Le centre archéologique de la Somme à Ribemont-sur-Ancre conserve depuis quelques semaines onze objets mérovingiens découverts pendant la Seconde Guerre mondiale sur la commune de Fossemanant (Somme) par un soldat allemand. Sa famille a choisi de les restituer 84 ans plus tard. Une cérémonie officielle est prévue dans le village le 20 juillet.
Début avril, Gilles Prilaux, chef du pôle scientifique pour Somme patrimoine, ouvre sa boîte mail comme tous les jours. Un message en français attire son attention.
L'expéditeur est un ancien directeur du musée de l'Architecture allemande à Francfort, Wolfgang Voigt : "il nous explique qu'il détient des vases mérovingiens, trouvés dans la Somme et souhaite connaître la procédure pour nous les remettre."
Le message révèle l'origine surprenante des pièces : des fouilles réalisées dans le village de Fossemanant en juin 1940, deux semaines avant l'armistice, par le premier mari de la mère de Wolfgang Voigt, un soldat de la Wehrmacht stationné dans le village de la Somme.
On ne pouvait pas les refuser, c'est exceptionnel !
Gilles Prilaux, chef du pôle scientifique pour Somme Patrimoine
Les équipes du centre archéologique départemental de Ribemont-sur-Ancre, que dirige Gilles Prilaux, alertent immédiatement la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) des Hauts-de-France.
Car une procédure stricte encadre les restitutions : "On ne peut pas tout accepter, explique le chef du pôle scientifique, il faut être en mesure de conserver ces objets et qu'ils correspondent à nos collections." En tant que centre de conservation et d'étude, Ribemont-sur-Ancre est tout indiqué pour recevoir les objets, "on ne pouvait pas les refuser, c'est exceptionnel !", s'enthousiasme Gilles Prilaux.
Exceptionnel, c'est sûrement ce qu'a pensé Curt Arpe en juin 1940, lorsque ce jeune soldat allemand pose son regard sur une pierre taillée nichée sous l'herbe d'un pré : "C'est ainsi qu'il a trouvé le premier cercueil en pierre", explique Wolfgang Voigt, beau-fils de Curt Arpe, d'après le récit de sa mère.
Un soldat philosophe
Âgé de 27 ans, Curt Arpe n'est pas un militaire dans l'âme. Ancien élève du philosophe Martin Heidegger à l'université de Hambourg, il est diplômé en philologie classique et auteur d'une thèse sur la quiddité chez Aristote. Sa rigueur scientifique l'oblige à solliciter l'autorisation de creuser auprès du propriétaire du terrain, l'industriel amiénois Jacques Cosserat.
L'accord en poche, les fouilles démarrent immédiatement et s'étalent sur l'été. Dans une note, la mère de Wolfgang Voigt, Ellinor écrit : "Dans la forêt se trouvent des tombes mérovingiennes, en partie pillées autrefois. C. A. (Curt Arpe) parvient à trouver une tombe intacte entre autres." Les sépultures cachent des trésors : "Ce sont des vases qui remontent à l'époque mérovingienne, soit entre le 6e et le 8e siècle après J.C.", précise Gilles Prilaux.
Alors que son régiment doit être envoyé sur le front de l'est, le soldat-archéologue envoie onze objets en Allemagne. "Ma mère m'a dit qu'il les avait achetés à M. Cosserat. Il en a achetés aussi à d'autres habitants", assure Wolfgang Voigt.
Nous aimons l’amitié franco-allemande. Nous n’avons aucun intérêt à les garder chez nous.
Wolfgang Voigt
Ellinor ne reverra jamais son premier amour. En février 1942, Curt Arpe meurt au combat, quelque part en Russie. La jeune femme se remarie avec un ami de Curt, le paléontologue Ehrhard Voigt. Wolfgang, son frère et sa sœur naissent de cette union.
La collection est précieusement conservée par la famille à Hambourg, puis à Brême chez une tante de Wolfgang : "En 2000, elle m'a dit que comme je travaillais dans un musée, c'était à moi de garder les vases". À 74 ans, l'architecte à la retraite souhaite boucler la boucle : "Nous aimons l'amitié franco-allemande. Nous n'avons aucun intérêt à les garder chez nous."
Envoyés depuis l'Allemagne, les vases sont réceptionnés par le centre archéologique dans le courant du mois de mai. "Nous allons faire analyser les objets par un céramologue pour les dater plus précisément", explique Gilles Prilaux, selon qui le retour de ces objets revêt une importance scientifique majeure : "Les sites les plus fouillés en Picardie sont, pour une grande majorité, d'époque gallo-romaine. Cette restitution, c'est sans aucun doute une chance pour nos collections".
La famille sera accueillie dignement.
André Lefevre, maire de Fossemanant
Cette belle histoire fait la joie d'un troisième homme, André Lefèvre, le maire (SE) de Fossemanant : "Quand Gilles Prilaux m'a appelé, j’ai été déboussolé. Ma femme est arrivée dans le village à l'âge de quatre ans et n'avait jamais entendu parler des céramiques", assure l’édile très ému.
Le 20 juillet, Wolfgang Voigt et son frère se rendront dans le village picard pour officialiser cette restitution : "Avec mon frère et ma sœur, nous attendons ce moment depuis longtemps", nous révèle Wolfgang Voigt.
Une impatience que partage André Lefèvre : "C'est vraiment admirable ce qu'ils ont fait. Leur mère a protégé les objets toutes ces années." Le programme "simple et convivial" sera défini par le conseil municipal et le comité des fêtes. "La famille sera accueillie dignement", précise le maire.
Peut-être se rendront-ils sur les lieux de la découverte ? "On ne sait pas où se trouve exactement le sarcophage. Mais ça me trottine dans la tête de trouver", ajoute André Lefèvre.
Les vases restitués pourraient être visibles du public à Ribemont-sur-Ancre à partir du mois de septembre. Espace aménagé au sein du musée, parcours de visite guidé, exposition dans les réserves, plusieurs pistes sont à l'étude, selon Gilles Prilaux : "Nous réfléchirons à la meilleure façon de les valoriser".