Lors de sa conférence de presse dimanche, Gervais Martel a tenté de rassurer sur l'état des finances du club artésien, après l'échec du projet de rachat par Grégory Maquet. Mais le flou demeure. 

Rassurer. C'était à l'évidence l'objectif prioritaire de Gervais Martel en organisant dans l'urgence une conférence de presse, au lendemain de l'annonce de l'échec des discussions sur le rachat du club et à la veille d'un match important contre Evian-Thonon-Gaillard, peut-être décisif même dans la course à la montée en Ligue 1. "Je souhaite que tout le monde se mobilise derrière notre équipe au niveau sportif, c’est pour moi l’essentiel", a insisté Gervais Martel, s'adressant aussi bien aux supporters... qu'aux journalistes présents dans la salle. Mais a-t-il réellement convaincu ?

Un club bénéficiaire cette saison ?

Gervais Martel a affirmé avec aplomb que "le RC Lens est un club qui est dans une situation financière exceptionnelle". Mais la Direction Nationale du Contrôle Gestion (DNCG) - qui a interdit Lens de recrutement lors du dernier mercato d'hiver, malgré le départ de deux joueurs (Besle et Bekamenga) - ne semble pas vraiment de cet avis. Ni Grégory Maquet, PDG de Century 21 Bénélux et candidat malheureux au rachat. "Gervais fait ce qu'il faut pour gagner du temps mais on est proche de la fin", nous confiait l'homme d'affaires belge samedi. "Gervais peut tenir encore quelques jours, voire quelques semaines tout au plus".  Le président lensois, lui, ne se démonte pas. Non seulement il assure que le dépôt de bilan du club "n'arrivera jamais" mais il clame aussi que "cette année le club va gagner entre 3 et 3.5 millions d’euros". "Tout ça c’est en fonction de quoi ? C’est en fonction des ventes qu’on peut faire, des résultats de bilan, ils sont très faciles à analyser, et encore une fois ça a été bien fait (en référence à notre article du 7 février sur les comptes de la saison dernière NDR). Mais après il faut analyser l’ensemble des choses, le contexte et la trésorerie, mais c’est totalement autre chose."


Souvenons nous que la saison dernière, au mois de mai très exactement, Gervais Martel déclarait sans sourciller "on peut même arriver à l'équilibre" dans une interview à France Football. Mais au final, le club a enregistré une perte de 10,1 millions d'euros au 30 juin 2015. Pas vraiment l'équilibre donc, même si cette perte a pu être comblée dans le bilan comptable par deux éléments inscrits au passif : 4 millions d'euros venus d'Azerbaïdjan, versés en compte-courant par la holding ; et environ 6.2 millions d'euros "d'avances et acomptes reçus" sur les recettes anticipées... de l'actuelle saison. Selon un connaisseur du dossier, il s'agirait d'une avance consentie par Lagardère Sports (ex-Sportfive), qui gère les droits commerciaux du club (droits TV, marketing...). Une pratique légale et tout à fait courante dans le football (l'Olympique Lyonnais y a souvent eu recours ces dernières années).

Cette saison, le club va sans doute parvenir à doper ses recettes par rapport au précédent exercice, grâce aux 13 millions d'euros de ventes de joueurs enregistrés en début de saison (Jeff Reine-Adelaide et Yacine Fortune à Arsenal, Baptiste Guillaume au LOSC + pourcentages perçus sur les transferts de Serge Aurier, Geoffrey Kondogbia et Gaël Kakuta, formés au club). Ligue 2 oblige, les droits TV seront en revanche nettement plus faibles, autour de 5 ou 6 millions d'euros. Si Lens réalise les mêmes recettes de billetterie, merchandising et sponsoring que lors sa dernière saison en Ligue 2 (2013-2014), le club récoltera 9 à 10 millions supplémentaires. Ce qui fera - au total et au minimum - entre 27 et 29 millions d'euros de recettes. Mais pour dégager un bénéfice, il faudra que le club ait considérablement diminué dans le même temps ses charges d'exploitation qui s'élevaient encore la saison dernière à 36,2 millions d'euros. Certes, Lens n'aura plus à supporter les coûts liés à la délocalisation des matchs et la masse salariale des joueurs a été plafonnée à 5 millions d'euros par la DNCG (contre 6.5 la saison dernière). Mais cela semble encore insuffisant pour arriver ne serait-ce qu'à l'équilibre au 30 juin prochain. A moins de faire de nouvelles économies d'ici là ou de faire rentrer encore un peu d'argent. Mais comment ?

