Traversées de la Manche : la campagne Facebook acharnée du gouvernement britannique pour dissuader les exilés

Depuis l'été, le Home Office a sponsorisé des dizaines de publications en Persan, Kurde ou albanais, dans l'espoir de décourager les exilés du littoral de tenter la traversée. Une campagne publicitaire coûteuse, pour un résultat peu probant.

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Sur des dizaines et des dizaines de publications, des visuels de gilets de sauvetage abandonnés en mer, de naufragés en difficulté dans un canot pneumatique ou encore de caméras entourés de grillage. Le Home Office - le ministère de l'Intérieur britannique - est engagé dans une campagne publicitaire de grande envergure sur ses comptes Facebook et Instagram. Le seul objectif de cette campagne : décourager les centaines d'exilés qui tentent chaque jour la traversée de la Manche.

En 2021, déjà, le Home Office avait lancée une campagne similaire, quelques messages à peine, tous rédigés en anglais. Mais, depuis juin 2022, ces publicités représentent 100% des publications sponsorisées par le ministère. Le rythme de publications s'est accru, la longévité des posts également, puisque des publicités lancées en juillet sont encore actives plus de deux mois plus tard. Et surtout, elles sont rédigées en Persan, en Kurde, en Albanais ou en Vietnamien, avec l'espoir de s'adresser directement aux réfugiés. 

"Tout le monde a Facebook aujourd'hui, ces publications ont une chance d'être vues. Ce sont des langues parlées dans les campements, mais nous avons aussi beaucoup de familles Erythréennes, soudanaises... S'ils veulent être efficaces, il leur manque encore quelques langues, analyse Jean-Claude Lenoir, président de l'association Salam. Mais je pense que ce sont des messages multidirectionnels : pour ceux qui veulent partir, mais aussi pour faire peur aux familles qui sont déjà sur place, au Royaume-Uni. L'Angleterre est très communautaire, et les exilés qui passent ont toujours des liens d'accueil qu'ils n'ont pas ici."

"Vous vous ferez prendre" : de la prévention à la menace

Les messages publiés par le Home Office, eux, oscillent entre la prévention et la menace. "Les passeurs essaieront de vous donner de faux conseils sur les visas et de faux documents en échange d'argent. Ne leur faites pas confiance - vous vous ferez prendre" peut-on lire sur un message rédigé en Kurde. "De nombreux enfants, hommes et femmes sont morts en essayant de se rendre en Grande-Bretagne par bateau. Ne mettez pas la vie de vos proches en danger" avertit un autre. Dans une publication rédigée en Persan, traduite par notre journaliste Mustafa Mohammad, le Home Office incite au respect du système de Dublin mis en place par l'Union Européenne : "Voyager illégalement vers la Grande Bretagne est très dangereux. Il est préférable de rester dans le premier pays sûr où vous arrivez et y demander l’asile." Une autre, moins engageante, vante l'efficacité de ses politiques migratoires. "La Grande Bretagne et ses voisins se sont dotés mieux qu’auparavant pour repousser et empêcher l’immigration clandestine. La Grande Bretagne collabore avec la police française et belge pour empêcher les traversées illégale en bateau." 

"Nous sommes dans une ère d'hypocrisie, commente durement Jean-Claude Lenoir. Ce matin encore, il y a quatre ou cinq bateaux qui sont partis en Angleterre, 200 personnes. Avec ce temps froid et toutes les bêtises qu'ils ont mis à la frontière, leurs avions, leurs drones, on est bien capables de repérer que ce ne sont pas des touristes en maillot de bain, mais on les laisse partir. En vérité, on suit la situation de loin jusqu'à ce que les Anglais les prennent en charge. A mon avis, les britanniques savent très bien que ce genre de messages n'a aucune incidence, mais ça permet aussi de continuer de faire pression sur la France."

Une campagne coûteuse et peu efficace

L'efficacité de cette campagne risque donc d'être toute relative. Pourtant, le Home Office s'est hâté de la mettre en ligne. Plusieurs de ces publicités, y compris parmi les plus récentes, ont été désactivées car elles ne sont pas passées par l'obtention obligatoire du libellé indiquant une publication "de nature sociale, électorale ou politique", développé par Facebook en juin 2022. Ces publications sponsorisées ont, en outre, été publiées plusieurs fois chacune, souvent au moins quatre fois. Chaque annonce a plusieurs versions car le Home Office a choisi d'en faire un 'produit dynamique", en partie gérées par la plateforme Facebook elle-même. "Les annonceurs fournissent un ensemble d'images, de textes et de préférences de plateformes spécifiques afin que notre système puisse automatiquement créer la bonne combinaison pour l'audience" explique le réseau social.

Un tel dispositif est loin d'être gratuit. Sur les publicités déjà désactivées, Facebook détaille, par tranches, le coût moyen de la publication, calculé en fonction de sa longévité et du nombre de vues. Chacune de celles que nous avons pu consulter a coûté au ministère de l'Intérieur "plus de 100 livres sterling" (environ 113 euros). Un effort de communication qui semble vain, au vu du rythme des traversées. Toujours selon le ministère de l'Intérieur du Royaume-Uni, 499 exilés ont fait la traversée dans la seule journée du 29 septembre.

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