Au zoo d'Amiens Métropole, deux tigreaux de Sumatra sont nés le 22 mars dernier. L'espèce en "danger critique" est suivie de près par le lieu et le Programme d'élevage européen. Cette naissance n'est d'ailleurs pas le fruit du hasard puisqu'elle a bien été calculée.
Le 22 mars dernier, le zoo d'Amiens a eu le plaisir d'accueillir deux bébés tigres de Sumatra. Il s'agit de la deuxième portée de Ménya, la mère, et d'Argo, le père, en l'espace de deux ans.
Mais cette naissance n'est pas du tout aléatoire. Au contraire, elle a bien été calculée. "On essaie de reproduire l'espèce et c'est sur les demandes du Programme d'élevage européen. Donc il y a vraiment un suivi génétique et de population qui est fait", explique Pierre-Louis Fiszman, vétérinaire du zoo.
Un suivi millimétré
"On décide quel couple doit se reproduire, quel individu est intéressant à reproduire et, après, quand on sait qui on reproduit, on met tout en œuvre pour que ça marche", poursuit le vétérinaire. Le zoo a suivi les périodes de reproduction, "et ça très bien marché, donc on suit et on accompagne les petits dans leur croissance pour que tout se passe bien".
Le zoo a la chance d'avoir en son sein un couple qui "marche bien" puisqu'ils ont déjà reproduit une première fois. La mère a même "très bien" élevé son premier petit, "donc on avait toutes les chances de notre côté pour que ça marche la deuxième fois".
On avait tenté de les remettre ensemble au moment des chaleurs parce qu'on est capable de suivre les chaleurs des animaux.
Xavier Vaillant, directeur du zoo d'Amiens Métropole
Mais comment se passe la grossesse d'une tigresse ? Au départ, difficile de savoir si l'animal est enceinte. "Quand on s'est aperçu, après un premier accouplement que Ménya n'avait toujours pas ses chaleurs", qui ont lieu tous les mois et demi, "on a eu la puce à l'oreille, on s'est dit qu'elle avait des chances pour qu'elle soit prise et qu'elle ait des bébés", raconte Clarisse Piaulenne, soigneuse animalière.
Au fur et à mesure, le personnel a pu observer une prise de poids et, vers le terme de la grossesse, le ventre rond et les mamelles qui apparaissaient n'ont plus laissé aucun doute. Quant à la naissance, "généralement, ils font ça la nuit, au calme". Le comportement de Ménya, qui a changé dans les derniers jours précédant l'accouchement, a laissé penser à une mise bas imminente.
Le matin du 22 mars, un des membres du zoo est arrivé et la tigresse n'a pas voulu sortir de sa caisse de mise bas, "ce qui est anormal chez elle, donc on l'a laissée tranquille et, plus tard dans la journée, on a vérifié qu'il y avait bien les deux bébés".
"On évite l'imprégnation"
Durant les premières semaines, vétérinaires et soigneurs effectuent de nombreuses observations pour vérifier que les tigreaux vont bien. Souvent, ce sont les premières heures, voire les premiers jours, qui sont les plus critiques. "Il faut que le petit tète, que la mère le laisse téter, que la croissance commence, précise Pierre-Louis Fiszman. Après, le risque est pareil pour toutes les espèces, je dirais même qu'il existe à tout âge".
Par ailleurs, il existe une autre période plus délicate : celle de la transition alimentaire. Les bébés tigres vont passer de la tétée à une alimentation solide, "et c'est une période qu'on va vraiment suivre, on va vérifier que tout se passe bien à ce moment-là". Pour le moment, à trois semaines, ils ne se sont pas encore intéressés aux aliments solides. "Normalement, dans quelques jours, peut-être une ou deux semaines, ils vont commencer à s'intéresser à ce que mange leur mère" et probablement essayer de mâchonner des morceaux de viande.
"Pour leur faciliter la tâche, on peut leur apporter des aliments solides, mais plus faciles à manger, par exemple de la viande hachée, de la pâtée pendant quelques jours ou quelques semaines pour faire une transition un peu plus douce, plus simple. Mais très vite, ils se mettent à manger de la viande jusqu'à des proies entières", indique le vétérinaire.
En dehors de l'accompagnement de base - l'alimentation et la santé -, le personnel tente d'intervenir le moins possible pour que la mère les élève à sa façon dans les meilleures conditions et que l'imprégnation, "c'est-à-dire qu'ils soient habitués au contact de l'homme", soit évitée. Le but reste de les maintenir dans l'état le plus sauvage possible afin qu'ils adoptent le comportement de leur espèce, sans être proches de l’homme, "et qu'ils soient des tigres sains dans leur tête, et pas imprégnés".
