Dans un rapport rendu public le 8 novembre, le Conseil économique social et environnemental régional lance un cri d’alarme sur la ressource en eau dans les Hauts-de-France. Déjà fragilisée par le réchauffement climatique, elle pourrait pâtir des activités générées par le canal Seine-Nord Europe.
Le futur canal Seine-Nord dont la mise en service était prévue pour fin 2028 a été repoussée en 2030 en raison de la crise sanitaire. Il sera long de 107 km et reliera Compiègne à Aubencheul-au-Bac, dans le Nord. Le chantier a démarré le 17 octobre 2022 à Montmacq, dans l'Oise.
Tout semblait aller pour le mieux jusqu'à ce 8 novembre 2022.
Pour la première fois, le Conseil économique social et environnemental (CESER) a remis un rapport sur la ressource en eau dans les Hauts-de-France. Pendant deux ans, des experts de la société civile se sont penchés en détails sur la question et ont fait un état des lieux de la situation dans la région. Ils ont établi 46 préconisations structurées sur 6 enjeux transversaux (qualité, infrastructures, cohérence des politiques, etc). Dans leur analyse, ils appellent à la vigilance et pointent la construction du canal Seine-Nord Europe, cette nouvelle liaison fluviale entre la Seine et l'Escaut.
L'activité humaine générée par le canal en question
"Soyons clair, il ne manquera pas d'eau pour le canal Seine-Nord, corrige Laurent Degroote, président du CESER. La société du canal a bien tout prévu. La question est ce qui va être engagé autour du canal. Il y aura à peu près 5 000 nouveaux emplois qui vont être créés. Il va falloir loger ces personnes. Il va falloir créer des écoles, des centres de soins, etc... Tout cela nécessitera de l'eau. Aujourd'hui, ça n'a pas été estimé. Or si on ne l'estime pas, si on ne l'anticipe pas aujourd'hui, demain, on risque d'avoir des problèmes. Ce n'est pas le canal Seine-Nord mais son environnement".
De son côté, la société du canal Seine-Nord Europe (SCSNE), se veut rassurante. Le canal est conçu pour consommer le moins d'eau possible grâce à l'exploitation des écluses. Son alimentation proviendra de l'Oise et exclut tout prélèvement dans les nappes phréatiques.
Quant aux périodes de sécheresse, elles aussi ont été prévues : "On a intégré une retenue d'eau de 14 millions de mètres cubes, détaille David Bécart, directeur environnement, qui permet de s'affranchir des périodes d'étiage de l'Oise et qui permet d'alimenter le canal pendant plus de quatre mois".
Ainsi, il n'y aura plus de prélèvement d'eau effectués pendant la période estivale. C'est cette réserve implantée près de Péronne, dans la Somme, qui subviendra aux besoins du canal.
Mais dans leur rapport, les experts environnementaux alertent sur les sécheresses à répétition et suggèrent d'ores et déjà de créer un second réservoir.
Une retenue d'eau supplémentaire est envisagée mais ne sera construite que si nécessaire ; il apparaîtrait utile de la réaliser dès maintenant afin d'assurer réellement la navigabilité du canal dans la durée et en toutes saisons.
Extrait du rapport CESER
"Ce n'est pas forcément à l'ordre du jour, réplique David Bécart, parce qu'encore une fois, quand on regarde les analyses qu'on a pu faire au fur et à mesure, la retenue Louette permet de passer les cinq dernières années sans beaucoup de difficultés".
Autre pierre d'achoppement, la gestion de l'eau de la rivière. Les experts alertent sur la phase de réalisation.
Nous savons que lors de sa construction, le canal Seine-Nord Europe aura des impacts sur la ressource en eau aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif.
Extrait du rapport CESER
Pour les responsables du chantier, il faudra s'adapter et utiliser l'eau progressivement. "Pendant la construction, il va falloir effectivement beaucoup d’eau pour remplir le canal, reconnaît Frédéric Arnold, directeur du secteur 1 (Compiègne/Noyon). C’est juste une question de temps pour le remplir. Si on prend tout en 2 mois, ça fait beaucoup trop pour la rivière. Pour l’instant de mémoire, on est sur 5 à 6 mois de prélèvement. Bien évidemment on s’adaptera à la situation au moment où on l’ouvrira." Pas lieu de s'inquiéter donc, d'autant plus que "l'Oise a suffisamment de débit" assure le responsable du chantier.
"On mélange le canal Seine-Nord et la ressource en eau"
"La société du canal a prévu tout ce qu'il fallait, confirme Laurent Degroote. Par contre, le canal va amener de l'activité. Or ces activités vont générer de la consommation en eau, notamment pour les habitants. 66 % de la consommation en eau vient de la consommation domestique".
Ainsi, selon lui, la vigilance s'adresse aussi et surtout aux collectivités et aux citoyens qui, à leur échelle, peuvent agir dès maintenant sur la préservation de la ressource en eau.
"On mélange le canal Seine-Nord et la ressource en eau. Distinguons les deux, insiste le président du CESER. La question de l’eau, il y a 10 ou 15 ans qu’il fallait la traiter. Ce n’est pas trop tard pour agir mais il faut y aller tout de suite, notamment en changeant de comportement. Par exemple, je doute que les habitants fassent très attention à la propreté de l’eau qu’ils rejettent. Il faut avoir des équipements pour filtrer l’eau qu’on rejette, etc. peut-être avoir deux circuits d’eau, un circuit d’eau propre et un circuit d’eau usagée."
Le rapport du CESER mise donc sur la prise de conscience collective afin de préserver la ressource en eau dans les Hauts-de-France.