Après l'interruption d'un village associatif à Étouvie suite à des menaces et une agression, l'amertume face à la dégradation du quartier d'Amiens

Vendredi 27 octobre, l'événement "Ça va saigner" regroupait de nombreuses associations autours d'ateliers féministes à Étouvie, à l'ouest d'Amiens. Il a été interrompu en fin d'après-midi, suite à des menaces et gestes agressifs de dealers du quartier.

"Tout se passait très bien, l'événement avait un grand succès, ça n'arrêtait pas. Des garçons se mettaient à la couture et s'intéressaient aux menstruations alors qu'au début, ils étaient un peu dégoutés... Mais tout ça passe à la trappe à cause de cet incident", regrette une militante présente à Étouvie ce vendredi 27 septembre et qui préfère rester anonyme. 

L'incident en question, c'est l'interruption du village associatif "Ça va saigner", un événement regroupant de nombreuses associations féministes autour d'ateliers qui utilisaient malicieusement le thème d'Halloween pour parler des menstruations et du corps féminin, au centre social et culturel de ce quartier périphérique d'Amiens. La journée devait se conclure à 23 heures par un grand bal des sorcières, mais à 16 h 45, tout était terminé.

Plusieurs sources s'accordent à dire que c'est initialement un jeune homme qui a perturbé l'événement en tentant de vendre des stupéfiants aux participants. L'équipe du centre social et culturel (CSC) intervient alors pour l'en dissuader et la situation s'envenime : d'autres jeunes le rejoignent, une gifle part et des menaces sont proférées. Le personnel du CSC décide d'annuler la suite des festivités par mesure de sécurité.

"Tous les jeunes du quartier ne sont pas en guerre contre la société, c'est une infime minorité."

Laurent Beuvain, conseiller départemental PCF

La préfecture de la Somme indique que "ni le personnel, ni la direction du CSC n'ont appelé le 17 et personne n'a souhaité porter plainte après de la police. Une surveillance renforcée a été mise en place autour du site dès que la police nationale a été prévenue."

"C'est douloureux pour tout le monde" 

Élu communiste du département pour le canton d'Amiens-1, qui englobe Étouvie, Laurent Beuvain n'était pas sur place, mais s'est entretenu avec le personnel du CSC rapidement après les faits.

"J'ai tout de suite contacté Mme le maire et le préfet pour demander des forces de l'ordre, car le personnel ne souhaitait pas le faire, indique Laurent Beuvain. Le message de menace qu'on m'a rapporté, c'était « on vous a épargné pendant les émeutes, là, on ne va pas vous rater ». C’est douloureux pour tout le monde, le CSC se sent véritablement abandonné quant aux demandes de moyens et de sécurité, répétées depuis longtemps. Il y a eu des démissions ces dernières années au CSC. Il faudrait mettre fin à l’état de nuire de ces personnes qui sont là au quotidien, en toute impunité, avenue de Picardie."

La maire UDI d'Amiens, Brigitte Fouré, se dit quant à elle "très choquée de ce qui s’est passé. Ce qui me parait étonnant, c’est que personne n’a déposé plainte. La police a été informée par personne interposée, dès que j’ai su ce qui se passait, j'ai interpellé le préfet. J’étais choquée que du deal ait lieu dans des établissements dédiés aux jeunes, il faut vraiment que le nécessaire soit fait. La question du trafic de drogue est un vrai souci, il y en a trop dans nos villes, bien au-delà d’Amiens. La police nationale fait un gros travail là-dessus, une affaire a abouti cette semaine à Amiens et j'en étais contente, il faut des coups de filets réguliers. Mais cela prend du temps, de démanteler ces trafics."

Laurent Beuvain indique qu'il ne s'agit pas d'une "épidémie" de délinquance, mais d'un petit groupe d'une trentaine de personnes "qui nuisent au quotidien et qui gâchent tout ce qui fonctionne bien pour 8 000 habitants. Tous les jeunes du quartier ne sont pas en guerre contre la société, c'est une infime minorité.

Une opinion partagée par la militante présente sur les lieux, qui insiste sur le fait que les associations "ont choisi de faire l'événement à cet endroit parce que le CSC est très actif et fait des choses super à Étouvie. On veut faire progresser la société, pas participer à la stigmatisation de ce quartier, ce serait un double échec. Il faut se battre pour l'éducation populaire.

