"Ma fille en rêve la nuit, elle crie : l'eau monte, l'eau monte", le traumatisme des sinistrés du Pas-de-Calais face aux interminables crues

Déjà démoralisés par les inondations historiques du début de semaine, les naufragés du Boulonnais à l'Audomarois, en passant par le Montreuillois, attendent les nouvelles crues importantes de ce vendredi 10 novembre. Mais derrière le désespoir, pointe un esprit d'entraide salvateur.

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On est mercredi 8 novembre, au lendemain de la seconde vague de crues. Gérald Darmanin vient rendre visite aux pompiers, élus et naufragés de Saint-Etienne-au-Mont. Après son passage au PC de sécurité installé dans un conteneur aménagé, où le préfet du Pas-de-Calais, Jacques Billant, évoque les événements "historiques" qui secouent son territoire, le ministre de l'Intérieur est attendu dans la salle communale.

Dedans, aux côtés de son compagnon, Aline Jones est en pleurs. Cette mère de quatre enfants a quitté sa maison, inondée la veille, avant d'être relogée chez sa sœur avec sa famille. Le ministre, visage grave, salue la dame, qui se confie. "C'est dur de tout perdre... Notre assureur a dit de ne pas toucher à nos meubles, on a du tout laisser sur place." Elle évoque les angoisses de ses deux petites filles, de 8 et 9 ans : "elles en rêvent la nuit, j'en ai une qui crie : "l'eau monte, l'eau monte.""

"Si les promesses sont tenues, tout ira bien"

Gérald Darmanin conseille de prendre des photos pour l'assurance, alors que le préfet tente de rassurer la Stéphanoise : "je suis en train de monter tout cela avec la fédération des assurances, que je connais bien depuis la tempête de Bihucourt, de manière à ce qu'ils puissent bien cadrer les choses."

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Echange entre la maire et Gérald Darmanin lors de sa venue à Saint-Etienne-au-Mont, mercredi 8 novembre. ©Baptiste Mezerette/France Télévisions

La maire de la commune située près de la Liane, Brigitte Passebosc, sur le pont depuis vendredi dernier, y va aussi de son réconfort : "cette salle est ouverte 24h/24h, jusqu'à la fin de la semaine au minimum, vous pouvez aussi appeler la mairie 24h/24h. On va tenir le coup, tous ensemble." Avant de se tourner vers le ministre de l'Intérieur, prenant Aline en témoin : "Vous voyez, ils viennent de faire des promesses, et si elles sont tenues tout ira bien. Sinon ils entendront parler de nous." Darmanin de répondre : "vous savez où me trouver."

Troisième crue en une semaine

"Je voudrais que tout soit derrière nous", lâche la naufragée en forme de vœu pieux. Mais dehors, sous la pluie, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, douche tout espoir d'amélioration. "Cet épisode de crues n’est pas derrière nous : certains secteurs vont probablement repasser en vigilance rouge crue dès jeudi", annonce-t-il aux journalistes. Des craintes confirmées ce jeudi 9 novembre, avec le passage en vigilance rouge du Pas-de-Calais et de trois de ses fleuves ; la Liane, la Canche et l'Aa.

Comme Aline, des milliers d'habitants sont au bout du rouleau, à Saint-Etienne-au-Mont, Saint-Léonard, Blendecques, Bourthes, Hesdigneul et dans les 74 communes principalement touchées par les événements climatiques, d'après le décompte de la préfecture. Et pourtant, il leur faudra affronter dans la nuit de jeudi 9 à vendredi 10 novembre cette troisième crue qualifiée d''importante" voire d'"exceptionnelle" par Météo-France.

"Voir son histoire qui s'envole"

Tout le monde le sait, à Hesdigneul-lès-Boulogne, qu'il faudra à nouveau faire le dos rond face aux remous de la Liane. Le record de hauteur de 5m27 pourrait être atteint dans la nuit de jeudi à vendredi. Le service de Vigicrue prévoit des niveaux allant de "4,70m et 5,50m".

Des prévisions qui donnent des sueurs froides à l'édile. "La répétition des événements joue sur le moral des gens, constate Yves Hennequin, ce jeudi matin, qui a déjà vu son village sous les eaux mardi dernier. Le fait de ne pas pouvoir retourner dans sa maison, de voir ses biens disparaître, voir son histoire qui s'envole, la partie administrative à mettre en route, l'attente de l'état de catastrophe naturelle... Tout cela est inquiétant."

