Doubles remboursements, détournement et argent cash : les dépenses du président du département de la Somme dans le viseur de la justice

Stéphane Haussoulier faisait face aux juges du tribunal de Beauvais, ce mardi 1er octobre, dans un procès où il est accusé d'escroquerie, de détournements de fonds, de blanchiment et d'abus de confiance. Les faits s'étalent sur huit ans et dans les différentes institutions où il est élu ou salarié. Récit d'une audience-fleuve.

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Les charges qui pèsent contre Stéphane Haussoulier, président du département de la Somme depuis 2020, sont lourdes. La facture aussi : le tribunal lui reproche d’avoir indûment perçu 367 991 euros de la part des divers organismes dont il est élu ou salarié. Seize chefs d’accusation pèsent sur lui, dont quatre mises en cause pour escroquerie et d’autres pour abus de confiance et détournement de fonds. 

Ce mardi 1er octobre, le tribunal s'est intéressé aux doubles et triples remboursements de frais de restaurants et déplacements perçus par l'élu. Mais aussi à 281 486 euros retirés en liquide avec les cartes bleues des différentes fédérations du bâtiment où il officie.

Accompagné de trois avocats, Stéphane Haussoulier a choisi une ligne de défense simple : ce ne sont que des négligences, des erreurs commises par un homme débordé par ses multiples fonctions. Ses avocats ont demandé l'abandon de toutes les charges.

Le procureur de la République a pour sa part requis une peine de 2 ans d'emprisonnement avec sursis et 60 000 euros d'amende, mais surtout, trois ans d'inéligibilité et d'interdiction d'exercer des fonctions en lien avec les délits dont il est accusé. Le tribunal rendra son verdict le 19 novembre. 

La trahison du sénateur

Les ennuis de Stéphane Haussoulier commencent avec une dénonciation de Laurent Somon, ex-président du conseil départemental de la Somme et maintenant sénateur, en plus d'avoir conservé des fonctions au département. 

Le 25 mai 2022, Laurent Somon adresse un courrier au procureur de la République à Amiens, "révélant un système de double remboursement de frais de déplacements, entre agence de l’eau Artois Picardie, le Syndicat mixte de la baie de Somme et le Département, mis en place par Stéphane Haussoulier", résume la présidente du tribunal Hakima Taleb. L'enquête préliminaire est lancée, puis clôturée avant d'être dépaysée à Beauvais pour éviter tout conflit d'intérêt. 

Ce dossier a une coloration politique que vous devez prendre en considération

Maître Mehdy Azeggagh

Avocat de Stéphane Haussoulier

À cette période, les deux hommes ne sont pas amis : Laurent Somon a quitté avec fracas le groupe majoritaire du département présidé par Stéphane Haussoulier après que ce dernier a annoncé son soutien à Emmanuel Macron dans le cadre de la campagne présidentielle. 

Un contexte politique que la défense n'a pas manqué de souligner. "Cette enquête suit la voie de cette dénonciation, ce dossier a une coloration politique que vous devez prendre en considération", indique l'un de ses avocats, Maître Mehdy Azeggagh, pendant sa plaidoirie. Avant de souligner qu'il perçoit les investigations de cette enquête tentaculaire comme "légères". 

En parallèle aux premières investigations, la Cour des comptes lance un audit du département de la Somme, qui permettra de mettre au jour d'autres irrégularités. "Il n’est pas question d’avoir un discours moralisateur ou politique, d’apprécier des rivalités", rappellera le procureur Clotaire Zengomona au début de sa réquisition. 

Doubles et triples remboursements : un vaste exercice de comptabilité

Il aura fallu plus de sept heures d'audience pour éplucher les notes de frais et retraits réalisés par Stéphane Haussoulier durant ces huit dernières années de mandats. Il lui est notamment reproché d'avoir facturé des dépenses à la fois au département de la Somme qu'il préside (et pendant sa vice-présidence préalable), à la mairie de Saint-Valery-sur-Somme où il était maire jusqu'en 2020 et au Syndicat Mixte de la Baie de Somme, qu'il préside aussi.

