Documentaire Colette : de la Coupole d'Helfaut jusqu'à un prix aux Oscars, une jeune bénévole au chevet d'une résistante

Colette raconte l'histoire d'une femme sur les traces de son frère résistant, déporté au camp de Dora en Allemagne et mort en 1945. Elle est accompagnée par une historienne bénévole originaire de Saint-Omer. Le documentaire a remporté le prix du meilleur court lors de la 93ème cérémonie des Oscars.

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Lorsque nous l’avions interrogée juste avant les Oscars, Lucie Fouble nous racontait s’être "rendue compte que la cérémonie avait lieu le même jour que l’anniversaire de Colette". Souffler ses 93 bougies le jour même de la 93ème cérémonie organisée à Los Angeles… "Je me suis dit : c’est peut-être un signe".

La jeune historienne en herbe originaire de Saint-Omer et bénévole au centre historique de la Coupole à Helfaut avait vu juste, car Colette a obtenu la récompense du meilleur court documentaire dans la nuit du dimanche 25 au lundi 26 avril 2021. Crise sanitaire oblige, seuls la productrice et le réalisateur avaient fait le déplacement pour recevoir le prix. Mais hors de question pour Colette et Lucie de louper la cérémonie, elles ont veillé toutes les deux jusque tard dans la nuit.

"Quel honneur et quelle nouvelle", a tweeté la jeune fille de 19 ans peu avant 4 heures du matin, "merci à tous ceux qui ont supporté ce documentaire".

Un prix qui va permettre de diffuser partout dans le monde l'histoire de Jean-Pierre Catherine, frère de Colette déporté au camp de Dora en Allemagne et mort en 1945… et qui salue l’incroyable travail réalisé par toute l’équipe du film autour d’une intention : la transmission de la mémoire entre différentes générations. Des plages du débarquement jusqu'à l'Oscar du meilleur court documentaire reçu à Los Angeles en passant par Saint-Omer, on vous raconte cette belle histoire.

Des plages du débarquement à la Coupole d’Helfaut

Pour comprendre les liens existants entre ces différents événements et le rôle majeur joué par la jeune historienne nordiste, il faut revenir quelques années en arrière. En 2017, Alice Doyard, productrice française, est contactée par Anthony Giacchino, un réalisateur américain qui souhaite faire une série de portraits sur les vétérans de la seconde guerre mondiale. Tous deux se retrouvent sur les plages de débarquement et un guide touristique rencontré sur place leur parle d’une amie prénommée Colette, résistance pendant la seconde guerre mondiale, qui a perdu son frère Jean-Pierre Catherine, déporté dans le camp de Dora en Allemagne et mort en mars 1945. 

La rencontre est amorcée. "Je me souviens d’une femme magnifique, extraordinaire par son passé de résistante avec une mémoire de la guerre très vive. Elle a un ton qui nous séduit par sa force, son autorité tout en étant extrêmement aimable et attentive aux autres", détaille la productrice. Les deux professionnels savent qu’ils tiennent une histoire entre les mains. Pendant six mois, Alice Doyard échange par téléphone avec Colette et imagine une suite à donner à leur rencontre. Parallèlement, elle mène ses recherches sur Jean-Pierre Catherine et décide d’appeler le camp de Dora pour en apprendre davantage. "Ils me renvoient vers la Coupole. Je tombe sur Laurent Thiery, qui m’apprends que des groupes de jeunes partent à Dora"

Car le centre d’histoire et de mémoire, situé non loin de Saint-Omer, est en train de réaliser un dictionnaire des déportés de France passés par le camp de Dora. L’objectif du projet dirigé par l’historien Laurent Thiery : faire sortir de l’oubli des milliers de déportés en écrivant leurs notices compilées dans un ouvrage historique.

Parmi les 70 bénévoles mobilisés, majoritairement professeurs ou retraités, la benjamine n’a que 17 ans : elle s’appelle Lucie Fouble, est passionnée d’histoire et plus particulièrement de la seconde guerre mondiale, un déclic qu’elle a eu en classe de troisième au collège. "Quand Alice m’a appelé en 2018 pour me parler de ce projet autour de Colette et de son frère, je me suis aperçu que l’âge de Jean-Pierre Catherine (mort à 19 ans en mars 1945, ndlr) et celui de Lucie coïncidaient, raconte Laurent Thiery, historien à la Coupole. On lui a donc confié la rédaction de sa notice pour qu’elle en apprenne davantage".

