Maria Pereira meurt soudainement le 22 avril 2016 au CHU d’Amiens. Du Tramadol, correspondant à 3,5 x la dose létale, est retrouvé dans son sang. Pour sa fille qui témoigne aujourd’hui, ce décès intervient 4 ans avant celui d’une autre patiente, Liliane Deteve, dans les mêmes circonstances.
Dans des conditions similaires, dans le même hôpital. Difficile de ne pas faire de lien entre la mort soudaine de Liliane Deteve, le 31 août 2020 au CHU d’Amiens à la suite d’une injection létale de Tramadol, et celle de Maria Pereira, décédée 4 ans plus tôt, le 22 avril 2016. L’autopsie de cette dernière a révélé la présence de 7 050 ng/l de Tramadol dans son sang. Soit 3,5 x la dose létale. "S’il n’y avait pas eu de Tramadol, elle serait encore là", témoigne sa fille, Élisabeth Brulant. Cela fait 7 longues années qu’elle attend des réponses.
Hospitalisée à Amiens pour une leucémie
Tout commence le 7 avril 2016. Hospitalisée dans un premier temps à Compiègne, Maria Pereira, 58 ans, est diagnostiquée d’une leucémie. Elle est alors transférée au CHU d’Amiens, lieu où elle débutera une chimiothérapie d’une durée de 10 jours. Si la leucémie est une maladie grave, Maria Pereira n’est pas à un stade avancé et se sent relativement bien les premiers jours de son hospitalisation.
"Elle est arrivée un samedi, la chimio a commencé la semaine suivante. On lui a déposé un picc-line (ndlr : un cathéter veineux). J’ai tout de suite signalé qu’il y avait un souci, ça suintait", raconte Élisabeth Brulant. Il ne sera retiré du bras de Maria Pereira que quelques jours plus tard.
L’infection est profonde et un interne en chirurgie plastique se rend dans sa chambre pour effectuer les soins, "sans anesthésie et qui consistaient à gratter profondément la plaie. Ça lui a engendré une douleur énorme, le personnel médical nous a dit qu’ils l’entendaient hurler depuis les couloirs". Selon les dires d’Élisabeth Brulant, L’équipe soignante désavoue même les méthodes de cet interne et demande à la famille de lui interdire l’accès à la chambre.
Du Tramadol pour soulager la douleur
Alors, pour soulager la douleur liée à l’infection, le personnel soignant du CHU d’Amiens opte pour l’administration de Tramadol, par pousse-seringue électrique. "Normalement, on met plutôt des pochons, car il y a toujours un danger", explique la fille de Maria Pereira, travaillant elle-même dans le secteur hospitalier. La patiente fait alors un premier problème respiratoire, "pour lequel la famille n’a même pas été informée".
Une plainte pour "homicide involontaire"
Le 22 avril 2016, Gaspar Pereira, le mari de Maria, arrive en début d’après-midi au CHU. "On lui dit d’attendre en salle des familles, car le personnel médical fait des examens à ma mère depuis la matinée". Quelques minutes plus tard, un médecin lui annonce le décès de sa femme. "ll n’a eu aucun accompagnement, on l’a laissé seul dans la chambre avec ma mère", raconte Élisabeth Brulant, qui arrivera avec sa sœur, peu de temps après le décès. "Pendant notre absence, l’hôpital a demandé à mon père de signer une demande d’autopsie". Une demande réitérée en présence des filles.
Ils disaient que la mort a été causée par un œdème aigu du poumon, puis que c’était un arrêt cardiaque ou encore que c’était à cause du staphylocoque présent dans la plaie. Staphylocoque dont nous n’avions même pas connaissance.
Elisabeth Brulant, fille de Maria Pereira
Cette après-midi au CHU d’Amiens, l’ambiance devient alors "très bizarre" : "Ils nous ont invité à les rencontrer en salle de réunion. Ils ont à nouveau insisté pour que l’on signe leur document. C’était très oppressant", poursuit Élisabeth Brulant. Ne se sentant pas en confiance, la famille refuse de réaliser l’autopsie à Amiens et dépose plainte dans la foulée pour "homicide involontaire". L’autopsie du corps de Maria Pereira sera alors réalisée à Creil. Avec le CHU d’Amiens, la communication est rompue.
Une dose létale de Tramadol retrouvée dans le sang de la défunte
Ce n’est que 14 mois plus tard que les résultats sont communiqués à la famille Pereira. L’autopsie prouve la présence de 7 050 ng/l de Tramadol dans le sang de la défunte. C’est 3,5 x la dose létale. "On est tombé de très haut. On pensait que sa mort avait été causée par l’infection. C’est le choc".
Sur le certificat de décès, c’est noté "mort naturelle". Comment on peut dire qu’elle est morte naturellement ?
Elisabeth Brulant, fille de Maria Pereira
"On attend des réponses. Tout ce que l’on sait, c’est que des expertises sont en cours", poursuit Élisabeth Brulant. "On a voulu rester dans le silence pour protéger l’instruction, mais plus le temps passe plus la réalité s’éloigne". Comme elle s'est déjà exprimée en ce sens dans les colonnes du Courrier picard, la famille nous confirme attendre que Maria Pereira soit reconnue comme victime. "Trouver un coupable, je n’y crois plus. Mais on veut que l’hôpital reconnaisse ses erreurs".
"Concrètement, l’affaire Deteve, c’est ce qui nous a poussé à parler. Ça a recommencé 4 ans après la mort de ma mère. Si d’autres personnes sont concernées, il ne faut pas qu’elles hésitent à se manifester", conclut Élisabeth Brulant.
Contacté, le CHU Amiens-Picardie répond que "deux enquêtes judiciaires différenciées sont en cours et que les causes respectives du décès des patientes concernées restent à déterminer ; l’établissement s’en rapporte à la justice quant à la manifestation de la vérité".