Montée des eaux sur le littoral : Cayeux-sur-Mer bientôt encerclée par la mer, un phénomène inévitable

Depuis des décennies, Cayeux-sur-Mer doit faire face à l'invasion des eaux marines, que ce soit sur le front de mer ou à l'intérieur des terres. Aujourd'hui, 85 % de la ville sont en zone inondable, réduisant le territoire habitable de la commune à peau de chagrin chaque année un peu plus. Un phénomène inéluctable que tentent de ralentir les élus.

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Écrit à la hâte sur une pancarte en carton, "Cayeux Sous Mer..." En mars 1990,un habitant de Cayeux brandit ces trois mots au passage du président François Mitterrand lors de sa visite dans la commune après le passage de la tempête Viviane. Quelques jours plus tôt, Viviane et les grandes marées ont eu raison de la digue des Bas-Champs. Et 3 000 hectares sont recouverts pendant des semaines par 50 centimètres à 1 mètre d'eau saline.

Une ville encerclée par l'eau de mer

Régis Brunet, exploitant agricole, s'en souvient parfaitement. "On en a le souvenir d'aller vers l'inconnu parce qu'on ne savait pas où ça allait s'arrêter. On ne savait pas ce qu'on allait faire de nos bêtes. Ce n'est pas toujours évident de les déménager. Pour combien de temps ? Et les nourrir avec quoi ? Le stock d'aliments, c'était comme le reste : entouré d'eau salée. Les 10 hectares autour de la ferme, mais aussi tout ce qu'on avait comme autre surface cultivée dans le secteur, ont été stérilisés par l'eau salée. Ça dépendait la quantité d'eau qu'il y a eu et la durée que c'est resté. Il n'y avait pas 50 cm d'eau partout : il y avait des endroits où il y avait 2 mètres et d'autres où il y avait 20 cm. On a fait des analyses. Ici, autour de la ferme, il y avait 12 tonnes de sel à l'hectare. Au Hâble d'Ault, je crois que c'était une soixantaine de tonnes à l'hectare. Ici, l'année suivante, on a presque eu plus de chardons que d'herbe, ça poussait quand même un peu, mais au Hâble d’Ault, rien n'a poussé du tout."

Régulièrement, les champs de Régis sont envahis par l'eau de mer. Lui qui n'est pourtant pas installé sur le proche littoral. Il ne peut plus étendre sa ferme et n'est autorisé qu'à entretenir les bâtiments existants. Car son exploitation est classée en zone rouge. Comme 85 % du territoire de Cayeux-sur-Mer. 85 % des terres de la commune sont aujourd'hui situées en dessous du niveau de la mer. Zone rouge, c'est-à-dire inondable et inconstructible. Sur les cartes topographiques de la ville, il ne reste que quelques endroits en bleu et en blanc, faisant de Cayeux-sur-Mer une presqu'île. Sans eau. Pour le moment. Car selon les modélisations du Bureau des recherches géologiques et minières, la montée de la mer à Cayeux-sur-Mer finira par atteindre un mètre.

"C'est vrai que Cayeux-sur-Mer est une ville très exposée et aujourd’hui, il faut absolument faire attention pour protéger la population et les habitations au maximum pour éviter cette submersion marine importante, explique Jean-Paul Lecomte, maire S.E de Cayeux-Sur-Mer. Quand vous êtes maire d'une ville comme Cayeux, où on a grandi avec les problèmes de tempête ou de submersion marine, on sait qu'un jour où l'autre, il va falloir se concentrer sur des zones pour reconstruire, pour reculer, pour faire en sorte que l'on puisse vivre avec les éléments. On le sait. On le sait très bien. Et les habitants sont prêts et le savent. Mais aujourd'hui, on doit faire en sorte de s'adapter."

