Deux associations de défense des droits et des libertés ont saisi le juge des référés pour contester l'utilisation par le préfet de la Somme de drones de surveillance dans le cadre des manifestations d'agriculteurs. La justice leur a donné raison et a suspendu l'arrêté préfectoral.
L'arrêté préfectoral "autorisant la captation, l'enregistrement et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs au profit des forces de sécurité intérieure du département de la Somme dans le cadre du maintien de l'ordre public", daté du 24 janvier, devait courir jusqu'au 29 janvier à 18 heures. En clair, il permettait aux forces de sécurité d'utiliser jusqu'à 70 caméras, installées sur des drones, pour surveiller les manifestations d'agriculteurs. La préfecture invoquait notamment le "risque sérieux de troubles à l'ordre public" et faisait valoir que "les lieux surveillés sont strictement limités au parcours de la manifestation".
"Il n'y avait aucun doute que c'était contraire à la loi"
Mais la mesure a fait réagir la ligue des droits de l'Homme et l'association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico), qui ont saisi le juge des référés d'Amiens pour contester l'arrêté, estimant qu'il "portait atteinte à la protection de la vie privée, qui constitue une liberté fondamentale", précise le tribunal administratif dans un communiqué.
"Selon les associations requérantes, l'atteinte au droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles était grave et manifestement illégale dès lors que la décision du préfet de la Somme ne définissait pas un périmètre de surveillance de manière suffisamment précise et circonstanciée. En outre, l'autorisation de recours aux drones portait sur un nombre excessif de caméras (70) et sur un périmètre excessivement large", précise le tribunal.
Par cette procédure de référé-liberté, les associations voulaient aussi rappeler que l'utilisation des drones dans le cadre du maintien de l'ordre est — et doit rester – très encadré. "Il n'y avait aucun doute que c'était contraire à la loi, estime Serge Slama, l'un des secrétaires généraux de l'Adelico. Le risque, c'était qu'à tout moment, dans la période de l'arrêté, qui était de plusieurs jours, les policiers pouvaient utiliser les drones. C'était un peu open bar. Normalement, s'il y a une manifestation avec un risque déterminé, le préfet autorise l'usage du drone à tel endroit précis, de telle heure à telle heure. Ce qu'autorisait cet arrêté, c'était la surveillance de toute manifestation d'agriculteurs. Dès qu'il y avait une manifestation, il pouvait y avoir un drone au-dessus de la tête des agriculteurs."
"Le but du jeu, c'est que la pratique ne s'installe pas"
Le juge des référés a accédé à la demande des associations et suspendu l'arrêté, soulignant qu'il n'était pas en conformité avec la loi quant au périmètre de surveillance, défini "de manière préventive", et pas suffisamment précise. "Il se limitait à retenir un périmètre défini de manière générale par l'ensemble des manifestations des agriculteurs se déroulant dans le département de la Somme au cours de la période comprise entre les 24 et 29 janvier 2024 sans que la localisation précise ne soit préalablement circonscrite".
Là, je pense que le message est assez clair que les préfets ne peuvent pas faire ça.
Serge Slama, l'un des secrétaires généraux de l'Adelico
Une décision qui satisfait l'Adelico. "Au-delà de ces manifestations d'agriculteurs, le but du jeu, c'est que la pratique ne s'installe pas. Là, je pense que le message est assez clair que les préfets ne peuvent pas faire ça." L'association note qu'aucune autre préfecture n'a pris des arrêtés que l'on pourrait accuser d'atteindre aux libertés individuelles dans le cadre des manifestations d'agriculteurs. "C'est même plutôt l'inverse, on voit plutôt des arrêtés où les préfets accompagnent les mouvements, précise Serge Slama, donnant l'exemple des fermetures d'autoroutes. On est dans une logique que l'on revendique depuis longtemps à l'Adelico : celle de la désescalade. Ce serait bien de faire ça avec les gilets jaunes, avec les Soulèvements de la Terre, ou tout autre mouvement : plutôt que d'aller à l'affrontement avec les manifestants, les pouvoirs publics organisent une mise à distance pour éviter la confrontation."
La suspension de l'arrêté, ordonnée par le tribunal le 28 janvier, est effective immédiatement. Le juge a également ordonné à la préfecture de verser 1 000 euros aux associations. Sollicitée, la préfecture n'a pas donné réagi à la décision de justice au moment où nous écrivons ces lignes.