À 58 ans, Philippe Vasseur a mis sa carrière de comédien en pause et s'épanouit désormais dans le métier d'artiste plasticien. Les années AB Productions, la côte picarde, ses tableaux inspirés par la mer et les bateaux, rencontre avec celui que tout le monde connaît sous le nom de José d'Hélène et les garçons.
Philippe Vasseur est un gars simple et discret. Amical aussi. La notoriété ? Une anomalie. Un concours de circonstances qui a duré… 32 ans. En décembre 2023, le comédien a dit adieu à José, ce personnage joué au fil de tant de saisons et il est rentré chez lui.
Cayeux-sur-Mer, sa plage de galets, son chemin de planches et ses cabines qui colorent l’été. Philippe vit un peu plus loin, à l’écart, au calme, dans une maison acquise en 2007. Quelques minutes de marche dans des dunes préservées et nous voici face à la mer, magnifique sous un grand ciel bleu ce jour-là. "La nature est encore vierge ici. Il n’y a pas de constructions dégueulasses, comme on peut voir sur les côtes ailleurs. C’est mon p’tit coin, il n’y a personne. J’aime bien être tranquille ici. Je me sens libre."
En s’installant sur la côte picarde, Philippe a renoué avec son enfance. Natif d’Amiens, il a grandi à Cayeux. Sa mère y a acheté un salon de coiffure en 1974. Philippe a alors 8 ans, chaque journée est une aventure : "Quand t’es gamin ici, c’est le terrain de jeu idéal, tu as la mer, le sable, les dunes avec les blockhaus. À l’époque, il fallait faire gaffe, il y avait encore pas mal de mines et de flingues qui traînaient. Je n'étais jamais chez moi, sauf quand il pleuvait !"
De décorateur à José
Sept années de bonheur, de jeux et de bricolage. Philippe est un manuel et cette habileté va précipiter son destin. Collège à Abbeville, école d’art à Roubaix, il devient décorateur.
1989, l’entrée dans l’univers AB Productions, Philippe fabrique des accessoires de tournage pour le club Dorothée et les séries de cette société de plus en plus prolifique. Il contribue à fabriquer les décors d’un nouveau programme, Hélène et les garçons. Beau gosse, il est repéré et va en devenir un personnage clé.
"La première fois que j’ai joué, je faisais un mousquetaire sur un épisode des Musclés et j’avais tellement la trouille que je me suis dit : 'c’est pas du tout un truc pour moi'. Quelques mois après, ils me proposaient le rôle de José dans Hélène et les garçons. Les potes qui bossaient avec moi à la déco à cette époque-là m’ont dit : 'si tu ne saisis pas cette opportunité, t’es con. Essaie, tu verras bien.' Et ils ont eu raison."
"Au début, la peur m’empêchait vraiment de m’amuser. Il a fallu de nombreux mois avant que je me détende et que je prenne du plaisir. Je dirais peut-être même deux ou trois ans."
David Hasselhoff est venu voir comment on travaillait. Quand on a vu débarquer ce grand gaillard sur le plateau, c’était rigolo. Les Américains ne bossent pas du tout de la même façon.
Philippe Vasseur
Hélène et les garçons est un énorme succès. 4 à 6 millions de téléspectateurs quotidiens séduits par cette romance rejouée à l’infini, une presse éberluée multipliant les articles sur ce phénomène de société. Les journalistes égratignent ces jeunes acteurs sans expérience devenus rock-stars. La machine AB tourne à plein régime. Les géants américains sont intrigués par cette réussite Made in France.
"C’était lourd, faire un épisode par jour. 26 minutes utiles par jour, à l’époque, ça n’existait pas ailleurs. David Hasselhoff est venu voir comment on travaillait. Quand on a vu débarquer ce grand gaillard sur le plateau, c’était rigolo. Les Américains ne bossent pas du tout de la même façon."
"Tu sais quand tu arrives à 7 heures et demie au maquillage, mais tu ne sais pas à quelle heure tu repars. Les 26 minutes, il faut les mettre en boîte coûte que coûte. Ça peut être 22, 23 heures. Et le lendemain, tu ré-enquilles pareil, selon ton heure de convocation. Si tu n’es pas dans les premières séquences, tu peux te permettre de dormir deux ou trois heures de plus. Sinon, c’est fatigant. Mais c’est un boulot génial, tu gagnes bien ta vie, ça va quoi ! Tout va bien ! J’avais 26 ans."
32 ans de feuilletons AB Productions
Philippe est loin de s’en douter, mais l’aventure va lui prendre la moitié de sa vie. À Hélène et les garçons succèdent Le miracle de l’amour, Les vacances de l’amour et Les mystères de l’amour. Le nom change un peu, l’intrigue demeure, romance aux multiples combinaisons.
