Le RC Lens doit présenter bientôt toutes les garanties nécessaires à la DNCG, le "gendarme financier", sans quoi il risque une rétrogradation à l'échelon inférieur. Le club a entamé une procédure auprès du tribunal de commerce de Paris pour permettre son rachat par un nouvel investisseur.
Depuis dimanche, c'est une certitude : le RC Lens ne montera pas en Ligue 1 la saison prochaine. Privé de la manne substantielle des droits TV distribués au sein de l'élite, le club artésien va donc devoir plancher sur un nouveau budget de Ligue 2, qu'il s'est engagé à présenter à la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG) d'ici la fin du mois. Il devra aussi présenter une estimation de sa situation comptable au 30 juin prochain. Avec un actionnaire majoritaire (Hafiz Mammadov) aux abonnés absents, Lens avait dû vendre des joueurs l'été dernier pour financer la saison en cours : 13 millions d'euros avaient été récoltés ainsi grâce aux ventes des jeunes Jeff Reine-Adelaide et Yacine Fortune à Arsenal, à celle de Baptiste Guillaume au LOSC et aux pourcentages perçus sur les reventes de trois anciens pensionnaires de La Gaillette, Serge Aurier, Geoffrey Kondogbia et Gaël Kakuta. Selon le dernier rapport du commissaire aux comptes, les Sang et Or s'étaient même engagés initialement à vendre pour 17 millions d'euros de joueurs pour assurer la "continuité d'exploitation" de la SASP, mais personne n'a été vendu lors du mercato d'hiver. Le club est-il du coup parvenu à palier ce manque à gagner de 4 millions d'euros ?
Tout ce que l'on sait, c'est que Gervais Martel a réussi à "lisser" ou à reporter certaines dépenses, notamment un remboursement de crédit de 3,6 millions d'euros qui devait être versé à Swiss Life au mois de mars. Mais comme l'a reconnu le président lensois, fin février, en conférence de presse, "on ne va pas encore redire qu’on va faire des miracles dans la saison 2016/2017. C’est juste impossible. Il faudra qu’on arrive (à la DNCG) avec un dossier qui soit concret." Selon l'Agence France Presse, Gervais Martel a indiqué mi-avril à la DNCG qu'il avait trouvé un repreneur capable d'injecter de l'argent frais dans les caisses du club. Le RC Lens a même affirmé dans un communiqué en date du 14 avril avoir reçu "deux propositions de rachat". "Ce processus de cession, qui est définitivement enclenché, va permettre au club de retrouver une visibilité saine et sereine pour les années futures et d'aborder la fin du championnat avec des certitudes concrètes pour son avenir", pouvait-on lire.
Le tribunal de commerce va-t-il bientôt entrer en action ?
Le président lensois a demandé effectivement une conciliation auprès du tribunal de commerce de Paris, dont dépend RCL Holding, la "maison-mère" du club. Cette société, présidée elle aussi par Gervais Martel, détient 99,8% des actions de la SASP Racing Club de Lens. Elle est elle-même détenue à 99,99% par le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov qui ne la finance plus depuis plus d'un an. La conciliation a pour but de trouver des solutions et d'anticiper le dépôt de bilan d'une entreprise en difficulté. Un conciliateur a donc été désigné par le tribunal de commerce afin d'aider Gervais Martel à trouver des repreneurs pour le club, seul actif monnayable de la holding. Selon nos informations, les candidats intéressés avaient jusqu'à vendredi dernier, 29 avril, pour présenter une "offre ferme et définitive". La procédure étant confidentielle, nous ne sommes pas parvenus à savoir combien d'offres avaient été finalement déposées et retenues par le conciliateur. A ce jour, seul l'Ivoirien Charles-Kader Gooré s'est publiquement déclaré. Le conciliateur peut encore se donner une semaine pour obtenir une réponse d'Hafiz Mammadov. Si l'Azerbaïdjanais ne bouge pas ou refuse de vendre, Gervais Martel n'aura alors pas d'autre choix que de déposer le bilan de la holding pour ouvrir la porte à un nouveau propriétaire.On s'orientera alors vers une procédure dite de "prepack cession". Le jour où Gervais Martel demandera audience au tribunal de commerce de Paris pour faire constater l'état de cessation de paiement de la holding, le conciliateur présentera aussitôt l'offre (ou les offres) déposée(s) et retenue(s). "On va dire au tribunal, lorsqu'on dépose le bilan, qu'on a déjà la solution", nous avait résumé Me Philippe Hameau, avocat au cabinet parisien de Norton Rose Fulbright, qui a travaillé sur la première "prepack cession" réalisée en France avec l'entreprise Autodistribution. RCL Holding sera alors placée en redressement judiciaire et c'est au tribunal de commerce qu'il reviendra de désigner un repreneur, sans l'aval de Mammadov.
