Que contiennent les fumées dégagées lors des incendies sur lesquels ils interviennent ? Longtemps, les pompiers ne se sont pas trop posé la question. Mais au fil des ans, ils constatent une hausse des cancers dans leur entourage professionnel. Face à cette inquiétude, les soldats du feu regrettent le manque de réactions de leurs directions. C'est un des motifs de la manifestations à Paris, le 16 mai.
Il y a 8 ans, quand il passe une radio des poumons, Laurent Soupé ne s'attendait pas à surprendre le pneumologue. Celui-ci n'avait jamais vu autant de lésions d'emphysème sur un même poumon. Et pour lui, pas de doute, ces lésions ont forcément été causées lors d'interventions sur des incendies.
Depuis, l'adjudant chez les sapeurs-pompiers d'Audruicq ne part plus sur les feux. Il a déjà fait un pneumothorax et peut en faire un autre à tout moment, son deuxième poumon étant lui aussi fortement abîmé.
On respirait les colles des meubles, les dégagements des polystyrènes, des isolants, beaucoup de gaz toxiques.
Adjudant-chef Laurent Soupé, pompier professionnel
Engagé comme sapeur-pompier volontaire en 1984, il se souvient de ces années où les équipements étaient moins performants et où surtout, personne n'imaginait la toxicité des fumées lors des incendies. "Lors des déblais, après les incendies, c'était difficile de faire ça avec l'équipement respiratoire, à l'époque, on ne le faisait pas. C'est vrai qu'on respirait les colles des meubles, les dégagements des polystyrènes, des isolants, beaucoup de gaz toxiques..." se souvient Laurent Soupé.
Aujourd'hui, il milite pour que la santé de ses camarades soit mieux préservée, contrôlée : "il faudrait que les radios des poumons de tous les pompiers soient systématiques. À l'étranger, ils sont très surveillés. En France, on commence seulement à prendre conscience des dépôts qui restent sur nos vêtements. On commence juste à savoir qu'il faut retirer les équipements souillés sur place et se changer immédiatement".
L'adjudant-chef Soupé, toujours en poste à Audruicq (Pas-de-Calais) - mais interdit par la médecine du travail de sortir en intervention - partira à la retraite à la fin de l'année. Une retraite qui, il le sait, se fera à un moment où un autre sous oxygène.
Des cancers de plus en plus nombreux
« Ça fait des années qu’on en discute en interne et ça n’avance pas. Le nombre de cancers est de plus en plus élevé chez les pompiers. Il y a des études en cours. Entre nous, c’est visible, ce n’est pas anodin » gronde Aurélien Quehen, secrétaire général adjoint du syndicat SUD dans le Pas-de-Calais.
« Il y a un manque de reconnaissance des maladies qui touchent les pompiers. Aux Etats-Unis et au Canada, 6 ou 7 cancers sont reconnus maladie professionnelle. On a un retard énorme en France" ajoute ce pompier professionnel depuis plus de 20 ans.
Il y a un manque de reconnaissance des maladies qui touchent les pompiers. Aux Etats-Unis et au Canada, 6 ou 7 cancers sont reconnus maladie professionnelle. On a un retard énorme en France
Aurélien Quehen, secrétaire général adjoint du syndicat SUD dans le Pas-de-Calais
Pour lui, les directions départementales des Sdis (services départementaux d'incendie et de secours) n'ont pas encore pris la mesure de l'épée de Damoclès qui plane au-dessus des pompiers.
« En termes de suivi médical, on n’a rien, juste une visite médicale tous les 2 ans. Il n’y a pas de prise de sang obligatoire avec des recherches ciblées". Une des seules mesures prises a été d'interdire le port de la barbe !" raille-t-il.
Les polluants qui inquiètent ces professionnels sont ceux issus lors de la combustion d'hydrocarbures, d'isolants, de colle dans les meubles. L'image du pompier le visage noirci par la suie n'a plus la cote.
Alors, pour faire bouger les choses, les organisations syndicales ont organisé une action originale lors de la manifestation parisienne : "Nous proposons sur place, au départ de la manifestation des prélèvements capillaires, pour mener une étude. L'idée est d'aller identifier des toxines, faire nous-même les recherches parce que le gouvernement ne veut pas le faire !".
La santé c'est aussi des effectifs supplémentaires
Pour les syndicats de Sapeurs-pompiers du Pas-de-Calais, la santé passe aussi par le recrutement de professionnels. "Entre 2015 et 2024, le nombre d'interventions a augmenté de 30 %. Il manque dans le département environ 250 pompiers professionnels. Aujourd'hui, 50 % des gardes sont assurées par des pompiers volontaires, des "travailleurs au noir", moins payés, sans repos de sécurité. Il faut arrêter de remplacer les pompiers professionnels par des volontaires !" peste Aurélien Quehen, du syndicat SUD 62.
A cela s'ajoute que, dans le Pas-de-Calais, le régime des gardes est de 24 heures. Contre 12 dans d'autres départements. Pour les responsables syndicaux, les gardes de 24 heures augmentent les risques cardiovasculaires, auxquels s'ajoutent les risques psychologiques, le stress post-traumatique, longtemps tabou dans la profession. "Je ne connais pas un seul pompier qui n'a pas été traumatisé dans sa vie, par une intervention", conclut Aurélien Quehen.