72 personnes migrantes au moins ont perdu la vie dans les eaux de la Manche depuis le début de l’année 2024. À l’hôpital de Boulogne-sur-Mer, les médecins légistes reçoivent de plus en plus de corps. Le docteur Bernard Koundé revient sur la situation.
Depuis le début de l’année, au moins 72 personnes sont mortes en tentant de traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre. Ce terrible bilan fait de 2024 l’année la plus meurtrière de la crise migratoire. Autant de victimes qui doivent être prises en charge et identifiées.
Le docteur Bernard Koundé, chef de service de l’unité médico-judiciaire de l’hôpital de Boulogne-sur-Mer, revient sur le travail des médecins légistes, à qui revient la difficile tâche d’identifier les corps retrouvés.
Comment a évolué la mortalité liée à la crise migratoire ?
"Il y a un accroissement du nombre de victimes. Et surtout, lorsqu’il y a des décès, on va voir des différences dans les effectifs des corps qui vont nous parvenir. Avant, il y avait des traversées qui se tentaient par camion ou voie ferrée : on avait donc des décès très fréquents mais qui concernaient peu de personnes. Maintenant, avec les tentatives de traversée par la mer, on a des décès plus espacés mais en masse."
Comment sont identifiées les victimes ?
"De manière générale, quand des corps sont retrouvés sur la plage, on est contactés. Ils sont acheminés ici où ils vont dans un premier temps passer un scanner post-mortem. Ensuite, on va se coordonner avec l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGM) de Lille pour travailler à l’identification dans les 24 à 48 heures.
À lire aussi >>> L’association d'aide aux migrants Utopia 56, très active sur le littoral, visée par trois enquêtes pénales
Pour les corps non identifiés, on va rechercher des critères primaires d’identification, c’est-à-dire les critères génétiques, comme l’ADN ou les empreintes digitales. Si on a un outil de comparaison, ces critères vont nous permettre d’avoir une identification avec certitude.
Lorsqu’on n’a pas d’outils de comparaison, et malheureusement c’est le cas dans ces situations spécifiques [des exilés morts par noyade, NDLR], on va rechercher des critères secondaires comme des tatouages ou des cicatrices particulières."
Quelles conséquences ont ces naufrages à répétition sur le travail des médecins légistes ?
"On fait face à une nouvelle problématique qui est le manque de place. La morgue de l’hôpital de Boulogne-sur-Mer est normalement dédiée aux décès hospitaliers. Habituellement, on va avoir quelques corps “judiciaires”. Là, dans le cadre des naufragés, on se retrouve avec des corps qui occupent une place pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. Parfois, quand on a trop de corps à traiter, les corps partent directement à Lille pour le travail d’identification. Car on n’a ni les infrastructures, ni les effectifs pour gérer ici."