"Dans la nature, ils vivent chacun de leur côté"
Clarisse Piaulenne précise que le père, Argo, et le grand frère, ne sont pas présents avec la mère et ses deux petits. "C'est important parce que dans la nature, c'est une espèce solitaire. Ils vivent chacun de leur côté et ils se rejoignent pour se reproduire. Ensuite, ils se séparent". Le père n'a donc aucun impact ni aucun rôle dans l'éducation des petits. Il peut même être dangereux.
"S'il croise une femme avec des petits, il pourrait les tuer pour se reproduire de nouveau avec la femelle. Donc il n'y a aucun contact entre les petits et le papa", insiste-t-elle.
Le grand frère, quant à lui, va bientôt devenir adolescent et va vouloir s'émanciper. "C'est ce qui se passe dans la nature à l'âge d'1 an et demi, deux ans", observe Xavier Vaillant, directeur du zoo d'Amiens Métropole. Le risque est de le garder et de créer des conflits avec le père quand le fils deviendra mature sexuellement. Il pourrait alors tenter de s'accoupler "soit avec sa mère, soit avec sa sœur et ce n'est pas du tout ce qu'on souhaite établir dans le zoo".
Une espèce en danger critique
Le tigre de Sumatra fait partie des espèces en danger critique dans la nature, comme la majorité des tigres et des sous-espèces de tigres. "C'est la plus petite des sous-espèces de tigres qu'on trouve sur l'île de Sumatra, en Indonésie", avance Xavier Vaillant.
Plusieurs raisons ont poussé à classer l'espèce dans cette catégorie. D'abord, la taille de sa population : ils sont moins de 400 à Sumatra. Ensuite, plusieurs menaces pèsent sur les tigres de Sumatra, en grande partie à cause des actions humaines comme "la déforestation et l'anthropisation des milieux". À Sumatra, comme à peu près toute l'Indonésie, on voit "des villes tentaculaires qui s'agrandissent et qui grignotent progressivement les milieux naturels".
S'il existe encore quelques parcs nationaux protégés, la difficulté réside dans l'absence de communication terrestre les uns avec les autres. "On a des micropopulations de tigres qui ne se rencontrent plus et le risque, à court terme, est d'avoir un appauvrissement génétique de ces animaux" sur l'île.
Au niveau mondial, il y a plus de 300 individus en parc et au niveau européen, on en a 126, pour les chiffres de 2023.
Pierre-Louis Fiszman, vétérinaire du zoo
En Europe, à travers le Programme européen d'élevage, le coordinateur des tigres de Sumatra a pour mission de connaître l'arbre généalogique de tous les tigres vivants en captivité dans les établissements zoologiques membres, notamment avec des outils informatiques. "Il fait des croisements potentiels entre individus pour maintenir la diversité génétique la plus haute possible sur une durée de 100 ans", note le directeur. L'objectif est d'atteindre "plus de 90% de diversité génétique sur 100 ans, donc il travaille sur des projections".
Sur la base de celles-ci, "il fait des recommandations entre zoos pour qu'on s'échange des animaux qui naissent, donc on sait déjà que les jeunes nés chez nous très récemment partiront à un moment vivre leur vie dans d'autres zoos de l’association européenne". Ce sera bientôt le cas du grand frère qui partira d'ici la fin de l'été au Danemark.
Dans l'enclos public en juin
Pour le moment, les deux tigreaux n'ont pas encore de nom. Le zoo a prévu de solliciter ses abonnés sur les réseaux sociaux pour les aider à en choisir un. "Dans quelques jours, on va lancer un grand concours sur la base de quelques noms qu'on aura préchoisi et on verra ce que les internautes choisiront", annonce fièrement Xavier Vaillant.
Et si tout se passe bien, "et là, a priori, c'est bien parti puisqu'ils prennent du poids et ils sont en très bonne forme", les deux bébés tigres devraient rejoindre le grand enclos visible du public en juin. "Auparavant, on aura eu l'opportunité de leur donner accès à l'extérieur, déjà dans le pré-enclos qui est celui de la maternité" auquel la mère, Ménya, a accès tous les jours.
Une façon pour eux de s'habituer à l'extérieur avant la grande rencontre avec les visiteurs du zoo d'Amiens qu'on imagine déjà impatients.
Avec Marie Roussel / FTV