Alors que le mouvement contre la réforme des retraites s'est poursuivi jeudi 13 avril dans la rue, et que le Conseil constitutionnel a validé l'essentiel du texte vendredi, trois ex-gilets jaunes de l'Aisne et de la Somme ont accepté de nous donner leur point de vue sur la contestation sociale qui s'exprime depuis le début de l'année en France.
Entre occupation des ronds-points et manifestations hebdomadaires pendant près d'un an, le mouvement des gilets jaunes a fortement marqué le premier quinquennat d'Emmanuel Macron. Depuis le début du mouvement social contre le projet de réforme des retraites en janvier 2023, des gilets jaunes ont rejoint les cortèges dans toute la France, mais leur présence reste discrète alors que cette nouvelle mobilisation aurait pu être l'occasion d'une résurgence du mouvement.
Trois ex-gilets jaunes picards ont accepté de nous livrer leur point de vue sur la contestation sociale actuelle et la réforme des retraites. Entre résignation et détermination, participation ou non aux manifestations, leurs opinions divergent, mais ils se retrouvent dans leur opposition au président.
"J'ai assez donné"
"Je ne fais plus de manifestations à cause des violences policières. J'ai assez donné. J'ai été arrêté trois fois pendant les gilets jaunes", explique Pierre*, ex-porte-parole des gilets jaunes de Laon, dans l'Aisne. L'homme de 45 ans, qui a déménagé en Bretagne depuis, estime également que le mouvement manque d'ampleur. "J'étais dans l'optique de la naissance d'un nouveau mouvement qui aurait réuni d'anciens gilets jaunes et des gens du mouvement contre la réforme des retraites, mais les gens sont résignés, ils ont peur. Ils n'ont pas envie d'aller se cogner la tête dans le mur alors que ça ne changera pas les choses."
Son constat est amer. François Grenier, ancien gilet jaune du groupe "Colère en marche gilet jaune Amiens-Roye", en veut à Emmanuel Macron, mais aussi à l'extrême gauche qui selon lui "a pourri le mouvement". Lui non plus n'est pas allé manifester. Mais pour des raisons différentes.
"On aurait pu être huit millions dans la rue si l'extrême gauche n'avait pas exclu une part de la population. Ils ont exclu Le Pen, Zemmour… C'est insupportable ! Si on était tous descendus dans la rue, ça aurait fait des bataillons énormes", estime l'homme de 60 ans. "Je n'ai pas participé aux manifestations, car je ne veux pas m'associer à des gens comme madame Binet [la nouvelle secrétaire générale de la CGT] qui ne veut pas s'exprimer sur CNews", ajoute cet ancien gilet jaune de la Somme, qui a déménagé à Annecy. Il n'a pas non plus fait grève et a plutôt choisi de convaincre autour de lui et de soutenir financièrement des grévistes.
"J'ai participé à toutes les journées de manifestation"
Du côté d'Abbeville, Georges Flament, retraité de 74 ans et ex-gilet jaune de la Somme, a "participé à toutes les journées de manifestation, distribué des tracts aux ronds-points et participé à des barrages filtrants". Il est assez impressionné par la "forte mobilisation et la détermination" affichées par les opposants à la réforme des retraites.
"Le premier samedi avec les gilets jaunes, on avait bloqué tout Abbeville. Là, on n'a jamais pu faire la même chose, mais la mobilisation au cours des manifestations n'a jamais été aussi importante à Abbeville, on a eu jusqu'à 4 000 personnes", souligne-t-il. Il se dit surpris, mais ravi, que la mobilisation se maintienne au fil des semaines.
"Macron est d'un mépris incroyable"
Qu'ils aient manifesté ou non contre les retraites, les trois hommes y sont opposés. "S'il y a une réforme, j'aimerais pouvoir la voter, c'est ce qui est demandé. Quand 90% des salariés sont opposés à cette réforme, comment on peut se permettre d'être sourd et muet ?", s'interroge Pierre*.
Les ex-gilets jaunes picards sont surtout très en colère contre Emmanuel Macron. "Ce qui nous insupporte est de voir que rien ne change. Macron est d'un mépris incroyable, c'est une véritable tête à claque. Il n'aime ni la France ni les Français", s'emporte François Grenier.
Pierre* se dit de son côté "écœuré de cette gouvernance qui ne concerte pas son peuple et l'ignore. C'est un énorme manque de respect". Pour Georges Flament, "la colère est toujours là. Il n'y a pas que les retraites. Tous les voyants sont au rouge et le gouvernement ne fait quasiment rien".
*Le prénom a été modifié, la personne interrogée souhaitant rester anonyme