Alors que les tentatives de traversées de la Manche ne ralentissent pas, nous sommes allés à la rencontre de ces exilés qui ont réussi à refaire leur vie en Angleterre. Nous leur avons demandé pourquoi leur choix s'est arrêté sur le Royaume-Uni, alors que le voyage se fait parfois au péril de leur vie. Témoignages.
L'année 2024 n'est même pas encore terminée qu'elle est déjà la plus meurtrière en ce qui concerne les traversées de la Manche. Le 2 septembre, ils étaient encore 351 à braver la houle au large de Calais pour rejoindre l'Angleterre.
Ils sont Syriens, Afghans ou Yéménites, et ont pris la décision de quitter leur famille et leur terre natale pour fuir la guerre, parfois au péril de leur vie. Coûte que coûte ils n'ont qu'un objectif : prendre un nouveau départ en Angleterre.
Ce désir inconditionnel de rejoindre le Royaume-Uni n'est pourtant pas toujours compris. Est-ce vraiment le pays de tous les possibles ? Pour le comprendre, nous sommes allés à la rencontre de ceux qui ont réussi à y refaire leur vie.
"L'Angleterre est mon pays depuis les dix dernières années" : la success story de Burak, 39 ans
À Harrow, un quartier chic au Nord-Ouest de Londres, se trouve l'appartement de Burak. Terrasse avec vue, salon décoré, équipement informatique dernier cri... il cumule les métiers dans l'informatique. "Je suis chef du service informatique dans une entreprise de logiciels, ça c'est mon job à plein temps. Mais j'ai également une autoentreprise de consulting en informatique", raconte-t-il fièrement.
S'il jouit aujourd'hui d'un salaire annuel qui se compte en centaines de milliers d'euros, Burak se situe bien loin du cliché de l'exilé brandi sur les plateaux de télévisions. Pourtant, ce Syrien de 39 a quitté son pays en 2012 pour échapper au service militaire imposé par le régime de Bachar El-Assad.
Au moment de quitter la Syrie, il hésite entre Dubaï, l'Allemagne, ou l'Espagne. Mais son choix se porte finalement sur le Royaume-Uni. Il explique, "l'Angleterre est mon pays depuis les dix dernières années. Les Anglais, je le dis tout le temps, sont les personnes les plus gentilles que tu peux rencontrer."
C'est grâce à un visa étudiant qu'il réussit à s'installer à Londres. Il obtient à l'époque un statut de réfugié politique au bout du six mois sur le territoire. Quelques années plus tard, il est aujourd'hui citoyen britannique.
Je vois le Royaume-Uni comme le pays le plus accueillant de toute l'Europe pour les étrangers venus d'ailleurs.
Burak
"Je vois le Royaume-Uni comme le pays le plus accueillant de toute l'Europe pour les étrangers venus d'ailleurs" estime-t-il, alors que le pays était encore en proie à des émeutes d'extrême droite il y a quelques mois. Ce n'est pas pour autant qu'il se sent menacé, "je pense sincèrement qu'elles ne regroupaient qu'une très petite minorité de personnes."
Le témoignage de Burak, aux allures de success story, alimente les fantasmes de nombreux migrants qui voudraient rejoindre le Royaume-Uni et notamment l'idée que son marché du travail serait accessible à tous, et pourvoyeur d'emploi.
À l'Université d'Oxford, les chercheurs ne peuvent que partiellement infirmer ces idées reçues. Les opportunités professionnelles existent bel et bien pour les étrangers, mais à des postes plus précaires."On sait qu'en général, les personnes qui viennent au Royaume-Uni pour demander l'asile subissent un taux de chômage plus élevé, ils ont des salaires plus bas, ils travaillent moins d'heures, et on sait qu'ils occupent des emplois moins qualifiés." détaille Mihnea V. Cuibus, du Migration Observatory de l'Université.
"J'espère avoir une belle vie ici " : Mohamed, 35 ans, rêve d'ouvrir un restaurant
Le 29 août dernier, Mohamed, a traversé la Manche depuis Boulogne-sur-Mer dans un bateau gonflable. Accompagné de 53 autres passagers, ce Syrien de 35 ans sera marqué à jamais par cette épreuve.
Il témoigne : "J'avais très peur de tomber dans l'eau, j'avais peur de mourir dans l'eau. C'était très dur pour moi, mais ça l'était encore plus pour les femmes et les enfants." S'il a réussi la traversée, il est depuis pris en charge par les services du Ministère de l'Intérieur britannique. Dans l'attente de l'entretien nécessaire à sa demande d'asile, il est logé dans un hôtel 4 étoiles situé à l'est du pays.
"Ici, il y a la douche, nous avons deux lits, la télévision...", ce confort lui permet de se concentrer sur sa recherche d'emploi et de prendre le temps de perfectionner son anglais. Son rêve : ouvrir un restaurant à Londres. "J'espère avoir une belle vie ici, dans un territoire qui va me rendre mes droits, ceux que j'ai perdus dans mon pays."
Cette situation plus confortable lui offre aussi du répit. "Quand j'étais en France, la police venait juste nous chasser en permanence, nous demander de partir, se souvient-il. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je me sens serein ici."
