Eloignés des grandes villes et plus fragiles socialement, les habitants des communes périurbaines peinent à bénéficier de la reprise économique. Dans le cadre de l’opération Ma France 2022, nous nous sommes rendus à Nesle et Ham dans l'est de la Somme pour parler de la campagne présidentielle avec les habitants.

Le soleil brille ce vendredi. Les paysages s’offrent à nos yeux sous leur meilleur jour. Des étendues presque infinies de terres agricoles. Ici, on produit des pommes de terre et de la betterave depuis des générations.

Des éoliennes et des petits villages complètent le décor. Celui de la communauté de communes de l’est de la Somme (CCES). Une jeune structure créée le 1er janvier 2017 à partir des communautés de communes du Pays Hamois et du Pays Neslois. Aujourd’hui encore, Nesle à l’ouest et Ham à l’est sont les deux pieds de la CCES.

Ham la grande, avec ses 4500 habitants (7300 pour l’aire urbaine), est la belle endormie. D'élégantes façades un peu défraîchies, un centre-ville en souffrance, comme en témoignent les panneaux à vendre sur de nombreuses vitrines.

Nesle, à l’inverse, passe pour la petite dynamique. Seulement 2300 habitants, mais un pôle d’entreprises et un projet de plate-forme logistique autour du futur canal Seine Nord Europe qui impressionnent.

Ce territoire de 41 communes, entouré de deux autoroutes et à proximité de la gare TGV Haute-Picardie, est pourtant enclavé entre Saint-Quentin, Amiens et Noyon. La précarité y est plus importante que dans le reste du département de la Somme avec un revenu moyen de 21 716 euros par habitant (17 723 euros à Ham) et un chômage qui touche près d'une personne sur cinq (une sur trois à Ham).


Les créations d'entreprises vont pourtant bon train dans la CCES : 71 au premier semestre 2021, autant que toute l'année précédente, malgré la crise du covid.

C'est le cas d'Innovafeed, qui a inauguré à l’automne 2020 à Nesle le plus grand élevage d'insectes au monde et compte doubler ses effectifs dans les prochains mois.

Le vote c’est pour la classe au-dessus

Amandine, 30 ans

C'est le cas aussi de De l'aiguille à la création, une micro-entreprise de retouche, couture et repassage créée en décembre 2020 à domicile et installée dans le centre-ville depuis le 1er juin. Mais ici, pas de doublement d'effectif. La société est déjà en liquidation. "Ce magasin, c’est mon quatrième bébé. Cette fermeture, c’est un arrache-cœur", nous confie Amandine les larmes aux yeux.

La jeune mère de trois enfants s'excuse pour "le bazar" qu'elle seule perçoit. Les étagères présentent de jolies créations en tissu, des articles pour bébés, des essuie-tout lavables, des éponges : "Je suis dans une logique de zéro déchet". Le problème, c'est que le zéro déchet, "ça ne marche pas ici".

Amandine se dégageait péniblement 700 euros par mois, auxquels s'ajoutaient 24€ par jour au titre de l’aide au retour à l’emploi. En instance de divorce, elle ne peut plus compter sur les ressources de son ex-conjoint.

Elle n'en veut pourtant pas à sa clientèle. Son amertume, elle la réserve plutôt au système. "Le problème avec la micro-entreprise, c’est que tout est basé sur le chiffre d’affaires et pas sur les revenus." Même chose pour son allocation de mère isolée qui a chuté de 600 à 60 euros.

Dans quelques semaines, elle travaillera à Saint-Quentin comme femme de ménage pour une entreprise d'aide à la personne.

La présidentielle ? Elle en est loin. La trentenaire n’a voté qu’une seule fois dans sa vie. Et cela ne changera pas cette année : "Le vote c’est pour la classe au-dessus."

Même dédain pour Virginie. Si cette cliente d’Amandine se rendra dans l’isoloir, elle ne sait pas qui remportera son bulletin. Peut-être personne.

Virginie ne se plaint pourtant pas de sa situation. Agente administrative dans une usine depuis 2006, elle vient de régler avec son mari la dernière traite de leur maison : « Un soulagement ! Mais il reste encore des travaux à faire. Nous n’avons pas pu en faire pendant 18 ans. »

Comme beaucoup de gens croisés pendant le reportage, elle ressent un déclassement progressif depuis plusieurs années : "Avant il y avait des pauvres, des classes moyennes et des riches. Maintenant, il y a des pauvres et des très riches." A son fils, titulaire d’un CAP et d’un bac pro en chaudronnerie, elle conseille de partir. Selon elle, l’avenir n’est pas en Picardie.

Augmenter les salaires pour embaucher

Les entreprises recrutent, mais elles ne trouvent pas toujours sur place les profils recherchés : électriciens, électromécaniciens ou encore conducteurs de ligne. Les employeurs font pourtant des efforts, certains n’hésitent pas à former en interne ou « à augmenter très vite le salaire en raison des difficultés à recruter », assure Emeline Pétriaux, responsable d’une agence d’intérim à Nesle.

