Le Canal Seine-Nord Europe et sa méga-bassine franchissent une nouvelle étape, malgré des réserves

Le vrai chantier du Canal Seine-Nord Europe pourrait débuter "à l'automne", après un avis favorable rendu le 2 mai 2024 par une commission d'enquête environnementale, malgré les réserves et recommandations de cette dernière, et malgré le haut potentiel polémique du projet.

Un feu vert, mais pas une carte blanche. Si la Société du Canal Seine-Nord Europe (SCSNE) peut communiquer et se réjouir d’une “nouvelle étape franchie dans la concrétisation du projet”, l’avis favorable effectivement rendu jeudi 2 mai 2024 par la commission d’enquête environnementale ne dissipe pas tous les doutes et critiques formulés à son encontre.

Risque de pollution des eaux, traitement des ruissellements, concertation avec les habitants. Sur ces sujets, des “réserves” sont exprimées par la commission d’enquête. De plus, son avis favorable se conclut par huit “recommandations” laissant entendre que d’autres sujets importants - sécheresse, énergie, nuisances sonores, compensations pour l’environnement, fréquentation, financement - mériteraient des efforts ou garanties supplémentaires.

Chapitre après chapitre, la commission relève explicitement des “points forts du projet”, des “pistes d’amélioration” et des “points qui posent problème”.

Parmi ces derniers : les sylviculteurs qui pourraient se sentir lésés malgré les indemnisations, la petite faune pour laquelle certains secteurs du canal formeront “une barrière infranchissable”, “l’acceptation du projet” qui pourrait être améliorée en instaurant une concertation permanente avec les locaux durant les travaux, ou encore la ressource en eau (voir plus bas).

Un projet pharaonique

Imaginé voilà près de 40 ans, aujourd’hui prévu pour une mise en service en 2030, le Canal Seine-Nord Europe est un projet de large canal artificiel de 107 kilomètres reliant - plus efficacement que l’étroit Canal du Nord actuel - Compiègne (Oise) et Aubencheul-au-Bac (Nord).

Parmi les objectifs affichés : réduire le bilan carbone du transport, les plus grandes péniches pouvant transporter en une fois “jusqu’à l’équivalent de 220 camions”, selon la SCSNE. Il s’agirait aussi d’accroître l’attractivité et donc l’activité industrielle et logistique des régions desservies : nouvelles implantations dans les terres, et nouveaux débouchés pour les ports maritimes.

Pour ce faire, il s’agit de creuser un canal (ou d’élargir l’existant), de le remplir d’eau (ou d’en maintenir le niveau), mais aussi de construire 7 écluses, 10 quais, 62 ponts routiers et ferroviaires, parfois passer le canal lui-même par-dessus les routes et forêts via trois “ponts-canaux”, et compenser les nouvelles emprises par plus de 1 100 hectares de plantations et aménagements environnementaux.

L’investissement pour la construction du canal s’élève à 5,1 milliards d’euros. L’Union européenne est le premier contributeur, suivie de l’État et des collectivités à égalité, et d’un emprunt de 800 millions d’euros. Établi en 2019, ce budget méritera d’être mis à jour et précisé. La commission d’enquête environnementale invite ainsi la SCSNE à “communiquer sur le montant définitif du coût du projet, sur le montant nécessaire de l’emprunt de bouclage et sur les modalités de (son) remboursement”.

Quoi qu’il arrive, à ce tarif, le canal a intérêt à être sacrément utilisé. C’est une autre recommandation de la commission à la SCSNE : “suivre de près” et “s’impliquer résolument dans les procédures et mesures conditionnant la fréquentation”.

En jeu, le grand “top départ” cette année

Aussi pharaonique soit-il, aussi incertain semble-t-il encore, le chantier a bien démarré mais seulement pour les premiers kilomètres entre Compiègne et Passel, dit “secteur 1”, pour lequel les études ont été réalisées et l’autorisation environnementale obtenue.