Les audiences d’antan ne sont plus de mise, la consommation de télévision ayant été bouleversée par l’explosion du nombre de chaînes et l’apparition des plateformes, mais la série existe toujours, favorisée par ses coûts de production inégalés et l’écriture fertile de son créateur, Jean-Luc Azoulay. Philippe décèle aussi un ingrédient magique dans cette longévité : "Je ne m’imaginais pas que ça dure aussi longtemps. Personne d’ailleurs ne l’imaginait, peut-être même pas d’ailleurs Jean-luc Azoulay…. C’est la magie de nous avoir regroupés parce qu’humainement ça collait et quand ça colle sur le plateau, ça colle à l’image. Ça fait trente ans que les gens nous le disent. Les gens les plus assidus, les plus fins voient la complicité."
À 58 ans, j’ai le droit de dire que j’ai envie de tourner dans des trucs de qualité, de dire des textes de qualité où je prends du plaisir, un truc qui me fait bander ! Vraiment ! Tant pis si ma carrière d’acteur s’arrête là.
Philippe Vasseur
Complicité, oui, mais des envies d’ailleurs aussi. Philippe avait déjà pris du champ une première fois. Et puis, il était revenu, parce qu’il fallait bien vivre…. En décembre 2023, il a décidé de sauter le pas, et annoncé son départ. "Pourquoi avoir arrêté ? Parce que j’ai passé la moitié de ma vie à dire ces textes. Tant que je me suis amusé, ça allait. Avec mon camarade Patrick Puydebat, on s’est fait des bonnes séquences, on s‘est tapé des barres de rires, malgré les grosses journées, malgré les textes... que je trouvais, moi, légers. Les factures à payer, la vie, l’enfant à élever. Quand mon fils a fini ses études, j’ai décidé d’arrêter. Je ne m’amusais plus et j’avais du mal à apprendre les textes, ça devenait trop lourd pour moi, j’avais juste envie de qualité. Je ne crache pas dans la soupe. À 58 ans, j’ai le droit de dire que j’ai envie de tourner dans des trucs de qualité, de dire des textes de qualité où je prends du plaisir, un truc qui me fait bander ! Vraiment ! Tant pis si ma carrière d’acteur s’arrête là. Et ben, elle s’arrête là. Et je ne vais pas pleurer, je ne vais pas attendre à côté de mon téléphone. C’est fini tout ça, c’est terminé, terminé ! Je vais vivre de mes mains. Voilà."
La télé finie, le retour à l'art
Vivre de ses mains, ce serait l’idéal. Artiste plasticien sous le nom de Paul Debeauvais, Philippe réalise des tableaux en relief étonnants, sortis d’un imaginaire nourri d’Amérique, pays des super-héros dont il dévorait les histoires, plus jeune. La Wells Fargo croise le porte-avion Nimitz. On imagine aussi Jules Verne de passage. "Le Nautilus, c’est un rêve de môme. Quand je suis venu m’installer ici, ça m’a rappelé tous ces souvenirs… La mer, mon enfance, le Titanic, 20 000 Lieues sous les mers, les épaves."
Les mécanismes incrustés dans ses tableaux sont des trompe-l’œil, moulages de pièces qui seraient trop lourdes sinon. "J’ai demandé au garagiste du coin de me filer des engrenages de distribution de bagnole pour les mouler. Je mélange de la poudre de fer à la résine. Je laisse rouiller dehors et en trois jours, ça a pris dix ans. L’illusion est parfaite. Le rendu est terrible. J’aime ce qui est patiné. J’étais peut-être sur le Titanic, j’en sais rien !"
Maintenant je peux le dire, je défie tous les acteurs de venir enchaîner des journées de tournage comme on s’est tapé et de dire ces textes. On verra ce qu’ils donnent si on ne leur donne que deux prises, s’ils sont bons tout de suite.
Philippe Vasseur
Et la comédie ? L’histoire est-elle réellement terminée ? Reverra-t-on Philippe à la télévision ? Quand il passe des castings, des professionnels condescendants lui proposent de la figuration. Il le vit comme une offense. "À mon petit niveau, j’ai tout appris, travailler vite, apprendre les textes vite, être dans les séquences le plus vite possible. On nous a critiqués pendant des années. Maintenant, je peux le dire, je défie tous les acteurs de venir enchaîner des journées de tournage comme on s’est tapé et de dire ces textes. On verra ce qu’ils donnent si on ne leur donne que deux prises, s’ils sont bons tout de suite. Là, je fermerai ma gueule."
"Peut-être que si j’avais 500 000 followers ou un million, peut-être qu’on voudrait de moi sur une autre série ou sur des films. Peut-être que c’est ça qui compte maintenant. C’est ta popularité, peut-être pas ta popularité d’acteur ou d’actrice. Je ne sais pas. Moi, j’ai perdu les codes."
Ce que Philippe n’a pas perdu, c’est le sens de l’amitié et sa simplicité. Quand nous parlions de lui ce jour-là à Cayeux-sur-Mer, les visages s’animaient, les habitants souriaient : "Philippe, c’est un copain !"