Une étude sur la psilocybine, composé actif des champignons hallucinogènes démontre des effets positifs pour lutter contre la dépendance à l'alcool. À Amiens, une équipe de chercheurs a effectué des tests sur des rats. Les résultats sont porteurs d'espoir pour les personnes alcoolodépendantes.
L'alcool est la première cause d'hospitalisation en France, mais dans l'imaginaire collectif, cette substance n'est pas considérée comme une drogue. Une idée fausse que souligne le professeur Mickael Naassila, directeur d'un groupe de recherche sur l'alcool et les pharmacodépendances au CHU et à l'Université Picardie Jules Vernes d'Amiens. "On classe le tabac depuis longtemps dans les drogues, mais l'alcool est aussi une drogue très puissante qui induit des ravages au niveau social et sanitaire", explique-t-il.
Lui et d'autres chercheurs étudient la psilocybine, un ingrédient actif des champignons hallucinogènes qu'on appelle le psilocybe. "La psilocybine est une molécule classée parmi les psychédéliques qui ont la particularité d'induire des hallucinations. Elle a beaucoup d'effets dans le cerveau et c'est qu'on étudie depuis quelques années".
Des premiers essais porteurs d'espoir
Le chercheur souligne le renouveau de l'intérêt d'étudier les psychédéliques dans les pathologies psychiatriques : "c'est quelque chose d'ancien qui revient en force, notamment dans le traitement de la dépression et de l'addiction".
L'étude des psychédéliques dans les addictions a commencé à la fin des années 1950, "puis il y a eu un arrêt net aux Etats-Unis avec Richard Nixon car les psychédéliques faisaient très peur à l'époque. C'est revenu ensuite depuis les années 2000". Lui et son équipe amiénoise ont débuté l'étude de la psilocybine ainsi que celle du LSD sur l'addiction à l'alcool en 2018.
Quelques essais déjà effectués ailleurs ont déjà montré que la psilocybine réduisait de "manière rapide et durable" la dépendance chez les patients alcoolodépendants avec seulement une à deux prises de gélules, "en association avec une psychothérapie". Elle réduit également les risques de rechute.
Les expérimentations à Amiens ont concerné principalement des rats. "Avant d'expérimenter chez l'homme, on expérimente chez l'animal, on explore en premier les mécanismes, ce sont des projets qu'on appelle translationnels. Les résultats qu'on trouve sur l'animal sont testés sur l'humain", et vice versa. "Ça fait avancer plus vite sur les connaissances", précise Mickael Naassila. D'autant plus qu'on retrouve chez les rats dépendants à l'alcool un aspect compulsif et un sevrage, entre autres, qui sont aussi présents chez les hommes.
La dernière étude en date réalisée par l'UPJV a été publiée dans la revue Brain. En plus de confirmer "le potentiel de la psilocybine à combattre l'addiction à l'alcool", elle lève le voile "sur les mécanismes d'action de cette molécule", peut-on lire sur le site internet de l'Inserm. "La psilocybine réduit la rechute à l'alcool dans un modèle d'addiction chez l'animal", indique Mickael Naassila.
Le boom des psychédéliques dans la médecine
Les psychédéliques ont un effet très puissant au niveau cérébral. "Il y a une réinitialisation au sein du cerveau, un reset. Ils peuvent reconfigurer le cerveau d'un patient. Ça booste aussi la neurogenèse", donc la création de nouveaux neurones, "et ça jouerait aussi sur des récepteurs de facteur de croissance neuronale". Ces psychédéliques jouent aussi un rôle dans la plasticité du cerveau. "Les neurones vont établir de nouvelles connexions et structures cérébrales", complète le professeur.
Les psychédéliques ont tout l’aspect "expérience mystique", chez l’homme et aussi chez l’animal. Plus vous êtes sensibles à ça, plus vous allez répondre aux médicaments. On a l'impression que nos sens se mélangent, on a des hallucinations et on a l’impression de ne faire qu'un avec le monde. C’est pourquoi ces médicaments sont administrés une journée à l’hôpital sous contrôle médical.
Professeur Mickael Naassila
"Avec l'addiction, on est en mode automatique, on n'arrive pas à retrouver un contrôle du comportement" qui est perdu quand une personne est sous l'effet d'une dépendance. Les psychédéliques permettent de redonner une flexibilité : "vous pouvez à nouveau changer votre comportement".
En France, depuis quelques mois, le CHU de Nîmes a lancé des essais cliniques avec des patients alcoolodépendants qui ont aussi une dépression. "On pourrait espérer qu'Amiens participe aux essais cliniques, mais on est encore loin. Il n'y a pas encore assez de moyens dans la prise en charge addictologique", conclut Mickael Naassila.