Pour espérer travailler, il doit obtenir un statut de réfugié. En moyenne, sept demandes d'asile sur dix sont acceptées dès la première demande au Royaume-Uni. C'est deux fois plus qu'en France. Mais pour obtenir le précieux sésame, les exilés doivent s'armer de patience.
"En 2023, il y avait environ 130 000 personnes en attente d'une décision sur leur demande d'asile. La grande majorité d'entre eux ont attendu plus de six mois. D'autres ont attendu bien plus longtemps" détaille le chercheur de l'Université d'Oxford, qui explique que la démarche peut prendre plusieurs années.
Pour les demandeurs d'asile, le gouvernement britannique accorde une aide financière d'une soixantaine d'euros par semaine, et accorde dix euros à ceux hébergés à l'hôtel. Des ressources insuffisantes pour certains, qui n'hésitent pas à se tourner vers le travail illégal.
Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je me sens serein ici.
Mohamed
Les secteurs de la restauration, de l'hôtellerie, de la santé, mais aussi du social sont ceux qui recrutent le plus d'étrangers au Royaume-Uni. Néanmoins, la recherche d'emploi n'est pas la seule motivation qui pousse les exilés à rejoindre cette île. Beaucoup espèrent rejoindre leurs proches ou leur communauté.
Nooralhaq a fui l'Afghanistan et aide les exilés à s'intégrer
Pour réussir sa nouvelle vie en Angleterre, il faut parfois un peu de chance, mais aussi rencontrer les bonnes personnes. À Feltham, petite ville populaire située au sud-ouest de Londres, l'association Afghanistan et Asie Centrale propose des cours de soutien scolaire, pour maintenir les enfants exilés au même niveau que leurs camarades britanniques.
"Nous sommes heureux de pouvoir organiser du soutien scolaire pour les enfants. Pour les aider à se construire un meilleur avenir, pour eux-mêmes et pour leur famille", se félicite Nooralhaq Nasimi qui a fondé cette association à son arrivée au Royaume-Uni en 1999, alors qu'il fuyait Kaboul pour échapper aux talibans. "C'est aussi une façon de promouvoir la cohésion au sein de notre communauté."
25 ans plus tard, le roi Charles III l'a fait membre de l'ordre de l'Empire britannique, lui qui accompagne près de 13 000 réfugiés avec sa fondation chaque année. C'est non sans fierté qu'il montre sa photo de sa rencontre avec le roi. "Normalement le roi ne passe que 30 secondes avec chaque personne. Mais il a passé avec moi plus de deux minutes", se souvient-il
Pour le fondateur de l'association, ce qui fait la force de l'Angleterre, c'est son multiculturalisme. "Les gens qui arrivent ici se sentent plus confiants parce qu'ils peuvent suivre leurs propres traditions, leurs propres cultures, beaucoup plus que dans n'importe quel pays européen."
Ils peuvent suivre leurs propres traditions, leurs propres cultures, beaucoup plus que dans n'importe quel pays européen.
Nooralhaq Nasimi
"Tous mes amis sont ici en Angleterre" : Moussa, 54 ans
Le 9 août dernier, Moussa est parti de Boulogne-sur-Mer en small boat dans l'espoir de trouver un emploi de l'autre côté de la Manche.
Sa volonté de rejoindre le Royaume-Uni n'est pas un hasard, son ami Issam, lui aussi arrivé en small boat, il y a un an, vient du même village que lui en Syrie.
"Tous mes amis sont ici en Angleterre. Ils me disent que ce pays est très bien. J'ai besoin de travailler, pour envoyer de l'argent à ma famille. Parce que j'ai 9 enfants et aussi ma femme, et ma mère" raconte-t-il.
En attendant d'obtenir le précieux statut de réfugié, Issam et Moussa partagent une chambre dans un appartement situé en banlieue londonienne. Certes, les conditions de vie sont sommaires, mais ici leur vie n'est pas en danger.
"Je suis venu ici pour la démocratie. Ici, tous les droits sont respectés. Dans les pays arabes, notamment en Syrie, il n'y a plus de justice, il n'y a plus de vie. Ici les gens vivent de façon apaisée" témoigne Issam.
Ils s'appellent Moussa, Burak, Mohamed, Nooralhad ou Waleed. Ils ont un espoir en commun : mener en Angleterre une nouvelle vie. Prendre un nouveau départ malgré un marché du travail toujours plus fermé et un climat politique toujours plus hostile à leur arrivée.
Nous ne sommes pas des ennemis.
WaleedYéménite
Si l'extrême droite progresse dans le pays, leur volonté de rejoindre l'Angleterre n'en est pas moins altérée. "Nous sommes de bonnes personnes. Nous ne sommes pas malveillants. Nous sommes venus pour progresser, pour contribuer à l'économie britannique. Nous ne sommes pas des ennemis" conclut Waleed, étudiant yéménite à l'université britannique de Birkbeck.
Tous en sont convaincus, c'est au Royaume-Uni qu'ils retrouveront leurs droits et leur liberté, même si cela signifie refaire sa vie à des milliers de kilomètres de leur famille.
Reportage de Damien Deparnay et Marie-Noëlle Grimaldi