Des frais lui ont également été indûment remboursés par la Fédération régionale du bâtiment, où il était salarié jusqu'à sa démission au printemps 2024. Stéphane Haussoulier a depuis remboursé cette fédération. 

Pendant quatre heures à la barre, Stéphane Haussoulier semble avoir réponse à tout. Les doubles et triples remboursements ? "Ça fait partie de la confusion générale qui est la mienne, si je me retrouve devant vous, c’est parce que j’ai commis des erreurs et été négligent", répond le président du département. 

Vous ne seriez pas devant le tribunal correctionnel pour une ou deux erreurs.

Clotaire Zengomona

Procureur de la République

Les déplacements dans le sud avec la voiture du département, épinglés il y a quelques mois par la Cour des comptes ? Des déplacements en lien avec ses mandats, mais réalisés sur ses périodes de vacances. Les tickets de péage ne correspondent pas à ses déclarations en garde à vue ? "J'étais en vacances, j’avais le temps, je n’ai plus pris l’autoroute". Les remboursements des déplacements aux réunions de l'Agence de l'eau où il n'est pas inscrit à la liste des présents ? "J'arrivais souvent en retard, la feuille à signer n'était plus là.

"Vous ne seriez pas devant le tribunal correctionnel pour une ou deux erreurs, lui assène le procureur. Nous avons 173 doubles demandes de remboursement de repas. Que vous demandiez des remboursements aux mauvais organismes, d’accord, mais que vous demandiez plusieurs fois le remboursement d’un repas ? Que vous invoquiez l’erreur, la négligence, alors que vous êtes à l’origine des demandes, c’est particulièrement surprenant."

Ses avocats plaident l'homme pressé. Ils insistent sur le fait que Stéphane Haussoulier mange une à deux fois par jour au restaurant. D'après leurs estimations, les 173 repas concernés ne représentent qu'un peu moins de 7% des repas de ces huit années. Ce qui fait tout de même une moyenne d'un repas sur quinze. Les dates de certains des triples remboursements – il y en a onze en tout – attisent également la curiosité : l'un a eu lieu le 31 décembre, un autre, le 14 février, un troisième, le 21 août, date de l'anniversaire du prévenu. 

Pendant l'enquête, des agents des collectivités concernées confirment qu'ils se contentent des justificatifs de l'élu "qu’il n’existe pas de plafond, qu’il n’est pas possible qu’il y ait eu des erreurs dans le calcul. Ils ne recoupent pas les demandes auprès d’autres organismes, en raison de la confiance ou de l’embarras hiérarchique. 'On fait ce qu’on nous dit de faire' ont affirmé certains", résume la présidente.

D'autres avouent que la situation était connue par plusieurs membres des collectivités. "Ces témoignages de gens à charge, je sais pourquoi ils sont à charge, ce sont des gens qui doivent beaucoup à mon prédécesseur. Ces personnes me calomnient", assure Stéphane Haussoulier. Ses avocats demandent son acquittement pour toutes ces accusations, plaidant l'erreur. 

Strip-tease, alcool et cash : les bons frais du BTP

L'autre volet de ce dossier concerne les fonctions de Stéphane Haussoulier à la Fédération régionale des travaux publics de Picardie, un organisme censé être dissous en 2016 suite à la création de la région Hauts-de-France. La structure existe toujours sans motif officiel. Stéphane Haussoulier dispose de ses moyens de paiement, comme de ceux du Syndicat des travaux publics de Picardie, le tout étant lié à la Fédération régionale des travaux publics des Hauts-de-France, son ex-employeur. Un mille-feuille qui sème la confusion, même dans les rangs des juges. 

Les comptes du Syndicat et de la Fédération des travaux publics de Picardie révèlent des paiements pour le moins curieux. Notamment des achats d'alcool régulièrement supérieurs à 1 000 €, un dîner dans le restaurant de luxe Le Georges V à plus de 6 500 € et une soirée dans un strip-club où la facture dépasse les 1 200 €. 