Le RC Lens sera-t-il dans les temps ?
Selon nos informations, un délai de quinze jours est prévu entre le dépôt de bilan et la nouvelle audience qui permettra de désigner un repreneur. Dans ce laps de temps, d'autres candidats pourront se manifester mais il faudra faire très vite. Ils devront obligatoirement déposer leur offre 7 jours avant l'audience (soit 8 jours à compter du dépôt de bilan). Le Belge Grégory Maquet, qui n'a pas souhaité - ou pu - faire de proposition dans le cadre de la conciliation, se manifestera-t-il alors ? La semaine dernière en tout cas, son entourage n'excluait pas cette hypothèse. Comme Charles-Kader Gooré, le PDG du groupe immobilier Century 21 Bénélux a déjà fait un audit financier du club. Un travail qui ne s'improvise pas à la dernière minute et qui devrait limiter le nombre de candidatures le jour venu. Au regard des délais de procédure, le temps semble d'ores-et-déjà compté. Si Hafiz Mammadov continue à faire obstruction, Gervais Martel ne devrait donc pas tarder à déposer le bilan de la holding. Mais selon le greffe du tribunal de commerce de Paris, aucune audience n'est pour l'instant programmée à ce jour concernant RCL Holding.Certains s'inquiètent encore d'un possible parasitage de l'Azerbaïdjanais. "Je vois un homme qui a mis 20 millions d'euros dans le club et qui peut vivre une vente sans son accord", a déclaré à So Foot Me Didier Poulmaire, le premier avocat sollicité par Charles-Kader Gooré pour son projet de reprise du RC Lens. "Là forcément, je dis "Attention aux voies de recours d'Hafiz Mammadov", car c'est évident qu'il va déposer des recours. Et dans la situation actuelle, le club ne s'en relèverait pas forcément". Mais selon Me Philippe Hameau, spécialiste de ce type de procédure, les risques sont limités. "L’article R.661-1 du Code de commerce dispose que les décision rendues en matière de sauvegarde, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire sont exécutoires de plein droit", explique-t-il. "Tel est le cas du plan de cession, qu’il intervienne dans le cadre d’un "prepack" ou pas. Ainsi un recours de l’actionnaire n’aurait pas d’effet suspensif. D’ailleurs, l’actionnaire ne fait pas parti des personnes autorisées à faire appel d’un jugement arrêtant un plan de cession (article L.661-6 III du Code de commerce). En outre, l’article L. 661-7 exclut la tierce opposition, c’est-à-dire le recours d’une personne qui n’était pas partie à un jugement mais qui souhaite le critiquer parce qu’il lui fait grief. Autrement dit, si un jugement ordonne la cession des actifs de cette holding, la messe sera dite pour l’actionnaire qui ne disposera d’aucun recours. Bien entendu cela ne l’empêchera pas de tenter un recours mais celui-ci devrait être déclaré irrecevable". Reste un bémol. "Un nouvel investisseur peut être réticent à investir de nouvelles sommes tant que la cour d'appel n'a pas tranché le litige", relève Me Laurent Assaya qui coordonne la pratique "Restructuration et Réorganisation d'entreprises" pour le bureau parisien de Jones Day. Dans tous les cas, Hafiz Mammadov ne disposera que d'un délai de 10 jours pour faire appel, une fois le jugement prononcé.
Que risque le club réglementairement en cas de dépôt de bilan de la holding ?
L'article 103 des règlements de la Ligue de Football Professionnel prévoit des sanctions en cas de dépôt de bilan et de redressement judiciaire. "Le club qui fait l’objet d'une procédure de redressement judiciaire est, au terme de la saison, rétrogradé dans la division immédiatement inférieure à celle pour laquelle il aurait été sportivement qualifié la saison suivante". Il n'est donc question ici que de "club" sans préciser s'il ne s'agit que de la SASP ou si cela inclut aussi sa holding.Fin février, Gervais Martel assurait qu'un dépôt de bilan de RCL Holding n'exposerait pas le club à une rétrogradation administrative. "La holding est propriétaire des parts de la SASP, mais la SASP est complètement différenciée de la holding", expliquait-il. Dans son rapport des comptes individuels des clubs, la DNCG prend en considération parfois la situation financière de la holding d'un club, notamment quand elle assume certaines charges (c'est le cas par exemple pour Lyon ou Saint-Etienne). Mais cela ne semble pas le cas pour Lens, car RCL Holding n'est pas mentionnée dans le champ d'étude. A notre connaissance, la "société-mère" ne prend en charge qu'une partie de la rémunération de Gervais Martel (27 500 euros / mois sur 40 000) en tant que président de la holding. Mais ses comptes n'ont jamais été publiés, faute d'avoir pu réunir les actionnaires pour les approuver.