Quand Lucie Fouble rencontre Colette

À ce moment-là, Alice Doyard en est persuadée : il faut que Colette rencontre la jeune Lucie pour en faire un documentaire sur Jean-Pierre Catherine, axé sur la transmission et la mémoire. "J’appelle Lucie et je me dis que j’ai l’impression que je tiens une histoire puisqu’elle voulait aller depuis plusieurs années se rendre dans un camp de concentration mais n’en avait pas eu l’occasion, se souvient la productrice. On demande à Colette de rencontrer Lucie et d’aller à Dora avec elle, une seule fois. SI c’était non, on abandonnait le projet". Le risque est grand puisque la résistante n’a jamais voulu se rendre en Allemagne. Finalement, elle accepte.

"Il y a eu une relation magnifique qui a éclos devant notre caméra entre Colette qui a tout vu et Lucie qui demande à voir, à comprendre, à entendre. La force du film, c’est l’honnêteté de Colette et la vérité de Lucie".

Alice Doyard, productrice de Colette

L’équipe du film se rend avec Lucie au domicile de Colette, en Normandie. La jeune fille se souvient de chaque instant. "C’était la première fois que je rencontrais une ancienne résistante de façon aussi intime". Malgré la timidité de Lucie, la magie opère lors de la rencontre. "On est partis avec le souci de faire un bon film et de prendre soin des personnes avec qui on partait. Il fallait préserver Colette, 90 ans, et Lucie, 17 ans", raconte Alice Doyard. Une rencontre à Caen qui a emmené les deux protagonistes du documentaire jusqu’à la Coupole de Saint-Omer avant de rejoindre l’Allemagne et le camp de Dora. "Quand Colette bas les masques, Lucie s’ouvre, et on découvre deux femmes fortes qui vont s’épauler l’une et l’autre. Il y a eu une relation magnifique qui a éclos devant notre caméra entre Colette qui a tout vu et Lucie qui demande à voir, à comprendre, à entendre. La force du film, c’est l’honnêteté de Colette et la vérité de Lucie".  

Une complicité entre Lucie et Colette qui évolue au fil du documentaire et transperce l’écran lorsque les deux femmes se retrouvent dans le camp où Jean-Pierre Catherine est mort 75 ans plus tôt. "Lucie est une historienne en herbe, elle n’a pas d’agenda politique avec l’histoire, précise Alice Doyard. Elle pose les questions de manière très simple, elle n’est pas là pour démontrer quelque chose mais dit simplement : je ne veux juste qu’on ne t’oublie pas. C’est extrêmement touchant".

Un documentaire pour transmettre

Le documentaire dure 24 minutes et comporte 9 chapitres. Refusé dans plusieurs festivals, il obtient un premier prix aux Etats-Unis et lui permet de tenter sa chance aux Oscars. En lice avec 114 autres courts, il a finalement fait partie des cinq retenus pour la cérémonie officielle, avant de l'emporter dans la nuit de dimanche 25 à lundi 26 avril 2021.

Une récompense qui met en avant le travail autour de la transmission de l'histoire et de la mémoire grâce aux questions presque candides posées par la jeune Lucie à Colette, ancienne résistante. "Quand on fait des documentaires historiques, on essaie de se positionner par rapport aux fake news, aux théories du complot, on regarde l’histoire droit dans les yeux, témoigne Alice Doyard, la productrice. Quand on a une jeune femme comme Lucie, qui pose des questions complètement dans cette veine-là, on s’émerveille nous-mêmes".

Une fête sur Zoom avec toute l'équipe du film doit être organisée ce jour pour fêter l'anniversaire de Colette et la victoire aux Oscars. Comme à chaque événement marquant de sa jeune vie désormais, nul doute que Lucie Fouble gardera auprès d’elle la bague appartenant à Jean-Pierre Catherine et offerte par Colette lors du tournage, qu'elle considère comme "une part de son frère"

Au-delà de la relation quasi-filiale nouée entre les deux protagonistes - Lucie considère Colette comme une nouvelle grand-mère - cette rencontre et le documentaire ont permis à la jeune fille d’y voir plus clair. "Comment fait-on pour expliquer aux jeunes générations ce qui s’est passé pendant la seconde guerre mondiale, dans les camps, surtout plus tard quand il n’y aura plus personne vivante pour transmettre cette mémoire ?", se demande Lucie. Elle sait désormais qu'elle en fera son futur métier.

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