C’est l’autorisation environnementale pour tout le reste du tracé, les écluses et un pont-canal mis à part, qui se joue désormais. En 2023, la SCSNE - maître d’ouvrage - a formulé sa demande, visant notamment des défrichements, des dérogations à la protection des espèces et habitats, ainsi qu’à la directive cadre sur l’eau.

Une enquête publique s’est déroulée du 4 mars au 2 avril 2024 dans 76 communes, dont 34 de la Somme (les autres dans l'Oise et le Nord). 721 contributions ont été déposées, les trois quarts par internet. Le tout a été analysé par 7 commissaires enquêteurs, qui ont rendu un premier rapport. La SCSNE y a répondu, assurant avoir “apporté de premières réponses aux différentes observations”. Et la commission a rendu son avis : favorable.

Désormais, charge aux préfectures concernées de prendre ou non, dans les prochains mois, un arrêté interdépartemental d’autorisation environnementale. Et d’autres procédures administratives sont actuellement menées en parallèle, “ce qui empêche d’avoir une vision globale du projet et de son impact environnemental”, note d’ailleurs la commission d’enquête.

Si tous les feux passaient au vert, la SCSNE prévoit “d’engager progressivement les travaux du Canal entre Passel et Aubencheul-au-Bac dès l’automne prochain”.

Focus : le pompage de l’Oise et une méga-bassine

La commission d’enquête environnementale s’est penchée sur de nombreux points d’achoppement potentiels. Parmi eux, on retiendra notamment la question de l’alimentation en eau du canal.

Imaginez : au milieu d’une digue de 42 mètres de haut, un trou d’une superficie équivalente à 88 terrains de foot, rempli d’un volume d’eau équivalent à 4 650 piscines olympiques. Ce volet ne fait pas encore grand bruit, pourtant le projet de Canal Seine-Nord Europe porte avec lui celui d’une méga-bassine plus gigantesque que toutes celles jamais vues ou débattues en France.

Une “retenue d’eau” de 14 millions de m3 doit ainsi être creusée à Allaines, dans la Somme. À titre de comparaison, c'est 0,6 à Sainte-Soline et 2,3 dans le Puy-de-Dôme. L'emprise sera de 65 hectares, toujours selon la SCSNE.

Cette méga-bassine a néanmoins la particularité d'être remplie par le canal lui-même, par un jeu de vases communicants : elle permet de constituer une réserve l'hiver, pour venir renforcer le canal l'été quand le débit de l'Oise faiblira. Car oui, 90% du temps, c’est par le pompage de cette rivière que le Canal sera rempli et maintenu à flot. Aucune nappe phréatique ne devrait donc être sollicitée.

Le pompage sera réalisé sur un point unique, au niveau de Montmacq (Oise), non loin de Venette et d’un secteur de l’Oise connu pour des prélèvements alarmants de PFAS dans l'eau, famille de substances chimiques décriées.

La commission d’enquête environnementale a donné son feu vert : la retenue d’eau dite “de Louette” (du nom de la rivière locale) constitue un plan B suffisant en cas de sécheresse estivale, le système d’alimentation du canal par un point unique est “vertueux”, et l’analyse qui lui a été soumise “laisse penser que (la) qualité d’eau devrait être satisfaisante”.

Pour autant, la commission estime que du travail reste à faire : un plan C serait nécessaire en cas de sécheresse pluriannuelle (pas improbable avec le réchauffement climatique) ; le pompage de l’Oise pourrait avoir un impact sur les débits des cours d’eau en aval ainsi qu’en amont sur la rivière Aisne qui l’alimente ; enfin, “une analyse des risques et des plans d’action associés” seraient bienvenus car “les polluants émergents (ex. PFAS) ne font pas à ce jour l’objet d’une réglementation spécifique” et, dans le canal lui-même ou dans la réserve de Louette, “tout risque de dégradation de la qualité n’est pas garanti”.

Tout cela ne constitue qu'un point parmi d'autres au sein de cet avis tout en mesure, qui pourra appporter de l'eau à tous les moulins.

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