Depuis des dizaines d'années, il n'avait de cesse d'aider les migrants à Calais. En réunion et surtout sur le terrain, via l'association Salam, dont il était le président. Jean-Claude Lenoir, qui distribuait déjà des repas avant même la création du camp de Sangatte en 1999, est décédé jeudi 11 juillet dans un accident. Il allait avoir 73 ans en août.
À Calais, ce vendredi 12 juillet 2024, c'est la sidération. Alors que la préfecture maritime annonçait la mort de quatre migrants dans la Manche, on apprenait également le décès de
Le drame a eu lieu jeudi 11 juillet en fin de journée. Un fourgon de l’association d’aide aux migrants Salam a fait une sortie de route quai de l'Escaut et chuté dans le canal de Calais. Au volant, Jean-Claude Lenoir. Les secours n'ont pas réussi à le réanimer.
D'après son fils, Vincent Lenoir, très ému et sous le choc, "il avait subi une très grosse opération en chirurgie cardiaque il y a trois ans. Depuis, il était relativement affaibli, même si cela ne se voyait pas, parce qu'il était très dynamique."
Il était affaibli par une opération. Il semblerait qu'il s'agisse d'une attaque cardiaque."
Vincent LenoirFils de Jean-Claude Lenoir
Pour lui, l'hypothèse du malaise au volant est la plus plausible. "Ça faisait deux jours qu'il disait qu'il était fatigué. Il semblerait qu'il s'agisse d'une attaque cardiaque." Et d'ajouter, effondré : "Il a marqué tous ceux qu'ils rencontraient. Toujours très investi dans le monde associatif, il ne comptait pas son temps pour les autres."
C'est Natacha Bouchart, maire de Calais, qui a reconnu le corps. Sur Facebook, elle a tenu à "rendre hommage à Jean-Claude Lenoir, décédé dans les conditions violentes. Le Calaisis perd un humaniste qui a combattu toute sa vie contre le statut d’injustice des populations migrantes auxquelles certains présentent l’Angleterre comme un Eldorado."
"C’était un humaniste à la parole forte, poursuit-elle, et aux actes concrets. Il avait largement contribué à la création du conseil des migrants, initié à mon élection en 2008, et amélioré les conditions d’accueil. Ensemble, nous avons notamment organisé un lieu pour la distribution des repas et le plan grand froid."
Jean-Claude Lenoir avait l'habitude de travailler en collaboration avec les institutions. Ses mots d'ordre : ouverture et discussion. Homme de terrain, investi depuis plus de 20 ans, il distribuait déjà des repas en tant que bénévole bien avant l'ouverture du centre de Sangatte en 1999. Il n'avait de cesse de se battre pour améliorer les conditions d'accueil des exilés de Calais, avec l'association Salam, dont il est devenu le président.
"Il s'est mobilisé parmi les premiers, dès les années 90, raconte Claire Millot, vice-présidente de Salam. Il a d'abord fait partie du mouvement citoyen qui s'est investi pour l'aide aux migrants. Il était très modeste, il ne racontait jamais ce qu'il faisait."
Dès les années 90, il se baladait dans les dunes avec des boîtes de sardines cachées dans son blouson pour les distribuer.
Claire MillotVice-présidente de l'association Salam
"Moi, je vais vous le dire. À une époque où il n'y avait pas d'associations, où la question migratoire n'était même pas un thème de société, il se baladait dans les dunes avec Jean-Pierre Leclerc [NDLR le premier président de Salam] et Christian Hogard, avec des boîtes de sardines dans son blouson pour les distribuer à ceux qui en avaient besoin."
"C'est lui qui a ouvert le camp de Sangatte, poursuit-elle, avant même que la Croix-Rouge en soit responsable. Pendant douze ans, il a été là, tous les jours de l'année, sept jours sur sept, sur le terrain. Il gérait la file et organisait les distributions. Il n'a jamais manqué à l'appel."
"On pouvait compter sur lui, il était d'une générosité incroyable, confie-t-elle encore, bouleversée. Combien de gens a-t-il aidés, pour leurs papiers, pour les faire sortir du camp, pour leur trouver un travail ? Combien aujourd'hui sont intégrés et ont une vie de famille grâce à lui ?"
Visionnaire sur les questions de la crise migratoire, Jean-Claude Lenoir affirmait en 2005 au micro de France 3 Nord - Pas de Calais, lors d'une distribution alimentaire : "Lorsque j'étais jeune, j'habitais Calais et il y avait des Polonais qui venaient, des Jamaïcains, des Pakistanais, pour aller en Angleterre. 30 millions de passagers transitent à Calais. C'est évident qu'avec la misère du monde, les migrants, les sans-papiers... Dans un port comme Calais, on est partis pour des dizaines d'années."
En 2007, cinq ans après la fermeture du centre de Sangatte, il s'indignait et continuait à réclamer une aide du gouvernement. "Il nous semble impossible que 5 ans après la fermeture de Sangatte, on continue à les voir comme ça, sans toilettes, sans hygiène. Aujourd'hui, il y a énormément d'ados de 14-15 ans qui sont dehors. Toute la nuit dehors, depuis des mois. Il faut que ça change."
Parce que rien n'a changé, il n'a jamais lâché. Pendant plusieurs dizaines d'années, il a continué son combat, quitte à se retrouver plusieurs fois sur les bancs des tribunaux, notamment pour avoir hébergé des migrants. En 2004, il avait été jugé et condamné à Boulogne-sur-Mer pour "soutien au séjour de personnes en situation irrégulière", mais dispensé de peine. En 2008, il avait été placé en garde à vue pour outrage à CRS et relaxé.
Cet enseignant, grand-père de deux petits-enfants, était aussi un homme de la mer engagé, président du Yacht-club du Calaisis et du comité départemental de voile. Depuis l'annonce de son décès, les hommages se multiplient, notamment sous le post publié par le Yacht-club.
Les internautes sont unanimes. Tristes, ils parlent tous d'un homme dévoué, engagé, avec des convictions, passionné, bienveillant et que l'on "croyait éternel". Pour Claire Millot, "ça laisse un grand vide. Mais on va continuer le combat. Coûte que coûte. C'est ce qu'il aurait voulu."
L'association Salam devrait rendre un hommage public à son président dans les prochains jours.