Des galets pour ralentir la montée de l'eau

Depuis les grandes inondations de 1990 et par phases successives, la commune de Cayeux s'est dotée de 104 épis. Ces ouvrages en béton qui plongent dans la mer et créent de véritables réservoirs à galets : des casiers comme on dit ici. Des dispositifs de plusieurs dizaines de millions d'euros qui ont fait leurs preuves lors des dernières tempêtes. "80 épis avaient été réalisés entre Ault et Cayeux après les inondations de 1990 et là, nous avons inauguré les 24 derniers en 2015. (...) En 2020 et 2021, on a eu quatre tempêtes et je peux vous assurer que les ouvrages étaient importants pour la préservation de l'espace et de la ville. Et les habitants ont bien vu les effets bénéfiques des ouvrages dans la rétention des galets, assure Jean-Paul Lecomte. Les 24 épis, c'était 18 millions d'euros. État, Région, Département et l'Association syndicale autorisée des Bas-Champs et les communes autour : ont tous participé pour financer les ouvrages. En fonction de l’importance de la commune évidemment. Cayeux-sur-Mer a plus participé que les petites communes."

Des épis, renforcés sur le front de mer, par une digue en galets haute de 9 mètres. Et lorsque marées et tempêtes grignotent cette digue, elle est rechargée par un apport de 55 000 tonnes de galets chaque année.

Pour Thierry Bizet, directeur adjoint du Syndicat mixte baie de Somme/grand littoral picard, l'existence même de la ville dépend de cet équipement : "la survie de Cayeux aujourd’hui, c'est l'entretien de ce cordon de galets qui est artificialisé à cause d'un manque de galets en amont. Et aujourd'hui, il faut l'accompagner. C'est comme un malade sous perfusion. La digue est sous perfusion de galets. Et il est important de suivre ce cordon de galets dès qu’il y a un recul." 

D'autres équipements de protection sont prévus dans le cadre du programme d'actions de prévention des inondations, le PAPI.

Le front de mer de Cayeux sera entièrement réaménagé avec la création de fossés souterrains, le rehaussement d'un muret situé sur le front de mer à 1,20 m et la pose d'un enrobé drainant. Le début des travaux de ce qu'on appellera un boulevard résilient est prévu en 2025.

Accepter l'inévitable

Régis Brunet, lui, reste très fataliste. "Aujourd'hui, on est quand même plus en sécurité qu'on ne l'était avant. Mais ça ne veut pas dire que la digue est impénétrable. Il n'est pas question que je quitte les lieux. On en a déjà vu. On en verra peut-être d'autres. Quand je regarde la télé, tous les ans, il y a des gens qui meurent noyés ou ensevelis dans la boue dans des endroits qui ne sont pas en bordure de mer. Il est peut-être plus intéressant de vivre ici que dans un fond de vallée. Parce que dans un fond de vallée, avec des pluviométries comme celles qu'on a ici, tout est emporté et on n'en parle plus. Nous, on sait quand même quand la mer va monter, on arrive encore à regarder dehors s'il y a du vent ou s'il n'y en a pas et la météo arrive quand même à nous annoncer quand on va avoir une tempête. Donc, on vit avec. Et comme j'ai plus de chances de mourir d'un accident de voiture que de mourir noyé par l'eau salée qui va venir chez moi…"

Mais le pire reste peut-être le plus long terme : en 2065, une tempête centennale devrait toucher la France. "Il faut l'anticiper et l'accompagner. Mais à un moment, il va falloir accepter qu'on est sur un territoire qui est en mutation, avoue Thierry Bizet. Aujourd'hui, il y a cette digue qui protège la ville et d'autres qui limitent l'infiltration de l'eau de mer dans la ville, mais il va falloir garder la culture du risque. Demain, il faudra peut-être adapter l’aménagement du territoire et les habitations. Jusqu'à il y a trois ans, la mer montait de 3 millimètres par an. Aujourd'hui, on est à 5 millimètres par an. Mais qui dit qu'elle ne va pas monter plus ?"

Selon les projections les plus optimistes des experts du climat, en 2100, le niveau de la mer aura monté d'un mètre sur le littoral français.

Avec Yolande Malgras / FTV

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