Tenir financièrement jusqu'en juin

D'après le dernier rapport du commissaire aux comptes du club, "la continuité d'exploitation de la SASP Racing Club de Lens pour l'exercice en cours" devait être assurée par "des ventes de joueurs pour un montant de 17 millions d'euros". On l'a vu, seuls 13 millions ont été encaissés jusqu'ici. Il en manque donc 4. Lors du mercato d'hiver, Gervais Martel n'a pas pu ou voulu vendre. "Si tu me demandes si j’ai eu une proposition pour un de mes joueurs à 4 millions, c’est non", a-t-il répondu dimanche à un confrère qui l'interrogeait sur le sujet lors de la conférence de presse. "Si tu me demandes pour 3 millions, c’est non. Qu’est-ce que tu voulais que je vende ? Quatre joueurs à 1.5 million ? Faut être logique. Aujourd’hui, on a quand même une responsabilité, c’est la responsabilité sportive. Faut que j’ai le respect de mon équipe, faut que j’ai le respect de mon entraîneur. Je n’ai pas eu de proposition. Y a beaucoup de clubs qui ont fait des erreurs car ils vaudront beaucoup plus cher la saison prochaine". En clair, Gervais Martel n'a pas vendu cet hiver pour ne pas affaiblir son effectif et les chances de montée en Ligue 1. Il pourra le faire en juin prochain, une fois la saison terminée. Mais recevra-t-il des offres satisfaisantes, à même d'équilibrer les comptes, voire de dégager un bénéfice ? C'est toute la question.


Le président lensois peut aussi espérer toucher en fin de saison une nouvelle avance de Lagardère Sports sur les recettes anticipées de la saison prochaine. Une avance qui sera d'autant plus conséquente si les Sang et Or décrochent leur billet pour la Ligue 1. Gervais Martel l'a rappelé dimanche, les droits TV seront revus à la hausse la saison prochaine pour l'élite du football français. "3 millions d'euros en plus par club en fixe", a-t-il souligné. Au regard de l'enjeu financier, on comprend que le patron du RC Lens parle de "11 finales de coupe" pour désigner les 11 dernières rencontres de championnat à venir. Mais d'ici juin, il faudra surtout tenir financièrement et préserver la trésorerie, c'est-à-dire les liquidités disponibles, nécessaires pour payer les factures et régler les salaires ces trois prochains mois.

"Posez la question à mes salariés ou à mes joueurs, ils sont payés, vous pouvez poser la question à mes fournisseurs, ça se passe globalement bien", a déclaré Gervais Martel face aux rumeurs et craintes sur la trésorerie du club. Comme les comptes du dernier exercice le laissaient entrevoir, le président lensois a reconnu avoir obtenu, fin 2015, un report d'échéance concernant un emprunt contracté auprès de Swiss Life. La saison précédente, le club avait déjà obtenu un premier sursis auprès de ses créanciers (environ 610 000 euros remboursés au lieu de 1.2 million prévus). Cette année, il aurait dû verser normalement 3.6 millions d'euros à Swiss Life, en mars. Finalement, l'établissement a accepté l'étalement de cette dette sur les quatre années à venir. Lens ne remboursera que 659 000 euros d'emprunt cette saison, soit presque 3 millions d'euros de moins ! "Le club n’a pas de dettes, mis à part Swiss Life", s'est félicité Gervais Martel devant les journalistes. "Les solutions, j’y travaille jour et nuit", a jouté celui qui tente encore de raboter les dépenses ici et là et de repousser d'autres échéances. Selon nos informations, il essaie par exemple actuellement d'obtenir auprès des services de l'état un report et un nouveau calcul de la taxe d'aménagement liée au permis de construire du nouveau Stade Bollaert-Delelis. Son montant avoisinerait le million d'euros.

Une solution juridique pour écarter définitivement Mammadov ?

