Le street art et les fresques murales sont de plus en plus visibles dans les villes. Un art qui puise ses origines dans le béton de nos cités. À Amiens, dans le centre-ville, il suffit de tourner la tête pour apercevoir ces œuvres qui ornent les façades et l'intérieur des lieux publics. Des œuvres qui ont aujourd'hui vocation à durer.
Au pied d'un escalier mécanique pas encore en service, Fabien "Exkuz" Mazé se concentre pour que son trait soit précis. Un gros pinceau enduit de peinture noire en main, il délimite les contours de ce que sera bientôt une fresque gigantesque. Ses formes géométriques et ses couleurs apaisantes vont habiller l'entrée d'un magasin du centre-ville d'Amiens dont l'ouverture est prévue le 28 novembre.
Une première pour ce street artiste, qui expose déjà ses œuvres dans des galeries et qui a longtemps peint des graffitis clandestinement.
Faire découvrir l'univers de la street culture
Alors le va-et-vient des ouvriers et les bruits incessants de chantier qui l'entourent aujourd'hui, il en a vécu d'autres. "J’ai été amené à peindre dans des endroits qui ne sont pas accessibles, qui ne sont pas vus. J'ai été aussi amené à prendre des risques pour peindre, avoue-t-il. Et aujourd’hui, le fait de montrer ma création dans un espace comme celui-ci, ça me fait une sorte de vitrine. Il va y avoir du passage, des gens qui vont voir ce que je fais. C'est une façon de partager mon univers et ce que je fais avec les gens. Je considère un peu ça comme une forme de reconnaissance."
Car le street art se démocratise et intègre de plus en plus à Amiens. Depuis trois ans, sous l’impulsion de l'association Curb, des street artistes investissent les murs de la ville. Ici, une fresque monumentale sur la façade d'un gymnase.
Là, le portrait d’une agricultrice des hortillonnages sur un mur décrépit d'une rue piétonne réalisée par l'artiste italien Alberto Ruce. "Sa particularité, c'est de travailler sur des murs qui ont déjà vécu. Ce mur a des défauts et de ces défauts, il va en tirer un bénéfice pour en sortir une œuvre comme si elle avait toujours été sur ce mur, comme si le mur transpirait cette œuvre, décrypte Yann Colignon, directeur et curateur à l'association Curb. Associer l'artiste au territoire, c'est un objectif de Curb. L'idée, c'est de faire comprendre tout l'univers qui tourne autour de la culture urbaine qui est une culture du partage. Les artistes ont vraiment envie de s'ouvrir au plus grand nombre. Ce qu'on veut aussi, c'est permettre aux gens d'avoir un œil différent sur la ville comme avec ce mur."
Ce portrait XXL d'une maraîchère des hortillonnages fait partie de l'édition 2023 d'IC.ON.IC. Depuis trois ans, ce festival dédié à la culture urbaine habille la ville d'octobre à mi-novembre.
Ce qu’on souhaiterait, c'est qu’il y ait un écosystème culturel autour de l’art urbain.
Pierre Savreux, vice-président d'Amiens métropole en charge de la culture
Une volonté affichée de la municipalité de rendre accessible à tous cet art dont certaines œuvres sont conservées. Mais aussi l'ambition de faire d'Amiens la nouvelle capitale du street art. "Dans le quartier Saint-Leu, il y a beaucoup d'habitants qui n'ont jamais franchi les portes d'un musée pour aller voir une œuvre d'art, explique Pierre Savreux, vice-président d'Amiens métropole en charge de la culture. Et là, ils ont des œuvres d’art qui sont directement visibles dans la rue. C'était important de nous de rendre plus accessible et de permettre à des artistes d'être plus visibles. L'idée maintenant, c'est de structurer une filière autour de l'art urbain, de ne pas être seulement sur l'évènementiel, ce qui était nécessaire dans un premier temps pour donner de la visibilité à la filière. Maintenant, ce qu'on souhaiterait, c'est qu’il y ait un écosystème culturel autour de l'art urbain."
Quand le street art rencontre un monument historique
Et quand la culture urbaine se fait plus visible, c'est l'occasion pour les artistes de laisser leurs traces dans des lieux chargés d'histoire. Au cirque d'Amiens, une fresque de plus de quinze mètres orne désormais le hall d'entrée.
C’est un lieu pour des gamins de 3 ans comme pour des seniors. Donc je voulais que cette fresque puisse parler à n’importe quel âge.
Clément Laurentin, street artiste
Une commande pour laquelle Clément Laurentin a mêlé l'univers des arts du cirque à celui de Jules Verne. Des lignes art déco, un travail en sépia, des tons gris et voilà des voltigeurs et un homme canon qui virevoltent sur les murs, entre passé et modernité "Il fallait parler de traditions, mais c'est un lieu d'aujourd’hui qui vit toujours. Il fallait qu'il y ait ce double aspect-là, reconnaît l'artiste, Clément Laurentin. J'ai assez joué sur des éléments traditionnels du cirque : les voltigeurs, l'homme canon. Je ne sais pas s’il y a encore des hommes canons, mais ce sont des symboles et des personnages que je trouve très amusants. Ce que j’avais aussi beaucoup en tête quand j'ai préparé cette fresque, c'est qu'un cirque, c'est un lieu pour tout le monde : c'est un lieu pour des gamins de 3 ans comme pour des seniors. Donc je voulais que cette fresque puisse parler à n'importe quel âge. Faire de l'abstraction dans ce lieu-là, ça m'intéressait moins. Je voulais une fresque accessible à tous."
Ce qui au départ ne devait être qu'"un projet de home staging, un petit coup de peinture, un petit coup de frais", selon Yannick Javaudin, nouveau directeur des lieux, s'est transformé en véritable projet artistique. Et de conclure : "Ce que je voulais, c'est quelque chose qui ne lasse pas. Cette œuvre, elle est là pour rester au moins 10 ans, j'espère et qu'elle va continuer à vivre et qu'elle ne soit jamais anecdotique."
Avec Elise Ramirez / FTV