Camping et champs immergés

Sentiment de désespoir partagé par Xavier et Florence Morel, les gérants du camping Les Cytises, à Isques, dans l'Audomarois. La crue précédente avait déjà mis sous l'eau la moitié de leurs 70 résidences. "Les caravanes ont bougé, les terrasses sont désolidarisées des mobile homes, des balançoires se retrouvent sous plus de 2m d'eau, racontait Xavier, propriétaire. C’est le carnage." Et ce n'est pas fini, alors que l'eau monte encore ce jeudi.

Les agriculteurs, également, sont loin d'être épargnés par dame nature. Matthieu Morel sort d'une réunion avec le syndicat FDSEA et la chambre d'agriculture ce jeudi après-midi. Un quart de sa production de céleri-rave est en péril à Clairmarais, bordant l'Aa. "J'ai perdu 2 hectares, pour l'instant, précise-t-il. Car si l'eau monte encore de 15cm ou 20cm, j'ai peur de perdre mes 8 hectares."

"À peine installés, déjà tout perdu"

L'urgence est d'archiver les dégâts, de faire des photos et vidéos, dans le cas d'éventuelles indemnisations dans le cadre du régime de calamités agricoles. "Parce que c'est notre travail d'hiver qui est mis en jeu, déplore l'exploitant du Gaëc des Tourbières, qui emploie deux CDI. Faudra-t-il avoir recours à du chômage technique ? Je ne sais pas..."

La page Facebook "Tu es de Saint-Nicolas si...", habituellement utilisée pour échanger sur les bons plans et animations de la ville du Boulonnais, fait figure de cahier de doléances depuis une semaine. Il y a ici Nicolas Dubuisson qui photographie ses wassingues épongeant son salon "Troisième inondation en sept jours, j'évacue depuis ce matin et je vais y passer la journée !" Là, Anne Debove, habitant dans la Cité de l'avenir, déplore : "à peine installés, déjà tout perdu."

S'entraider pour tenir

Devant cette détresse, l'entraide s'organise aussi sur cette même page Facebook, où un groupe annexe dédié a été créé ce jeudi midi. Vêtements, meubles, gazinières... Les propositions de dons se font par dizaine. "C’est dans ces moments qu’il faut continuer d’être solidaire, encourage GabNkun sur son compte. C’est dans des petits villages que l’entraide doit primer, où les plus jeunes aident les plus âgés, les personnes au sec aident les sinistrés."

C'est le cas de Mélissa Noël, gérante d'une pizzeria entre les communes de Saint-Etienne-au-Mont et Saint-Léonard. Depuis la première crue, vendredi dernier, son restaurant prend des allures d'Emmaüs. "Les gens donnent énormément, la pizzeria est pleine, j'ai même emmené une voiture remplie aux Secours Populaire qui va les redistribuer aux gens restés chez eux, explique-t-elle. Les sinistrés cherchent surtout des vêtements, des couettes, de quoi se tenir chaud la nuit."

"Le moral est clairement à terre, les gens ont l'impression que ça ne s'arrêtera jamais. Ils sont résignés et spectateurs de ce qu'il se passe." 

Melissa Noël, gérante d'une pizzeria à Saint-Léonard

Accueil et distribue des dons aux sinistrés

Une dizaine de personnes sont venues chercher des biens. "Les gens sont dépassés par les événements, observe celle qui travaille ici depuis huit ans. Le moral est clairement à terre, ils ont l'impression que ça ne s'arrêtera jamais. Ils sont résignés et spectateurs de ce qu'il se passe."

"Agir plus vite que les pouvoirs publics"

L'association Blendecques sinistrés, créée lors des graves inondations de 2002 pour offrir une aide financière à près de 700 victimes de la crue de l'Aa, a repris du service. Un nouvel appel aux dons, via une cagnotte en ligne Leetchi ou directement en mairie, a été lancé. "Le but de cette association, c'est d'agir plus vite que les pouvoirs publics et les assureurs, indique David Capitaine, le vice-président et conseiller municipal. Avec l'argent récolté, on peut par exemple payer rapidement des nuits d'hôtel ou acheter de la poudre pour bébé."

À l'aube de cette énième crue, les organismes sont fatigués chez les naufragés. Accrochés aux bulletins météo des prochains jours, tous et toutes espèrent la fin de la pluie. Mieux, un coin d'éclaircie dans le ciel. Pour, enfin, pouvoir nettoyer sans crainte de voir l'ouvrage balayé par de nouvelles inondations, et enfin se projeter dans les jours d'après.

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