"Nous avons demandé aux trois derniers préfets la réouverture d’un commissariat"

S'il insiste sur le fait que rien ne peut excuser les agissements du vendredi 27 octobre, Laurent Beuvain n'en occulte pas pour autant le contexte dans lequel ils ont eu lieu. Pour le conseiller départemental, le quartier d'Étouvie concentrant une population plus importante qu'une ville comme Montdidier ou Péronne, il est inacceptable qu'aucune présence permanente des forces de l'ordre n'y soit assurée.  

"Les habitants réclament une présence policière en patrouille et cela se fait"

Brigitte Fouré, maire d'Amiens

"C’est avant tout une économie parallèle qui se développe sur un quartier, comme il y en a ailleurs. Cela fait plusieurs fois que nous intervenons auprès de la maire pour demander la réouverture d’un ilotage de la police, le retour de relations de confiance, indique l'élu. Nous avons demandé aux trois derniers préfets la réouverture d’un commissariat, comme avant, qui permettait un contact avec les jeunes.

La vision de Brigitte Fouré diffère. "Les habitants réclament une présence policière en patrouille et cela se fait, je suis allée il y a peu de temps à Étouvie, j’en ai parlé aux habitants pour leur demander s’ils constataient le renforcement des patrouilles et c’était le cas, salue la maire d'Amiens. Depuis les émeutes de juin, j’avais demandé cette présence accrue de la police. Mais ils sont sur toute la ville et pas à demeure. Dans le passé, il y avait une présence de la police municipale dans un local des Coursives, mais cette présence était purement formelle, cela ne sécurisait pas le quartier. Notre position est de faire en sorte que les policiers soient sur le terrain, plutôt que dans des locaux.

"Ce quartier n’est pas du tout abandonné"

Laurent Beuvain évoque un lent abandon d'Étouvie : "On a tout fait pour concentrer la misère, on a retiré les services publics, il reste seulement France services, laissé les commerces, la culture partir… Il y a quelques perspectives grâce au monde associatif, mais ça ne correspond pas aux besoins de ces 8 000 habitants. Depuis des années, les gens demandent un médecin, un dentiste, les soins de base pour ceux qui n’arrivent pas à se déplacer, car ils n’ont pas de voitures. Ce sont des manquements graves, des services élémentaires pour le bien vivre des populations.

"Nous n’avons jamais suffisamment de travailleurs sociaux, je l’entends"

Brigitte Fouré, maire d'Amiens

Dans son communiqué de réaction aux événements, le planning familial 80, lui aussi, "appelle les pouvoirs publics à réagir rapidement en consacrant les moyens nécessaires à la restauration de la sérénité dans le quartier. Cela passe notamment par des renforcements en termes de recrutement et déploiement de travailleurs et travailleuses sociaux et de présence plus importante des services publics."

Mais pour la maire d'Amiens, "ce quartier n’est pas du tout abandonné, les pouvoirs publics mettent beaucoup d’argent, nous sommes en train de conforter la mairie de quartier et de travailler avec le département pour la création d’un pôle. Nous sommes en train de voir pour reconstruire la salle de boxe, poursuivre la reconstruction de la médiathèque, le conseil départemental va rénover le collège, donc beaucoup de choses se font. Pour la santé, un projet privé de maison de santé va se monter sur le parking des coursives, les gens ne le voient pas encore et je comprends leur attente. Pour les habitants, les choses ne vont jamais assez vite et c’est bien normal."

"Nous n’avons jamais suffisamment de travailleurs sociaux, je l’entends, concède néanmoins Brigitte Fouré. Mais nous avons développé des médiateurs sociaux. Ce qui compte aussi, c’est que les habitants réagissent quand il se passe quelque chose, saisissent la police et la mairie pour que l’on puisse intervenir très vite.

Les jours d'après 

Un communiqué de la direction du CSC serait en préparation pour exprimer la colère, mais aussi la détermination, car "ils ne veulent pas baisser les bras, ils ne veulent pas lâcher le terrain à celles et ceux qui pensent qu’ils peuvent supprimer ces moments de lumière", conclut Laurent Beuvain. 

D'autres associations présentes à l'événement du 27 octobre tiennent pour leur part à rappeler que "cette belle après-midi n'aurait pas pu voir le jour dans le travail de fourmi réalisé par le personnel et les bénévoles du centre social et culturel d'Étouvie, depuis toujours. Nous restons mobilisés auprès du CSC et de ses bénévoles. Prochaine étape : Noël solidaire.

Pour l'heure, l'équipe du CSC, encore éprouvée, ne souhaite pas répondre aux sollicitations des médias. Une partie du personnel aurait fait valoir son droit de retrait, à priori pour une semaine. Le CSC restera fermé lundi 30 octobre. 

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