Le 31 août 1944, la libération éclair d'Amiens : "dans les Hauts-de-France, les Allemands ont dû faire face à un tsunami allié"

Le 31 août 1944, les forces britanniques et les résistants locaux chassent les Allemands d'Amiens et libèrent la ville. Une libération qui ne prendra que quelques heures. Car l'objectif des Alliés est ailleurs, bien plus au nord.

Occupée depuis le 20 mai 1940, Amiens a subi l'exode, les bombardements, les rafles et les exécutions. La ville est exsangue et en ruines lorsque les chars britanniques y pénètrent dans la nuit du 30 au 31 août 1944. Et tout va aller très vite.

"Le 31 août, à 3h du matin à peu près, le commandant en chef des FFI, le commandant Loisy-Jarnier, va à Conty rencontrer le général Koenig qui commande les troupes alliées qui sont déjà là. Elles viennent de l'Oise, raconte Philippe Pauchet, coauteur avec Daniel Billon et Catherine Roussel du DVD La résistance dans la Somme. Les FFI (Forces françaises de l'intérieur, ndlr) sont au courant que les Alliés arrivent. Ils se mettent d’accord sur qui fait quoi. Vers 4h du matin, un avion britannique tire des fusées éclairantes. C’est le signal qui avait été convenu entre Loisy-Jarnier et le général Koenig pour que les résistants entrent en action parce que le gros des troupes alliées arrive."

La priorité : sauver les ponts de la ville

Regroupés à l'hippodrome, les résistants prennent leur poste dans la ville endormie. Leur mission est claire : sauver les ponts de la ville piégés par les Allemands, pour permettre aux Alliés de traverser la Somme et de remonter vers Arras.

À 3h30, "un premier blindé britannique qui arrive de Pont-de-Metz entre dans Amiens par le boulevard de Châteaudun, va vers le centre-ville par la rue Saint-Honoré, qu’on appelle aujourd’hui la rue Jean Moulin, et se positionne à ce qui est aujourd'hui le carrefour de la Libération", détaille Philippe Pauchet.

À 4h, les opérations commencent. Premier objectif : le pont Cagnard, dans le quartier Saint-Maurice, que les Allemands parviendront à faire sauter. Le pont des Célestins, du Maulcreux et celui de la Citadelle sont également détruits par les charges allemandes.

L'autre tâche essentielle des résistants : reprendre les bâtiments qui symbolisent la République

Philippe Pauchet, coauteur du DVD La Résistance dans la Somme

À 6h, d'autres blindés britanniques arrivent en ville. Leur objectif : neutraliser le plus possible de chars Allemands pour faciliter le travail de la Résistance. Entre 7h et 8h, l'aigle nazi qui orne le fronton de la préfecture est décroché et le drapeau français est à nouveau hissé au-dessus de la mairie.

"C'est l'autre tâche essentielle des résistants : reprendre les bâtiments qui symbolisent la République, explique Philippe Pauchet. Rétablir dès que possible la République, c'était une volonté de de Gaulle."

Au même moment, des FFI, des francs-tireurs et une dizaine de policiers de la ville s'attaquent au pont Beauvillé, miné par les Allemands. "Il y a des combats difficiles avec les Allemands qui sont réfugiés dans une maison qui est aujourd’hui un débit de tabac et ensuite dans la grande maison de maître en face", précise Philippe Pauchet. Deux policiers parviennent à neutraliser les charges explosives et le tir d'un char britannique met fin aux combats, qui feront plusieurs morts dans les deux camps.

À 9h30, les résistants réussissent à sauver les ponts de Montières. "C'est aux ponts de Montières qu’il y a le plus de morts. Dans ces combats, deux résistants d’importance qui ont aujourd’hui un nom de rue se font tuer : Georges Quarante et Edmond Fontaine", relève Philippe Pauchet.

La déroute des Allemands face au tsunami allié

À 10h, les Amiénois, terrés chez eux, commencent à sortir : les chars britanniques, rejoints par les Américains, sont partout en ville. À 12h, les cloches de la cathédrale sonnent pour annoncer la libération d'Amiens.

Reste la Citadelle à prendre à l'occupant. Ce sera fait dans l'après-midi à l'issue d'âpres combats. La quarantaine de prisonniers qui y était enfermée, des soldats anglais et américains ainsi que des résistants, sont libérés, remplacés dans les cellules par des soldats allemands.

Un peu plus de 10 heures. C'est le temps qu'il a fallu à la 2ᵉ armée britannique du général Dempsey et à la résistance locale pour libérer Amiens des quelque 5000 soldats allemands stationnés dans la ville. Une libération éclair. "Les Allemands n’avaient pas encore évacué la ville. Mais il y a eu l’effet de surprise, explique Philippe Pauchet. Ils ne s’attendaient pas à ce que les Alliés arrivent aussi vite. Et ils se retrouvent vite débordés."

Avant d'ajouter : "Ça a été rapide, oui, mais difficile".

Amiens n'est pas la seule ville à avoir été libérée au pas de charge : la région Hauts-de-France (à l'exception des ports de Calais, Boulogne-sur-Mer et Dunkerque érigés en forteresse par les Allemands) le sera en à peine six jours. Et cela seulement six jours également après l'apothéose symbolique de la libération de Paris le 25 août 1944.

