L'étang Le maçon est un de ces joyaux méconnus qui subsistent dans la vallée de la Somme. Un milieu très humide, mais précieux. Le conservatoire restaure des tourbières là où elles avaient disparu depuis des décennies. Un univers rare et fragile.
Bottes en caoutchouc de rigueur si vous voulez parcourir l'étang Le maçon de Mareuil-Caubert. Cet ensemble de marais et d'étangs est l'un de ces joyaux méconnus qui subsistent dans la vallée de la Somme. Ici, la tourbe s'épanouit.
Une faune et une flore exceptionnelle
"La tourbe va se former dans des conditions bien spécifiques, explique Matthieu James, responsable départemental du Conservatoire des espaces naturels. Il faut que le sol soit gorgé en eau, saturé en eau comme une éponge, toute l’année. Ce qui fait que, quand la végétation va tomber au sol, elle ne va pas se dégrader parce que tous les micro-organismes responsables de la décomposition n’ont pas assez d’oxygène pour bosser, l’eau étant très pauvre en oxygène. Donc la végétation va s’accumuler et constituer au fur et à mesure un sol fait des débris végétaux plus ou moins décomposés. C’est ça la tourbe."
Sur les 390 hectares qui couvrent la tourbière de Mareuil-Caubert, 351 espèces de plantes et 227 espèces d'animaux ont été observées. Un patrimoine de faune et de flore exceptionnel que le Conservatoire d'espaces naturels est chargé de préserver. Cachée dans la brume qui flotte sur l'étang, la chorale des grenouilles chante la biodiversité. Ici, des fleurs rares apparaissent. Comme la fritillaire pintade, également appelée tulipe des marais.
C'est une plante qui est extrêmement rare dans les Hauts-de-France. On en trouve que dans deux localisations : ici, dans les marais autour d'Abbeville et dans la vallée de Lys près d'Armentières. "Elle n'est pas typique des tourbières. Elle est typique des vallées où les nappes d'eau ont de fortes variations avec des zones d'inondation temporaire, nous montre David Adam du Conservatoire d'espaces naturels des Hauts-de-France en manipulant avec soin cette grosse clochette rouge bordeaux. C'est une espèce qu'on retrouve de manière beaucoup plus abondante en vallée de la Loire ou en bord de fleuves qui ont des inondations naturelles. Chez nous, on la retrouve encore autour de rivières qui ont le même fonctionnement. Elle est en forte régression dans la région. Elle y est protégée. De ce fait, le conservatoire des espaces naturels met en œuvre un certain nombre d'actions pour essayer de la préserver, dans les marais et dans les tourbières où elle est présente."
La tourbière de Mareuil-Caubert abrite également la gesse des marais, une autre espèce protégée dans les Hauts-de-France. Si on en trouve peu en France, elle s'épanouit avec plaisir dans les marais de la vallée de la Somme. Autre locataire des lieux, le ményanthe trèfle d'eau.
Côté faune, criquet ensanglanté, gorge bleue à miroir ou cordulie à corps fin, trouvent dans les tourbières de Mareuil-Caubert des conditions de vie idéales. L'endroit a d'ailleurs réservé des surprises aux agents du Conservatoire des espaces naturels : en 2012, ils découvrent un spécimen d’agrion de mercure, jamais observé dans la vallée de la Somme. Cette libellule très rare vit plutôt dans la vallée de la Bresle. En danger critique de disparition en Picardie, elle est protégée en Europe.
Restaurer les écosystèmes
Le conservatoire restaure des tourbières là où elles avaient disparu depuis des décennies. Ici, des peupliers les avaient remplacées. Le terrain a été acheté au forestier. Les souches ont été broyées. Une prairie sera semée pour accueillir des vaches. "Même si le pâturage en tourbière et en marais, c'est compliqué parce qu'il faut jongler avec les niveaux d'eau, la nature et la pluviométrie, c'est un milieu qui a besoin de l'élevage pour être maintenu, précise Matthieu James. L'objectif, c'est de restaurer des écosystèmes qui sont de plus en plus rares, qui sont menacés et qui accueillent une biodiversité qui est très forte. Ici, on est plutôt sur de la prairie à molinie bleue et qui va accueillir des orchidées."
La biodiversité des tourbières n'est pas la seule raison de la nécessité de les préserver. Les tourbières sont très utiles en cas d'inondation en captant le surplus d'eau. Elles le sont également en période sèche puisqu'elles restituent l'eau qu'elles ont emmagasinée. "Mais surtout, comme c’est de la matière organique très très peu décomposée, c’est un stock de carbone immense : un hectare de tourbière va stocker à peu près 10 fois plus de carbone qu’une forêt", nous apprend Matthieu James.
Et les tourbières sont des milieux fragiles : quand elles s'assèchent, elles se décomposent et disparaissent définitivement. Nous avons donc tout intérêt à les préserver.
Avec Dominique Patinec / FTV