Malgré la militarisation accrue du littoral de la Manche et de la mer du Nord, depuis le début janvier 2024, près de 30 000 personnes ont réussi à gagner l’Angleterre : c’est déjà plus qu’en 2023. L’année 2024 est la plus meurtrière depuis le début des traversées.
Les chiffres des traversées et le nombre de morts en 2024 semblent montrer l'inefficacité de la politique de répression migratoire sur les côtes françaises. C’est ce que déplore Utopia 56 en cette fin du mois d’octobre.
L’association d’aide aux exilés alerte sur la crise humanitaire en cours sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord. Les militants mettent en avant les derniers chiffres du gouvernement anglais – mis à jour quotidiennement – concernant le nombre d’arrivées au Royaume-Uni.
29 878 personnes ont réussi leur traversée
Au 29 octobre, 29 878 personnes ont atteint la frontière britannique depuis le début de l’année 2024. C’est plus que sur toute l’année 2023 : 29 437 personnes étaient arrivées en Angleterre par la Manche.
“Ça signifie qu’il y a toujours autant de personnes qui essaient de traverser, voire plus. Le nombre de personnes arrivées et le nombre de décès qui augmentent, ça montre bien l’échec de la politique migratoire”, estime Angèle Vettorello, coordinatrice de l’antenne d’Utopia 56 à Calais.
Le nombre de personnes arrivées et le nombre de décès qui augmentent, ça montre bien l’échec de la politique migratoire.
Angèle Vettorellocoordinatrice de l’antenne d’Utopia 56 à Calais
Depuis le début de l'année, 60 personnes ont perdu la vie en tentant de rejoindre l’Angleterre. Soit plus d’un décès tous les cinq jours. Un bilan qui ne prend pas en compte toutes les personnes disparues dont le corps n'a jamais été retrouvé.
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Suite aux quatre décès de ce mercredi 30 octobre dans le secteur d’Hardelot-Equihen (Pas-de-Calais), Jacques Billant, le préfet du Pas-de-Calais, soulignait que les mois de septembre et d’octobre avaient été “particulièrement meurtriers” : en deux mois, “vingt-cinq personnes ont perdu la vie”, affirmait-il. Plus que le nombre total de morts en 2023.
Davantage de forces de l’ordre sur les côtes
Le préfet, alors qu’il s’exprimait au sujet des événements de la journée, a tenu à “assurer [son] profond soutien dans la mission de sauvegarde de la vie humaine qui incombe aux policiers et aux gendarmes”. “Sans l’intervention héroïque des forces de l’ordre, le bilan aurait été bien plus lourd”, affirme-t-il.
“Depuis le 1er janvier, 5 000 personnes ont été secourues en mer, soit autant de vies sauvées”, précise le préfet du Pas-de-Calais. Sur la seule journée de mercredi 30 octobre, une dizaine d’opérations ont été menées par la préfecture maritime, permettant de secourir 600 personnes.
Depuis le 1er janvier, 5000 personnes ont été secourues en mer, soit autant de vies sauvées.
Jacques Billantpréfet du Pas-de-Calais
Au début de l'été 2024, la préfecture des Hauts-de-France avait annoncé mobiliser 1 150 policiers et gendarmes sur son littoral et 3 000 dans l'ensemble de la région lors de la période estivale, pour lutter contre les départs illégaux.
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Utopia 56 dénonçait alors cette stratégie répressive. Après quelques mois de recul, les craintes des militants se sont confirmées : “On constate une surmilitarisation du littoral, de la baie de Somme jusqu’à la Belgique”, explique Angèle Vettorello. L’association appelle ainsi le gouvernement à “changer de paradigme”. “La sécurisation de la frontière arrive à un point où elle est inutile et dangereuse”, souffle la jeune femme. “Elle met les personnes dans des situations de vulnérabilité et mène à toujours plus de morts.”
L’augmentation du recours aux “taxis boats”
Précipitation, bateaux mal gonflés, embarcations de plus en plus surchargées, départs de plus en plus loin sur la côte, chaos à cause des gaz lacrymogènes des forces de l’ordre… Sur le terrain, Utopia 56 constate que la présence policière accrue sur les plages pousse les migrants à prendre toujours plus de risques.
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Un phénomène commence également à prendre de plus en plus d’importance depuis un an, celui des “taxis boats”. “Pour éviter que la police crève le bateau à terre, les passeurs le gonflent et le mettent à l’eau plus loin par rapport au point de départ de l’embarcation, sur une autre plage”, explique Angèle Vettorello. Les passeurs s’approchent donc beaucoup moins de la cote. Au lieu de grimper à bord du bateau directement sur la plage, les personnes migrantes “courent vers la mer, rentrent dans l’eau et nagent”, précise la militante. Parfois avec des enfants sous le bras.
Pour éviter que la police crève le bateau à terre, les passeurs le gonflent et le mettent à l’eau plus loin.
Angèle Vettorellocoordinatrice de l’antenne d’Utopia 56 à Calais
Les “taxis boats” amènent donc les personnes à se mettre encore plus en danger. “Le risque de noyade augmente”, indique la volontaire. Au moment de rentrer dans l’eau, avec le chaos qui règne sur la plage, puis avec les forts courants de la mer mais aussi lorsque les migrants cherchent à monter à bord : “un certain nombre n’y parvient pas”.
Risque de noyade et d’hypothermie
Autre danger : l’hypothermie. “Dans ces conditions, une fois trempés, les chances de survie à terre comme en bateau s’amoindrissent. Là, on commence à avoir une eau proche des dix degrés. Et le matin, il peut faire quatre ou cinq degrés.”
En quatre mois, on a été contactés par 5 800 personnes qui ont tenté la traversée. Ça donne une idée de l'ampleur que prend la crise humanitaire sur le littoral Nord.
Angèle Vettorellocoordinatrice de l’antenne d’Utopia 56 à Calais
D’après l’association, les jours de beau temps, des centaines de personnes se ruent sur les plages pour tenter la traversée. “En quatre mois, on a été contactés par 5800 personnes qui ont tenté la traversée”, affirme Angèle Vettorello. “Ça donne une idée de l'ampleur que prend la crise humanitaire sur le littoral Nord.” Force est de constater que les personnes ne renoncent pas à leur projet de traversées, en dépit de la répression et des drames.
Le préfet du Pas-de-Calais Jacques Billant le voit bien également : “Malgré ces terribles événements, les migrants sont toujours très nombreux à tenter de prendre la mer dès que les fenêtres météorologiques deviennent favorables”.