Commerces non-essentiels : ces photographes nordistes qui ne veulent plus être “la dixième roue du carrosse"

Thierry Hernu tient un studio de photographie dans le Pas-de-Calais avec l'aide de sa femme, Martine Lannoy. Comme tous les commerces "non-essentiels", ils ont dû fermer leurs portes samedi 20 mars pour 4 semaines. Abasourdi, le couple souhaite témoigner et faire bouger les lignes.

J’explique mon désarroi et trois secondes après, elle est déjà en train d’écrire. On se complète bien”, plaisante Thierry Hernu en parlant de sa femme, Martine Lannoy. Ce 21 mars, en ce premier dimanche du troisième confinement, le sexagénaire soupire en repensant à ces derniers jours. La veille, ce maître-artisan photographe qui rêvait déjà, enfant, de passer sa vie à immortaliser celle des autres, a dû fermer les portes de son studio de photographie de Montigny-en-Gohelle dans le Pas-de-Calais. Cette troisième fermeture de quatre semaines est un coup dur pour ce magasin ouvert il y a trente ans. 

Les studios photographiques ne sont pas des commerces essentiels”, m’explique au téléphone le passionné, faisant référence à la liste des dérogations publiées la veille qui n’autorise pas cette profession à ouvrir pendant un mois en raison de la crise sanitaire.

Il y en a qui pensent au suicide, ce n’est heureusement pas mon cas, mais cette décision est illogique.

Thierry Hernu

Abasourdi”, un vrai “coup de massue”, le Nordiste ne s’étend pas sur ce qu’il a ressenti lorsqu’il a appris la nouvelle. “Il y en a qui pensent au suicide, ce n’est heureusement pas mon cas, mais cette décision est illogique”, cingle-t-il, avant de reprendre un ton enjoué : “J’ai un grand âge, j’ai presque tout payé, mais il faut comprendre que la photographie, c’est compliqué. On a une hyper concurrence des photographes micro-entrepreneurs qui ont beaucoup moins de charge que nous. Les 23 premiers jours du mois, on travaille juste pour payer les charges. Les 7 derniers jours, c’est notre salaire. Alors si on ne peut pas ouvrir…”, continue-t-il sans finir sa phrase.

Je vais vous passer ma femme. Elle aime bien parler”, plaisante-t-il avant de s’effacer.  Sourire sur le côté, lunettes design, Martine Lannoy partage la vie du photographe depuis une quinzaine d’années. Voix posée, mots précis, on comprend vite que la sexagénaire est dans son travail comme dans sa vie, un vrai tourbillon. En plus de l’accueil, des décors, et de l’administratif dans le magasin de son mari, cette ancienne salariée d’une fabrique de fauteuils de cinéma multiplie les activités, "car la retraite, ça passe vite", explique-t-elle.

Peindre, jardiner, parler d’art, tenir des blogs et “six pages Facebook”, la sexagénaire confirme : “Je suis toujours à 100 000 volts. Dans la vie, il ne faut pas rester sur sa chaise. Et si quelque chose ne va pas, il faut agir, et vite”.

Et justement, après l’annonce de cette troisième période de fermeture pour le studio photo, l’énergique retraitée a fait une des choses qu’elle préfère dans la vie : prendre sa plume, et écrire. Sans relâche et presque sans respirer, écrire avec profusion, précision, “à tout le monde”. Comprenez, les décideurs politiques.

Il faut que tous, on écrive. S’ils reçoivent des centaines et des centaines de lettres et de mails, ils vont peut-être commencer à comprendre que cette décision n’est pas normale.

Martine Lannoy

J’ai écrit au Président, au Premier ministre, au ministre des petites et moyennes entreprises, aux mairies autour de chez nous, à la préfecture. Les syndicats, ils essaient d’agir, mais ça va trop lentement, et chaque jour fermé est un jour de trop. Il faut que tous, on écrive. S’ils reçoivent des centaines et des centaines de lettres et de mails, ils vont peut-être commencer à comprendre que cette décision n’est pas normale”, explique-t-elle avec une énergie contagieuse.

Expliquez-moi pourquoi une cabine photo peut fonctionner, et pas nous ?

Martine Lannoy

Ce qui a particulièrement énervé la retraitée : "les photomatons, toujours accessibles, et les grandes surfaces, toujours ouvertes". “Vous vous rendez compte qu’on privilégie la machine (NDLR le photomaton) au photographe, les grandes surfaces aux petits commerçants”, s’exclame-t-elle. “Expliquez-moi pourquoi une cabine photo peut fonctionner, et pas nous ?”, ajoute celle qui veut se battre pour tous les petits commerçants, et pas seulement les photographes.  

Deux poids, deux mesures

Vous ne devriez pas dire photomaton, c’est une marque”, corrige son mari qui finit par reprendre le téléphone. Les photos d’identité constituent en effet une partie de leur travail, explique le photographe. "Les “boîtes à tronches” sont, oui, toujours accessibles dans les grandes surfaces, alors que leurs écrans, leurs rideaux, vous croyez qu’ils sont nettoyés ? Quand je pense à tout ce qu’on a fait, le studio qu’on a ajouté pour respecter les protocoles sanitaires, notre extracteur d’air, tout le ménage, c’est absurde”, analyse-t-il.

La sexagénaire qui reprend le combiné souhaite aussi parler de la "différence de traitement". “Pour le 1er confinement, tout était fermé, tout le monde était logé à la même enseigne. Cette fois, pour le 3e confinement, il y a deux poids, deux mesures”, tacle-t-elle. 

L’ancienne salariée revient sur leurs activités de ces derniers mois : “Les mariages, les baptêmes, les communions, les shootings photos, tout est annulé. On vivote, on taille dans nos économies. Mais il va falloir rembourser le prêt garanti par l’Etat, recommencer à payer l'Urssaf dont les échéances ont été seulement suspendues, pas annulées”, s’alarme-t-elle. Inquiète pour son mari, elle confie : “Thierry, c’est quelqu’un d’enjoué, toujours positif. Mais cette fois, ce troisième confinement, c’est la fois de trop”.

Le Nordiste reprend justement une dernière fois le téléphone fixe. Il glisse une dernière plaisanterie, avant de s’assurer que le message soit bien passé. “On ne veut pas d’aide, on veut travailler. On en a marre d'être la dixième roue du carrosse".

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