Cette campagne de libérations éclair n'a rien de surprenant lorsqu'on remet les faits dans le contexte général du débarquement en Normandie du 6 juin 1944 et des combats acharnés de la bataille de Normandie. "À ce moment-là de la guerre, les Allemands sont partis dans une grande vague de retraite. Ils sont obligés de se replier : ils n’ont plus les moyens de tenir sur la Seine ni sur la Somme, confirme Nicolas Aubin, historien et auteur de La Course au Rhin. Pourquoi la guerre ne s'est pas finie à Noël. Donc dans la région des Hauts-de-France, il y a eu très peu de combats parce que les Allemands ont dû faire face à un tsunami allié. Ils se repliaient le plus vite possible et les Alliés essayaient de les talonner. Il y a quelques accrochages par endroits, mais on est sur une phase très très rapide de la guerre."

Prendre des ports et atteindre l'Allemagne

Outre le fait que les Alliés rencontrent peu de résistance ennemie, ils veulent aller vite. L'objectif principal : arriver en Allemagne. Il faut également empêcher la reconstitution d'unités de la Wehrmacht ou de la Luftwaffe que la retraite des troupes allemandes pourrait permettre. "Tous ces soldats en déroute n’ont à ce moment-là quasiment plus aucune valeur combative puisqu’ils ont perdu le gros de leurs armes lourdes et l’essentiel de leurs véhicules, constate Nicolas Aubin. Mais une fois qu’ils auront réussi à retrouver du matériel et à se rétablir, ça redeviendra difficile pour les Alliés."

Il faut donc remonter le plus vite possible vers le nord. La stratégie arrêtée est d'avancer selon deux axes : l'un suivant la ligne de progression Amiens/Maubeuge/Liège/Anvers/la Ruhr et l'autre, suivant la ligne Verdun/Metz/Sarrebruck.

Ca commence à être une course entre les généraux à celui qui ira le plus vite. (...) En plus de la guerre entre les Alliés et les Allemands, il y a une compétition à l’intérieur du camp allié.

Nicolas Aubin, historien

L'axe Amiens/Anvers est confié à la 2ᵉ armée britannique, commandée par le général Dempsey, entourée au sud des Américains commandés par Hodge et Patton et au nord pas les Canadiens de Crerar :

"À ce moment de la bataille, les généraux alliés commencent à imaginer qu’ils peuvent finir la guerre avant la fin de l’année, voire avant la fin de l’automne. Donc ça commence à être une course entre les généraux à celui qui ira le plus vite à franchir les frontières de l’Allemagne. Il y a des lauriers à récolter, explique Nicolas Aubin. En plus de la guerre entre les Alliés et les Allemands, il y a une compétition à l’intérieur du camp allié. Il y a des tensions entre Montgomery et les Américains de Patton, les Américains exigeant la priorité du ravitaillement pour foncer en Lorraine et Montgomery défendant l’idée qu’il faut aller en Belgique et aux Pays-Bas pour rester en contact avec les ports qui sont indispensables au ravitaillement."

La priorité est donnée finalement au premier axe d'avancée, celui mené par Montgomery notamment parce qu'il est jalonné de nombreux ports, dont celui d'Anvers. "Le drame des Alliés, c’est que les ports français qu’ils prennent, à part celui de Dieppe, ne sont plus que des champs de ruines. Et donc pas opérationnels avant plusieurs semaines", déplore Nicolas Aubin.

Un enchaînement de libérations éclair

À tous ces impératifs, s'ajoute un autre objectif propre aux troupes britanniques : prendre les rampes de lancement des V1 et des V2 installées dans la Somme et le Nord. C'est depuis ces pas de tir que Londres est régulièrement pilonnée. "D’un point de vue strictement militaire, les prises des V1 ont un impact quasi nul mais politiquement parlant, auprès de la population britannique, il est essentiel que ces raids s’arrêtent. Donc Churchill met la pression à Mongomery pour qu'il prenne cet objectif le plus vite possible".

Si les ordres imposent d'aller vite, les États-majors ne sont pas déçus. La 2ᵉ armée britannique se met en route le 27 août après avoir participé à l'encerclement à Falaise d'une partie de l'armée allemande engagée en Normandie. Sa progression se fait à toute allure. Il faut dire que la plate campagne picarde, ouverte et dégagée, permet aux chars de rouler plus rapidement que ne le permettait le bocage normand.

Le 30 août à 17h, les blindés du XXe corps de la 2ᵉ armée britannique libèrent Beauvais. Grisé par ce succès, le commandant du corps ordonne à ses hommes de reprendre la route en direction d'Amiens, de nuit.

Dès le 1ᵉʳ septembre, les convois repartent et libèrent dans la journée Vimy, Arras et Douai. Le lendemain, les forces alliées traversent la frontière avec la Belgique en divers endroits. Le 4 septembre, elles sont à Anvers. Une prise qui ne sera finalement pas des plus utiles à la logistique des troupes alliées : "les bouches de l’Escaut, qui commandent l’entrée du port, sont toujours aux mains des Allemands et le resteront jusqu’à début novembre 44. Donc le port d’Anvers est intact, mais pas utilisable."

À Amiens, la population sort peu à peu de sa torpeur et réalise l'ampleur des destructions : près de 150 hectares de terrain habités ont été rasés, plus de 5000 immeubles ou maisons sont à terre, 15 000 sont endommagés.

Au sol, un million de m3 de gravats.

L'épuration a par ailleurs commencé. Une soif de vengeance guidée par des années de misère, de peur et de souffrance dont il va aussi falloir se libérer.

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