Journaliste en Afghanistan, Ali Sajad Mawlaee a fui son pays après la prise de Kaboul par les talibans, il y a trois ans, le 15 août 2021. Il a accepté de revenir sur son parcours, depuis son départ d'Afghanistan à cause de son métier jusqu'à son installation à Amiens, en passant par un long séjour contraint au Pakistan.
En 2021, Ali Sajad Mawlaee a fui son pays, l'Afghanistan. "J'ai trop écrit sur les talibans," considère le journaliste âgé de 26 ans, à propos des fondamentalistes islamistes qui ont pris le contrôle du pays au 15 août 2021. Menacé, Ali Sajad a depuis trouvé refuge en France : il habite à Amiens et compte étudier le français à Lille à la rentrée prochaine.
Ce natif de Ghazni, une grande ville du centre de l'Afghanistan, travaillait à Kaboul, la capitale, comme journaliste free-lance. "J'écrivais pour différents médias nationaux, comme Subh e Kabul ("Kaboul matin"), Etilaat e Roz ("Informations du jour") ou encore Noon weekly. J'ai aussi pu collaborer avec la BBC, énumère-t-il. J'étais amené à écrire sur les droits de l'Homme, sur les problèmes de sécurité dans le pays, et évidemment sur les groupes fondamentalistes tels que les talibans".
Un régime de "restrictions et de dangers"
Le pays s'appelait alors la République islamique d'Afghanistan et était dirigé par des présidents, depuis l'intervention américaine de 2001 qui avait chassé les talibans du pouvoir. Vingt ans plus tard, ces derniers menaient toujours une guérilla contre le régime soutenu par les Américains.
Mais en 2021, le retrait progressif des troupes américaines a précipité le retour des talibans. "Je me souviens que le 15 août, j'écrivais un papier pour RFI pour décrire la situation dans le pays. Puis on a appris que le gouvernement était tombé," se souvient Ali Sajad. Les jours qui suivent sont rythmés par "beaucoup de restrictions et de dangers".
C'était une période terrible. Partout, je me sentais en danger. Il fallait faire profil bas. J'ai trop écrit sur eux, sur Twitter notamment, à propose des choses illégales qu'ils font subir aux femmes, sur les droits de l'Homme.
Ali Sajad Mawlaeejournaliste afghan
Comme pour tous les Afghans, le vestiaire d'Ali Sajad doit correspondre aux exigences de sobriété des talibans. "On doit éviter de porter des vêtements anormaux pour eux. Avant le 15 août, je portais des jeans, raconte le journaliste. Après le retour des talibans, on pouvait avoir des problèmes si on portait des vêtements occidentaux. Ça signifie pour eux qu'on rejette le pays et ses traditions." Idem pour la barbe : "J'en porte une, mais elle n'est pas assez longue pour les talibans, qui refusent de la couper ou de la tailler." Et les médias libres disparaissent.
Un séjour prolongé au Pakistan
Sentant l'étau se resserrer, Ali Sajad prend la décision de fuir seul l'Afghanistan le 5 mars 2022. Célibataire et sans enfant, il part en voiture pour le Pakistan où il gagne la capitale, Islamabad. "Il n'y avait plus rien de sûr, je n'avais plus de repère," se rappelle-t-il.
À Islamabad, il commence les démarches pour gagner la France via son ambassade. "J'avais un document du Syndicat national des journalistes [le SNJ, syndicat français, NDLR] qui attestait que je courais un danger en Afghanistan, et j'ai aussi été aidé par Reporters sans frontières," précise-t-il. Les rendez-vous à l'ambassade se multiplient, et Ali Sajad reste finalement un an et vingt jours au Pakistan.
Je me rendais à l'ambassade toutes les deux semaines. C'était une période de dépression et d'anxiété, j'ai perdu 10 kilos, je n'avais pas d'espoir. J'attendais impuissant.
Ali Sajad Mawlaeejournaliste afghan
Bloqué dans le pays voisin, Ali Sajad prend régulièrement des nouvelles de sa famille. Ses deux frères aînés émigrent à leur tour au Royaume-Uni et en Allemagne en 2023, laissant les parents et le plus jeune frère à Kaboul. "Mes parents retraités n'ont pas de problèmes. Mais pour mon frère, dont l'idéologie n'est pas celle des talibans, c'est dur. Il ne peut pas trouver d'emploi," regrette Ali Sajad.
L'arrivée à Amiens
Finalement, le jeune journaliste obtient le statut de réfugié politique et émigre en France le 29 mars 2023. Il reste une semaine à Paris pour finaliser ses papiers, est ensuite envoyé par l'administration à Marseille, puis à Avignon. Il choisit enfin de poser ses valises à Amiens. "On m'a proposé cinq villes, et c'est celle qui semblait avoir le meilleur cadre universitaire pour apprendre le français. J'ai une préférence pour les lieux calmes maintenant, après avoir séjourné à Paris," sourit-il. Avant d'ajouter : "Et il fait beaucoup trop chaud à Avignon !"
Arrivé à Amiens au cours du mois de septembre 2023, Ali Sajad n'a pas pu bénéficier du programme d'apprentissage du français que proposait l'Université de Picardie (UPJV). Il a néanmoins débuté des cours de français via l'OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration) et des formations de retour à l'emploi grâce à l'AIDEQ (Association d'insertion pour le développement de l'emploi et la qualification), notamment via un stage au Courrier picard. "J'ai écrit quatre ou cinq articles en anglais, qui ont ensuite été traduits en français et publiés," raconte le jeune Afghan, fier.
"Je ne peux plus retrouver ma famille, c'est dur. Mais j'espère qu'un jour, si la situation s'améliore, je pourrai rentrer."
Ali Sajad Mawlaeejournaliste afghan
Ali Sajad compte poursuivre son apprentissage du français à l'université à Lille à la rentrée. "J'attends leur réponse," glisse celui qui compte se former en droit international, après avoir étudié les sciences politiques en Afghanistan. Le pays natal reste dans un coin de sa tête : "Je ne peux plus retrouver ma famille, c'est dur. Mais j'espère qu'un jour, si la situation s'améliore, je pourrai rentrer."