"Tout le monde s'y met", assure une responsable de supermarché Auchan près d'Amiens, mais la consommation - comme la production - de produits d'agriculture biologique connait un retard important en Picardie.
L’Agence Bio dévoilera le 4 juin son état des lieux annuel et régional de la consommation et de la production bio en France. Sauf surprise, les Hauts-de-France feront figure de mauvais élève, tirés par les Picards vers le bas de classement.
Toutes les statistiques connues le laissent penser. Jusqu’aux plus insolites : selon Google Trends, les internautes picards sont les moins intéressés par le “bio”, avec moitié moins de recherches enregistrées sur le moteur en Picardie que dans le Limousin, première région au classement.
2% de bio dans les caddies
La consommation de produits biologiques connaît une croissance à deux chiffres en France, mais les écarts territoriaux sont importants. Or selon le dernier baromètre CSA/Agence Bio, seulement 7% des habitants des Hauts-de-France consomment bio “tous les jours” et 61% “au moins une fois par mois” : les pires chiffres régionaux.
Concernant uniquement les “produits de grande consommation” vendus en hyper et supermarchés (crémerie, épicerie, frais, surgelés et boissons), l'institut d'études IRI classe la Somme et l’Aisne dans les départements français les moins consommateurs de bio : environ 2% des achats contre 8% à Paris, selon les chiffres révélés par la revue Vigi Grande Conso. Le classement de l'Oise n’est pas indiqué, mais on connaît celui de 2014 : alors que le “flop 5” était déjà quasiment le même, le département isarien était 10e.
Trop pauvres pour acheter bio ?
Interrogés sur les principaux freins à la consommation du bio, 84% des Français dénoncent des prix “trop chers”. Or dans la Somme et l’Aisne, le niveau de vie médian (autant de personnes en-dessous qu’au-dessus) est inférieur à la moyenne nationale : 19205€ et 18604€, contre 20520€.
Impossible de prouver le lien de cause à effet, mais la corrélation est réelle, comme l’a vérifié Vigie Grande Conso : “Dans les départements affichant un niveau de vie médian inférieur à 19000 euros par an, la part-de-marché moyenne du bio se situe à 3,4% quand, à l’extrême opposé, elle grimpe à 4,9 % en moyenne dans les départements les plus riches.”
Les magasins spécialisés sont rares
Pour ne rien aider, les enseignes spécialisées ont ouvert peu de magasins picards. Un seul exemple : Biocoop, enseigne leader du secteur, compte 7 points de vente en Picardie, contre 69 en Bretagne.
La grande distribution n'est pas particulièrement active non plus. Aucun Carrefour Bio par exemple, alors qu'au niveau national, le distributeur fut le premier à s'engouffrer dans ce marché, il y a 20 ans. En revanche, un Leclerc Bio s'est installé à Boves, près d'Amiens, en septembre dernier. Signe que la guerre du bio dans la grande distribution commence à atteindre la région : chacun veut capter cette clientèle grandissante.
Auchan Dury : "ça démarre"
Même si elle reste particulièrement minoritaire en Picardie, la clientèle bio progresse et les supermarchés existants l'ont compris. "On doit tout faire pour qu'ils n'aillent pas ailleurs", lâche Sandrine Caspar, manager chez Auchan à Dury, près d'Amiens.
Au milieu du magasin, le bio (avec le diététique) a son propre rayon. C’est une consigne nationale. Il n'occupe que deux allées, mais “on l’a agrandi il y a 3 ans et on veut continuer, c'est un choix”, assure la manager. D’autres produits seront supprimés pour faire de la place au bio.
Visiblement fière, Sandrine Caspar confie que son "rayon bio a une croissance à deux chiffres". Dury serait même "plutôt bon dans le réseau" des magasins Auchan, avec plus de 1000 produits bio référencés et 1625 d'ici la fin de l'année.
Le distributeur ne fait pas que s'adapter à la demande. Il "va aussi la chercher”. Depuis cette année, les produits Auchan Bio les plus populaires sont exposés à la fois au rayon bio et dans les rayons classiques, au milieu de leurs concurrents conventionnels. “On veut montrer au client qu’il peut lui aussi être un consommateur du bio”, explique Sandrine Caspar.
