L'annonce mardi par Auchan de la prochaine mise en vente de 21 de ses sites en France, touchant entre 700 et 800 salariés, illustre la croisée des chemins dans laquelle se trouve la grande distribution, confrontée à des mutations du commerce sans précédent.
La direction du groupe nordiste, qui appartient à l'Association familiale Mulliez (AFM) tout comme d'autres fleurons de la distribution (Decathlon, Kiabi, Leroy-Merlin, Boulanger...), a lancé une vaste démarche de "redressement" de l'entreprise, annoncée en mars. Un plan qui doit passer par des "renoncements" et des "arbitrages", donc des économies d'échelle, selon le nouveau président du directoire d'Auchan Holding, Edgard Bonte.
D'où la cession prochaine de 21 sites (dont 13 supermarchés et 1 hypermarché), voire leur fermeture si aucun repreneur ne se présente. Une éventualité plus que probable, selon les syndicats, compte tenu du contexte très concurrentiel et du fait qu'en 2018, l'enseigne a déjà fermé 23 magasins en Italie et 11 en Russie.
Rationalisation du réseau
Vendre des magasins, sans (trop) toucher au personnel, c'est aussi le parti pris par d'autres distributeurs, dont les revenus reculent notamment parce que les consommateurs délaissent les grandes surfaces pour s'éparpiller sur différents formats (marchés, commerces de proximité, discounters, drive...).
Carrefour a ainsi vu son chiffre d'affaires baisser de 3,3% en France au premier trimestre, à 9 milliards d'euros, même s'il progresse de 1% à magasins comparables, notamment grâce à l'alimentaire (+2%). Et les ventes de son principal concurrent, Casino, ont reculé de 3,3% en France à 4,4 milliards d'euros, un repli cependant ramené à 1,5% une fois gommé l'effet des fermetures de magasins, qui ont concerné notamment 109 Leader Price sur les
12 mois écoulés à fin mars.
"On assiste à un effet de ciseau négatif entre une consommation qui stagne et qui se fragmente, entraînant une érosion du trafic en magasins, et une offre pléthorique", explique Yves Marin, consultant au sein du cabinet Bartle. D'autres marchés ont dû dans le passé se résoudre à réduire leurs frais et à accroître leur productivité en rationalisant leur parc de points de ventes: il est donc logique que ce mouvement atteigne le monde de la distribution alimentaire, ajoute l'expert, pour qui c'est une question de "survie".
Après avoir cédé ses ex-magasins Dia, Carrefour a lancé un processus de mise en location-gérance de supermarchés, supérettes et hypermarchés, tandis que Casino a activé l'an dernier un vaste programme de cessions d'actifs non stratégiques, qui doit lui rapporter jusqu'à 2,5 milliards d'euros.
De nouvelles dépenses
Le secteur est clairement "dans une phase de concentration et de restructuration de l'outil commercial", affirme M. Marin. Jusqu'à présent, plutôt passée entre les gouttes des plans sociaux, la distribution "dégraisse" comme partout ailleurs, c'est juste moins visible, estime l'expert.
Carrefour, via un plan de départs volontaires (PDV) en France, Argentine et Belgique, s'est ainsi discrètement "allégé" de 4.400 salariés. Engagé dans un vaste plan de transformation depuis janvier 2018, le groupe a récemment relevé de 40% ses objectifs d'économies à réaliser, à 2,8 milliards d'euros à horizon 2020.
C'est qu'il va falloir désormais aller plus vite en raison de la guerre des prix qui fait rage depuis des années et de la pression concurrentielle. Et surtout car la grande distribution doit désormais faire face à de nouvelles dépenses: "dans le numérique, en recherche et développement, en gestion de la +data+...", souligne Yves Marin. Un élément intégré par les "Gafa" (Google, Amazon, Facebook, Apple) depuis longtemps.
Certes, pour combler leur retard, les distributeurs français ont signé récemment des partenariats avec ces géants de l'internet: entre Amazon et Monoprix (groupe Casino) sur la livraison, ou entre Google et Carrefour afin d'accélérer la transition numérique du groupe français. Mais pour lutter face aux géants de la vente en ligne comme Amazon justement, c'est vers l'innovation qu'il faut se tourner. Or, ça coûte cher, d'où la nécessité de "réduire la voilure", insiste l'expert, et urgemment.
Un constat que balaie Michel-Edouard Leclerc : "Carrefour qui tousse, Casino qui éternue, Auchan qui pleure... A entendre les chroniqueurs dans certains médias, c'est la fin d'un monde: celui des hypermarchés, et même de la grande distribution".
Mais pour le patron des centres E. Leclerc, "ce n'est pas parce des hypermarchés aujourd'hui jugés trop grands et inadaptés sont fermés, que chacune de ces enseignes est en péril".