Là aussi, le prévenu justifie toutes ces dépenses comme "en lien avec son mandat". Le repas de luxe serait une gratification pour ses administrateurs. L'alcool, nécessaire pour les cocktails qu'il organise. La question du strip-club le fait tout de même bafouiller, mais "c’était après un repas à Paris, j’aurais dû dire à mes administrateurs que ce n’était pas le plus approprié. C’était dans un cadre professionnel, c’était avec les administrateurs". L'élu reconnaît que "c'était idiot d'y aller avec les moyens du syndicat".  

"A posteriori, c'est facile de dire que c'était en lien, soulignera le procureur. Rien n'est justifié, dans une société, on ne peut pas simplement dire que l'on a fait tout et n'importe quoi avec une carte bleue sans le rattacher à rien."

Plus troublant encore : Stéphane Haussoulier a retiré plus de 280 000 € en cash. "Pour les dépenses imprévues des voyages que j'organise", se justifie-t-il. Car cette fédération des travaux publics fait voir du pays : une à deux fois par an, ses membres, des chefs d'entreprise du bâtiment, s'envolent pour la Tanzanie, le Costa-Rica ou encore la Colombie. Pour des visites professionnelles et des journées de "cohésion", bien entendu. 

"Les retraits sont effectués au fur et à mesure, tout au long de ces années, la justification des voyages ne tient pas", répondra le procureur. Mais les avocats de Stéphane Haussoulier soulèvent un point épineux dans leur plaidoirie : il s'agit ici de fonds privés. Or la Fédération régionale des travaux publics des Hauts-de-France, qui chapeaute les deux autres structures, ne s'est pas constituée partie civile.

"Si l'employeur ne se plaint pas d'un détournement, aucun abus n'est établi, rappelle maître Antoine Maisoneuve, deuxième avocat à plaider pour Stéphane Haussoulier. C'est peut-être abusif, mais ça ne caractérise pas un abus de confiance.

La menace de l'inéligibilité  

Le tribunal a jusqu'en novembre pour décider d'une éventuelle condamnation de Stéphane Haussoulier. Ce dernier a fait part de son émotion face à cette procédure. "L’image qui a été donnée par l’accusation donne une image délétère au grand public", a-t-il déploré en ouverture d'audience. "Monsieur le procureur demande ma mort civile, avec cette demande d'application immédiate de la peine d'inéligibilité", conclut Stéphane Haussoulier lorsqu'il est invité une dernière fois à la barre, avant le renvoi du procès. Plus que les deux ans avec sursis et les 60 000 euros d'amende, c'est cette perspective qui semble faire frémir l'élu, entré en politique à l'âge de vingt ans.

Demander l'inéligibilité obligatoire de trois années et l'assortir de l'exécution provisoire, c'est quelque chose qui est un signal extrêmement fort envoyé à l'ensemble des élus qui commettraient des infractions à la probité

Clarence Bathia

Juriste pour l'association contre la corruption Anticor

Le ministère public a en effet considéré que l'expérience de Stéphane Haussoulier en tant qu'élu et sa connaissance des rouages des institutions sont des circonstances aggravantes des charges dont il est accusé. "Il a un poids politique important, localement, c’est ce qui a pu contribuer à la réalisation de ces faits, par la confiance qu’il peut susciter. Ce qui est au cœur de ce dossier, c’est un empilement de plusieurs fonctions, qui a permis la réalisation de ces faits", résume le procureur. 

"Les réquisitions du procureur vont dans le bon sens. Demander l'inéligibilité obligatoire de trois années et l'assortir de l'exécution provisoire, c'est quelque chose qui est un signal extrêmement fort envoyé à l'ensemble des élus qui commettraient des infractions à la probité", réagit Clarence Bathia, juriste pour l'association contre la corruption Anticor, qui s'est portée partie civile dans le procès. 

Ni Stéphane Haussoulier, ni ses avocats, ni les autres parties civiles, c'est-à-dire le Département et le Syndicat mixte de la baie de Somme, n'ont accepté de réagir à l'issue de l'audience.

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