Une stratégie prolongée avec la multiplication des promotions, “pour contrer l’argument du trop cher”. Plusieurs sont effectivement repérables dans les rayons, dans le catalogue (un supplément spécial bio est désormais publié deux fois par mois) et même dès l'entrée du magasin, avec un imposant de stand de packs de lait bio au prix d'un lait standard (0,99€ le litre).
Motiver les producteurs
Cette politique active va également en direction de l’offre. “On mène des études qu’on soumet aux producteurs pour qu’ils voient ce que les clients demandent", raconte Sandrine Caspar. Selon elle : le changement, c'est maintenant.
L'an dernier, j'avais très peu de producteurs bio. Là, ils s'y mettent tous, même si c'est de l'investissement, parce qu'ils ont compris que c'est un marché porteur.
La Ferme du Mesnil par exemple, une exploitation de la Somme : “On travaille depuis très longtemps avec eux et cette année, ils ont décidé de faire des œufs bio. On vient de les référencer. Ils seront très bientôt en magasin.”
Point noir dans ce tableau : les fruits et légumes. Au fond du magasin, le stand du maraîchage bio n’occupe qu’une petite place. "Il tourne très bien", assure la manager. Cependant, des produits aussi fondamentaux que les carottes ou pommes de terres sont d’origine étrangère. Quant aux produits français, ils ne sont pas locaux.
"Ce n'est pas notre volonté, mais l'offre dans la région n'est pas énorme", plaide Sandrine Caspar... avant de relativiser : "ça démarre, tout le monde commence à créer des produits et nous les présente."
Le royaume de l’agriculture conventionnelle
Question bio, les Picards ne sont pas de grands consommateurs, mais encore moins des producteurs. Selon l’Agence Bio, en 2017, seulement 1,5% des terres cultivables des Hauts-de-France étaient passées en agriculture biologique. Et encore, la Picardie peut dire merci aux départements du Nord et du Pas-de-Calais, qui améliorent sa moyenne.
Proportionnellement aux surfaces agricoles utiles sur son territoire, les Hauts-de-France sont les pires élèves du bio en métropole. En tant que région agricole, le nombre d’exploitations bio est évidemment plus élevé qu’en Corse et Île-de-France… mais c’est tout.
Loin du modèle bio, la Picardie, terre d'agriculture industrielle, est particulièrement friande de pesticides, avec 7000 tonnes de produits dangereux vendues chaque année.
Elle compte aussi parmi ses agriculteurs un grand défenseur du glyphosate : Vincent Guyot. Très actif sur Twitter (8000 abonnés), ce céréalier du nord de l’Aisne est régulièrement sollicité par l’agence de communication de Monsanto. Même après un“vis ma vie” avec un exploitant 100% bio organisé par le magazine Envoyé Spécial, il continue de promouvoir l'utilisation du désherbant polémique.
Et dire que certains me demandent 100 fois pourquoi je fais tout ça pour le #glyphosate...
— GUYOT Vincent (@GuyotVincent02) May 16, 2019
Mais moi, je fais tout ça
pour ça :
pour moi ... et puis c'est tout. C'est simple non ???@EnvoyeSpecial pic.twitter.com/kYROrw354K
Les bulletins écologistes à la poubelle
Si le bio se vend mal et se produit peu, faut-il en conclure que les Picards ne sont pas écolos ?
La thématique écologique est de plus en plus transpartisane, mais le vote écologiste aux précédentes élections était un indicateur de la puissance des valeurs écologistes d’une population. Or en Picardie, les bulletins “Verts” ont souvent fini à la poubelle.
Prenons seulement les 3 dernières présidentielles où Les Verts ont présenté un candidat : 2012 (Eva Joly), 2007 (Dominique Voynet) et 2002 (Noël Mamère). A chaque fois, dans chacun de nos trois départements, Les Verts ont réalisé un score inférieur à leur moyenne nationale.
Déjà particulièrement pauvres, peu consommateurs de bio et très peu producteurs, la Somme et l’Aisne font donc partie des départements à avoir le moins voté en faveur des candidats écologistes aux présidentielles de 2007 et 2012.
Alors non, la Picardie, c’est pas bio ! Les raisons sont structurelles. Le constat est clair. Mais pas définitif.