Face à une industrie automobile en crise depuis plusieurs années, l’avenir de l’usine Valéo d’Amiens est plus incertain que jamais. Lundi 4 novembre, le sénateur de la Somme Rémi Cardon, accompagné de députés européens, est venu à la rencontre des salariés pour exprimer son soutien et exiger plus de transparence dans les décisions de l’entreprise.
L’usine Valeo d’Amiens, qui fête ses 100 ans cette année, emploie aujourd’hui environ 800 personnes, un chiffre en nette diminution depuis le début de l’année dernière. En 2023, un premier plan social avait été mis en place, depuis plus de 200 intérimaires ont dû aller voir ailleurs, 50 salariés sont partis, volontairement ou pas. Aujourd’hui, les syndicats craignent une seconde vague de licenciements. Si le site d’Amiens ne figure pas parmi les usines destinées à la fermeture, la crainte d’un nouvel allègement d’effectifs est omniprésente. "Malheureusement, on pense qu’on va vers un second PSE", explique Gino Croisy, délégué syndical FO. "On a peur que cette fois, l’ensemble des salariés soient concernés." Une crainte, généralisée à l’ensemble du secteur de l’industrie automobile.
Le président de la République a dit qu’il est au chevet de l’automobile. Merci, mais quand on est mourant, on est à notre chevet, ce n'est pas pour ça qu’on va vivre.
Gino Croisy, délégué syndical FO
Face à cette inquiétude, le sénateur Rémi Cardon a organisé une visite sur le site, ainsi que sur l’usine Watts, près d’Abbeville, dont le propriétaire a annoncé la cessation d’activité pour le mois de juin.
Pour cette visite, il était accompagné de Chloé Ridel et Pierre Jouvel, députés européens PS ainsi que de Frédéric Fauvet, conseiller départemental.
Appel à la mise en place d'un comité préfectoral
Le sénateur PS appelle l’état à s’impliquer davantage sur le dossier, pour éclaircir la stratégie de Valeo, et garantir un dialogue avec les salariés. "Je demande la mise en place d’un comité préfectoral pour mettre de la transparence entre les salariés, l’État et le groupe", affirme-t-il.
Il a également indiqué son intention d’interpeller Antoine Armand, ministre de l’Économie, lors d’une audition ce mardi 5 novembre. "On a réussi des initiatives quasi similaires à Metex, à quelques centaines de mètres d’ici, où on était dans une union sacrée, avec l’État et les politiques de différents bords et tout le monde", souligne le député.
Un climat tendu au sein de l’usine
Le quotidien des salariés est marqué par une atmosphère pesante. Beaucoup de salariés craignent pour leur avenir. "L’ambiance est délétère, confie Freddy Léonardi, délégué CGT. Il y a des gens qui viennent avec la boule au ventre."
Le délégué syndical ne place pas grand espoir dans la visite des parlementaires, mais il espère tout de même qu’elle pourra apporter de la lumière à leur situation "Ils représentent l’État, et l’État est le premier actionnaire de Valeo. On espère qu’ils sauront peser dans la balance. Aujourd’hui, on donne des millions de subventions sans contrepartie. Il serait bien d’avoir, au moins, une sauvegarde des emplois en Picardie."
"Le marché nous tire vers le bas"
Outre la situation locale, les élus présents ont souligné la nécessité de défendre l’industrie européenne face à une concurrence mondiale accrue. Bruxelles a récemment instauré, en plus de la taxe de 10 % déjà existante, une surtaxe sur les véhicules électriques chinois, allant jusqu’à 35 %.
Un choix que Pierre Jouvet, député européen socialiste, considère essentiel pour freiner les délocalisations. "Nous voulons un protectionnisme à nos frontières, un protectionnisme européen. Parce que si aujourd’hui, on se laisse porter par un marché qui nous tire vers le bas, où Valéo lui-même crée une usine en Turquie qui va faire la même production, pour la mettre sur le marché européen, et que vous on vous met sur le carreau, ça ne marche pas, ça ne peut pas fonctionner". "À l’heure où on parle d’empreinte carbone en plus", abonde Freddy, un représentant syndical de Valeo.
Cette concurrence internationale pèse d’autant plus lourd que le secteur automobile subit de profondes mutations technologiques, notamment avec la transition vers les véhicules électriques. "Les responsables européens ont décidé que les hybrides seraient des voitures polluantes à partir de 2035", déplore Gino Croisy.
Notre projet de triple embrayage pour Mercedes, qui devait assurer un milliard d’euros de chiffre d’affaires, est tombé à 250 millions avec seulement 60 emplois sauvegardés au lieu de 250. C’est ça qui nous tue.
Gino CroisyReprésentant syndical FO
"Un arbre qui cache la forêt"
Pour Frédéric Fauvet, conseiller départemental EELV, la crise de l’industrie à Amiens va au-delà du site de Valeo. "De l’autre côté de la rue, il y a le site de Goodyear, fermé il y a dix ans jour pour jour", rappelle-t-il. "Aujourd’hui, il accueille des activités de logistique. Nos politiques doivent réaliser qu’on ne remplace pas des emplois industriels qualifiés et bien rémunérés par des emplois sous-qualifiés. À Amiens, les indicateurs de pauvreté progressent, et c’est cette spirale qu’il faut endiguer."
Dans ce contexte, les élus plaident pour une révision de la stratégie industrielle nationale et européenne. La députée européenne Chloé Ridel dénonce une politique industrielle qu’elle juge insuffisante pour maintenir les usines en France. "Depuis sept ans, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, il n’y a pas eu de politique pour préserver nos industries", estime-t-elle, citant l’exemple de l’usine Watts, qui, malgré des bénéfices, prévoit une délocalisation en Bulgarie.
Sur le territoire national, Valeo a annoncé la fermeture de trois usines. La direction amiénoise doit annoncer de nouvelles décisions pour le site samarien le 6 décembre.
Avec Claire-Marine Selles / FTV