Mais le niveau de formation reste trop faible : en 2018, selon la direction générale des finances publiques, 28% des habitants de plus de 15 ans avaient un diplôme égal ou supérieur au baccalauréat.

La communauté de communes de l'est de la Somme ne compte qu’un lycée professionnel. A Ham. Les autres établissements les plus proches sont à Saint-Quentin dans l’Aisne à trente minutes de voiture. Petite lueur d’espoir : un projet d’école de production, porté par la CCES, sur le modèle de celle ouverte en septembre à Compiègne.

Un tel établissement, au plus près des bassins de vie, pourrait intéresser partout en France comme le montre le succès de la proposition de Dominique dans le cadre de l'opération MaFrance2022 : cet internaute de 71 ans, originaire du Pas-de-Calais, souhaite que les candidats à la présidence s'engagent à "développer la formation, surtout les jeunes pour les ouvrir aux métiers de demain !" Pas moins de 436 personnes ont réagi à cette idée, dont 80% en sa faveur. 

Des trajets domicile-travail de plus en plus chers

La mobilité est l’autre handicap de la ruralité. Sans bus, à chacun de se débrouiller, en voiture ou en mobylette ; particulièrement depuis l’envolée des cours du pétrole : "Un client me disait que les intérimaires ne viennent plus parce que l’entreprise est trop loin de chez eux. Ça devient plus compliqué qu’avant quand on doit faire un plein par semaine", nous explique Emeline Pétriaux.

Comment aider ces intérimaires dans leurs trajets domicile-travail ? Loïc, Samarien de 24 ans, propose dans le cadre de MaFrance2022 d'"améliorer la desserte en transport en commun en zone rurale, en mettant en place par exemple le transport à la demande". 214 internautes ont voté : 68% "pour".

Avec la guerre en Ukraine, le prix du carburant devrait même atteindre des sommets en avril en pleine élection présidentielle. Cette question à l’origine du mouvement des Gilets jaunes à l’automne 2018 peut jouer contre Emmanuel Macron.

Zemmour, c’est Le Pen pour les riches

Sébastien, 42 ans

Le président de la République n’avait déjà pas suscité un grand enthousiasme lors du précédent scrutin à l’inverse de Marine Le Pen. En 2017, à Ham et Nesle, la candidate du Rassemblement national avait séduit au premier tour plus d’un électeur sur trois et plus d’un sur deux au second tour.

Parmi ces électeurs, Sébastien, Neslois de 42 ans, préparateur-cariste dans le secteur de la plasturgie et fidèle du mouvement d’extrême droite depuis sa majorité : « mais cette année, j’ai un doute. » Un doute qu’il ne sait pas vraiment expliquer. Voterait-il pour Eric Zemmour ? Non, « Zemmour, c’est Le Pen pour les riches. »

Nous rencontrons Sébastien dans l'un des seuls lieux d'animation du coin, la Nouvelle Scène à Nesle. Il sort du spectacle Step proposé par la compagnie de danse lilloise Farid'O.

Pas sa tasse de thé a priori, lui serait plus sensible à "une star qu’on voit à la télé, comme Jeff Panacloc". Mais sa fille Isalyne, qui a bénéficié d'une représentation avec sa classe quelques heures plus tôt, lui a demandé de revenir.

Le père de famille s'est surpris à aimer les chorégraphies swing entraînantes inspirées par la vie de l'auteur afro-américain James Baldwin et le mouvement Black lives matter. 

Ce soir, sur les quelques spectateurs présents, Sébastien et sa fille sont les seuls locaux. La culture peine à attirer. L'équipement flambant neuf a-t-il sa place entre un pôle industriel et des champs ? : "C'est un projet ambitieux", assure Benoît Ferré, directeur de la Nouvelle Scène, "les nouvelles entreprises attirent de nouveaux habitants qui ont besoin de se divertir".

Outre la Nouvelle Scène, la communauté de la communes de l'est de la Somme compte également un cabaret, le P'tit Baltard, à Nesle, une médiathèque et une salle des fêtes à Ham. Reste que les jeunes que nous avons rencontrés ne voient pas ces opportunités.

Les bars, rarement ouverts le soir, sont de moins en moins nombreux et laissent la place à des kebabs comme le Picardy à Ham. Jérôme, le patron, rend son tablier au bout de seulement huit mois : "C'est mort ici".

On ne compte plus

Aymeric, 28 ans

"Je suis jeune, mais j'ai le sentiment que c'était mieux il y a 20 ans", se désole Aymeric. Ce contrôleur des finances publiques à la Défense, âgé de 28 ans, revient chaque week-end voir sa mère à Ham.

A l'écouter, on comprend que la campagne électorale est loin des gens et que le camp de l'abstention ou du vote blanc, déjà fort en 2017, pourrait à nouveau s'imposer : "On ne compte plus. Ukraine, Covid, les enjeux sont plus importants que la vie des gens. A part les Gilets jaunes, la France périurbaine est délaissée", conclue-t-il notre conversation sur un trottoir du centre-ville.

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