Au-delà de la gestion au jour le jour, Gervais Martel a annoncé dimanche qu'il avait commencé à oeuvrer juridiquement pour écarter son associé et actionnaire majoritaire Hafiz Mammadov, qui refuse de vendre. "Le problème qu’on risque d’avoir c’est celui du 15/20 mai", a-t-il expliqué. "Pourquoi ? Pour pouvoir être présent dans une saison sportive, on doit donner les engagements nécessaires quand on repasse à la DNCG et nous, bien entendu, c’est normal, on va être un des premiers à passer devant la DNCG, aux alentours du 15/20 mai, à la fin du championnat. Et là, il faudra absolument qu’on ait ramené une solution qui soit une solution de pérennité. On ne va pas encore redire qu’on va faire des miracles dans la saison 2016/2017. C’est juste impossible. Il faudra qu’on arrive avec un dossier qui soit concret". Comme quoi la situation n'est pas aussi sereine qu'il le prétend...


Le président du RC Lens n'a pas voulu "entrer dans le détail", mais la parade, selon lui, pourrait se trouver au niveau de RCL Holding, la société parisienne qu'il a créée à l'été 2013 avec le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov pour racheter les Sang et Or. Elle détient aujourdhui 99.8% de la SASP Racing Club de Lens. Gervais Martel est le président et l'actionnaire minoritaire (0.01%) de cette holding. Le Baghlan Group possède, lui, 99.99% des actions mais ne finance plus depuis un an. Face à cette carence, le président lensois menace de déposer le bilan de la holding pour préserver sa filiale, la SASP Racing Club de Lens. "Ça peut se faire relativement aisément", a-t-il reconnu devant la presse. "C’est une des possibilités sur lesquelles on discute et un certain nombre d’opérations ont déjà été mises en place". Hafiz Mammadov, mais aussi Grégory Maquet, en ont été informés selon lui. La manoeuvre permettrait, sous le contrôle du tribunal de commerce de Paris, d'écarter le groupe azerbaïdjanais et de céder le club à un repreneur. Elle permettrait surtout d'éviter une relégation l'échelon inférieur. "La holding est propriétaire des parts de la SASP, mais la SASP est complètement différenciée de la holding", a expliqué Gervais Martel. "Si la holding est en redressement judiciaire ou dépose le bilan, il faut tout de suite qu’il y ait un repreneur qui soit présent le même jour pour reprendre la SASP".

Le premier à avoir publiquement évoqué cette solution pour sortir de l'impasse était le sénateur-maire PS d'Orchies, Dominique Bailly. "A partir du moment où la contribution de Mammadov n'est pas au rendez-vous et que Gervais n'est pas en capacité de financer, une des solutions c'est le dépôt de bilan de la holding, pas de la SASP", nous avait-il expliqué au mois de juin, alors qu'il tentait de mettre en place un projet de reprise du club avec un groupe d'investisseurs, en lien avec l'ex-président de région Daniel Percheron . "Ainsi la SASP existerait toujours et conserverait ses droits sportifs (...). Mais ce serait une autre structure qui reprendrait le club". A l'époque, Gervais Martel avait balayé cette option d'un revers de main, car RCL Holding ne se trouvait pas alors, selon lui, en cessation de paiement. L'est-elle aujourd'hui ? Impossible de le confirmer, car les comptes de cette société n'ont jamais été publiés depuis sa création. L'assemblée générale ordinaire des actionnaires, censée valider les comptes de l'exercice...2013-2014, n'a visiblement jamais eu lieu. D'après les documents consultables au registre du commerce, le tribunal de commerce de Paris avait accordé pourtant deux délais : le premier expirait le 31 juillet 2015, le second le 30 septembre. Et depuis, plus rien sur les écrans radars.


Selon Gervais Martel, il ne faudrait qu'un mois pour obtenir le dépôt de bilan de la holding. Pour autant, le délai semble très optimiste, surtout si le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov dépose un recours pour tenter de contrer la manoeuvre. S'agirait-il d'un simple coup de bluff pour contraindre l'Azerbaïdjanais à bouger ? Peut-être pas. D'après L'Equipe ce lundi, le président du RC Lens aurait déjà écrit au président du tribunal de commerce de Paris pour amorcer les choses. Pour Gervais Martel, sacrifier RCL Holding serait aussi un sacrifice personnel. Bien qu'actionnaire ulra-minoritaire de cette société, les statuts lui confèrent 40% des votes au conseil d'administration, ainsi qu'une minorité de blocage. Si la holding disparaît, Gervais Martel perdra donc tout contrôle sur le club. Les statuts lui prévoient aussi une rémunération en tant que président de la société. Mais si l'argent n'entre plus dans la holding, ce salaire, en toute logique, ne lui est plus versé.          
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