Alors que les syndicats s’attendent à une multiplication des tensions avec les demandeurs d’emploi touchés par la réforme de l’assurance chômage, la direction régionale de Pôle emploi fait confiance à la pédagogie des conseillers et aux outils de signalement des violences à leur disposition.
Est-ce un hasard de calendrier ? Alors que la réforme de l’assurance chômage entre en vigueur aujourd'hui et se traduira par des réductions d’allocations potentiellement énervantes pour les demandeurs d’emploi, France Inter révélait hier que la direction francilienne de Pôle emploi envisage de généraliser la vidéosurveillance dans ses agences, et a commandé des bracelets permettant à ses agents de déclencher une alarme en cas d’incident.
Dans les Hauts-de-France, la vidéosurveillance est aussi sur la table, mais le directeur régional ne veut pas se lancer tout seul : "Quelques agences en sont déjà dotées, j’y suis favorable partout et qu’on en parle pour dissuader, mais il faut que ce soit harmonisé au niveau national, estime Frédéric Danel. On paiera moins cher et toutes les régions auront le même système." Et les bracelets ? "On a déjà l’équivalent depuis deux ans."
Un déclencheur d’alarme dans la poche
Depuis 2019, parmi les 5 000 agents régionaux de Pôle emploi, ceux chargés d’accueillir les 600 000 demandeurs sont équipés d’une télécommande radio, dans la poche ou clipsée à leur ceinture. Elle leur permet de déclencher une alarme en cas de situation difficile et ainsi appeler les collègues à la rescousse.
"C’est un dispositif qui fonctionne plutot pas mal, qui rassure", estime Frédéric Danel, rappelant qu’"on peut avoir affaire à des déséquilibrés".
S’y ajoute, depuis plus de dix ans, un système informatique pour les agents devant leur écran. Un bouton logiciel ou une touche de clavier permet de déclencher une "alarme silencieuse". Un pop-up apparaît alors sur tous les écrans du personnel, indiquant qu’une situation difficile se déroule dans tel bureau.
Après les faits, les victimes peuvent produire un rapport : elles racontent la scène et évaluent, sur une échelle de 1 à 10, la violence de l’agression et l’impact sur elles-mêmes. Les agresseurs recevront un courrier proportionnel à la gravité de leur geste : rappel au bon sens civique, avertissement que des poursuites seront engagées en cas de récidive, ou annonce d’un dépôt de plainte - le directeur régional dit en avoir réalisé 69 cette année -.
Risques de violences et d’envahissements
Les agents de Pôle emploi sont formés à la gestion des situations délicates. Ils y sont même tristement habitués. "On a peut-être eu trois agressions physiques dans l’année, des gens qui renversent un bureau, mais les insultes, c’est le quotidien, regrette Vincent Lalouette, délégué SNU. La tension s’est même un peu renforcée ces derniers mois, ça peut parfois aller très loin."
Des mois durant lesquels la réforme de l’assurance chômage a été repoussée, jusqu’à sa redoutée entrée en vigueur ce 1er octobre. "On est inquiet, confie le syndicaliste. Les réductions pourront aller jusqu’à un tiers de l’allocation actuelle, alors une fois que les demandeurs d’emploi s’en seront rendus compte, ça va créer du ressentiment et des tensions avec le personnel."
On s’attend à tout malheureusement. Quelques semaines très compliquées, surtout dans certaines agences identifiées. On ne peut pas ne pas penser à notre collègue de Valence (assassinée par un demandeur d’emploi en janvier 2021, ndlr). La violence peut s’installer du fait d’une incompréhension entre les demandeurs d’emploi, sur lesquels la réforme va faire des dégâts, et ceux qui doivent l’exécuter alors qu’ils n’y sont pas forcément favorables. On a demandé aux agents d’être vigilants, attentifs.
Vincent Lalouette souhaiterait remettre l’organisation du travail sur la table. "La direction a retiré la compétence indemnisation des agents d’accueil, explique le syndicaliste. Tous ceux qui viennent pour ça sont renvoyés sur internet pour demander un rendez-vous avec un conseiller spécialisé. Cela pose la question des moyens humains. Il y aurait de quoi dégonfler pas mal de situations."
Le patron de Pôle emploi Hauts-de-France se montre plus confiant : "au niveau national, nous avons 7 600 conseillers spécialisés dans l’indemnisation, tous formés à la réforme" ; en cas de tensions à l’accueil, "les forces de l’ordre ont diagnostiqué que nous avions des dispositifs de sécurité élaborés, complets".
En revanche, Frédéric Danel se dit "plus vigilant par rapport aux risques d’envahissement" d’agences ou de la direction régionale elle-même. "J’en ai déjà vécu plusieurs, confie le directeur régional. J’ai rappelé ce matin à tous les agents la disponibilité de fiches réflexes indiquant les gestes et mots à employer ou pas face à des situations délicates." Une grève intersyndicale est annoncée le 5 octobre.