulait faire plus que les lettres, les pétitions, les manifestations, témoigne Ludovic Holbein, visiblement ému. Il y a eu une escalade de violence ces dernières semaines, physique et psychologique. On fait un démantèlement alors qu'un jeune est décédé dans les minutes qui précèdent, on empêche les distributions de nourriture. On ne demande rien d'extraordinaire : un peu de considération, quelque chose d'humain, plaide le militant de 38 ans. Et si on doit en passer par là pour être écoutés, passons-en par là."

Anaïs Vogel abonde : "Je suis née en France, et je refuse que le pays dans lequel je suis née traite des êtres humains comme ça. Face à la radicalisation des méthodes de l'Etat, la réponse qu'on a trouvé, c'est une action radicale, puisqu'aucun dialogue n'est possible."

Les revendications portées par les trois grévistes sont claires. Une suspension des expulsions et démantèlements et l'arrêt de la confiscation des tentes et effets personnels des migrants, durant toute la trêve hivernale. Ils réclament aussi l'ouverture d'un dialogue avec l'Etat sur la mise en place de points de distribution des produits de première nécessité. Des mesures seulement temporaires, mais qui pourront, peut-être, permettre de parer au plus pressé. 

"Nos demandes étaient beaucoup plus fortes au départ. Mais on a choisi de demander des choses auxquelles on sait que l'Etat peut répondre. On demande finalement le respect de la loi, puisqu'on n'est pas censé pouvoir expulser des personnes pendant la trêve hivernale, rappelle la militante. C'est l'Etat qui décidera de la durée de cette grève de la faim. Si ça doit être long, si ça doit devenir risqué, ce sera de la faute de l'Etat."

"Il regrette la méthode employée" : le préfet du Pas-de-Calais répond

Contacté, le ministère de l'Intérieur a renvoyé France 3 vers la préfecture du Pas-de-Calais. "Le préfet a bien pris connaissance de la grève de la faim entamée par trois militants à Calais. Il regrette la méthode employée, répondent les services de la préfecture dans un mail de réponse. Il rappelle qu'un dispositif humanitaire de proximité, unique en France, est mis en œuvre à Calais (mise à l'abri, accès aux soins, distributions de repas, accès à l’eau et aux douches). Ce dispositif représente près de 20 millions d'euros par an, financés exclusivement par l’État."

Les services préfectoraux ne s'expriment aucunement sur les accusations de violence physique et psychologique portées par les trois grévistes, mais détaille les différents volets de ce "dispositif humanitaire de proximité"
Concernant l'accès aux produits de première nécessité, la préfecture indique : "L’opérateur La Vie Active, mandaté et financé par l’État, effectue des maraudes "alimentaires", plusieurs fois par jour, permettant une distribution de repas mobile afin d'aller à la rencontre des migrants à proximité des lieux de vie recensés.
Durant le mois de septembre 2021, 65 693 repas ont été distribués dans ce cadre, soit une moyenne de 2 190 repas par jour."

En allant au bout du calcul, cela impliquerait la distribution de 3 repas par jour pour 730 personnes. La préfecture elle-même estimait en septembre dernier qu'au moins 900 exilés étaient présents aux abords de la seule ville de Calais, quand les associations évoquent un chiffre autour de 1500 personnes. 

Sur le sujet de l'accès à l'eau, les services de l'Etat communiquent sur la présence de 38 robinets dans trois endroits de la ville, ainsi que 28 douches, accessibles par navette uniquement 5 jours par semaine, et sur l'installation de 48 WC. Là encore, les dispositifs ne semble pas pouvoir assurer les besoins vitaux des réfugiés installés sur le littoral. Les associations dénoncent régulièrement le blocage des accès vers des cuves à eau potable, qui auraient la potentatialité de fonctionner comme complément de l'action de l'Etat. 

Enfin, assure la préfecture, "le dialogue avec les associations n'a jamais été rompu. Des réunions sont périodiquement organisées, avec les associations, à la sous-préfecture de Calais. Une nouvelle rencontre aura lieu prochainement."

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