"S’il y a un incendie dans un de nos centres de tri, on perd tout" : de plus en plus de collectivités territoriales peinent à trouver un assureur

Inondation, émeutes, tempêtes, hausse des recours contre les élus... De plus en plus de collectivités territoriales font face à des difficultés grandissantes pour trouver un assureur. Et celles qui en ont trouvé un pointent du doigt une augmentation conséquente du montant des polices d'assurance et des franchises.

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"Avant, c’était beaucoup moins compliqué de trouver un assureur. On a lancé des appels d’offres en cinq lots pour des contrats de quatre ans : les dommages aux biens, la responsabilité civile, la responsabilité des véhicules à moteur, la protection juridique et la protection fonctionnelle des agents et des élus. On a eu des réponses pour trois lots. Il nous restait à assurer les biens et la protection des agents et des élus."

Des polices d'assurance en forte hausse

Pour ces deux derniers appels d'offres restés sans proposition, Dominique Delannoy, vice-président de la communauté de communes du Ponthieu-Marquenterre dans la Somme, explique qu'il a fallu entamer des négociations dites de "de gré à gré" avec les opérateurs d'assurances. 350 agents et 16 élus à assurer. 46 bâtiments parmi lesquels des écoles, des églises, des déchetteries répartis sur 71 communes...

La police qu’on a souscrite pour les bâtiments a été multipliée par trois et celle pour les véhicules a augmenté de 26%.

Dominique Delannoy, vice-président de la communauté de communes Ponthieu-Marquenterre

Pas facile donc de trouver un assureur. À ce jour, si la protection des agents et des élus n'est pas encore assurée, les dommages aux bâtiments sont enfin couverts. Mais à quel prix... "La police qu’on a souscrite pour les bâtiments a été multipliée par trois et celle pour les véhicules a augmenté de 26 %".

Pour Yves Lecompte, le représentant de France Assureurs dans les Hauts-de-France, c'est le système français de l'assurance qui justifie ces situations : "en France, dans le domaine des assurances, on est sur un principe de mutualisation et si on veut que la mutualisation continue de fonctionner, il faut que les primes d’assurance des uns puissent payer les sinistres des autres. Économiquement, si on n’augmente pas les polices d’assurance, au vu des sommes remboursées, à un moment le système est en danger. Certaines polices d’assurance et de franchises ont augmenté de manière assez conséquente eu égard aux émeutes et aux sinistres climatiques récents. Quand vous avez plusieurs évènements climatiques qui ont touché la collectivité territoriale ou des dégâts à la suite des émeutes, il est clair que la charge sinistres par rapport aux primes enregistrées par l’assureur est dégradée et que donc, il demande à revoir les conditions d’assurance soit en termes de primes soit en termes de franchises."

Multiplication des risques sociaux et climatiques

Et de rappeler qu'en dix ans, les coûts liés aux sinistres climatiques ont été multipliés par quatre tandis que les émeutes de l'été 2023 ont coûté 760 millions aux assurances, dont 200 millions rien que pour les dommages subis par les collectivités territoriales, "ces 200 millions représentant plus de 50 % des cotisations annuelles de cette branche d’assurance."

On n’a pas eu d’inondations. Rien. On paye la potentialité du risque.

Dominique Delannoy, vice-président de la communauté de communes Ponthieu-Marquenterre

Risques sociaux. Risques climatiques. Dominique Delannoy ne voit pas bien en quoi la communauté de communes du Ponthieu-Marquenterre est concernée : "Pourquoi 26 % de hausse sur l'assurance des véhicules ? On en a très peu. Une vingtaine qui fait beaucoup d’heures sur la route, mais très peu de kilomètres parce qu’ils servent essentiellement au portage des repas. On n’a pratiquement pas eu d’accidents, relève-t-il. Pour les bâtiments, on a eu quelques soucis avec Ciaran, quelques trucs qui se sont envolés, mais ça ne se chiffrait pas en millions d’euros. On n’a pas eu d’inondations. Rien. Je pense qu'on paye la potentialité du risque."

Des opérateurs frileux et plus exigeants

La potentialité du risque, les opérateurs d'assurance appellent ça la sinistralité. Et depuis plusieurs mois, concernant les collectivités territoriales, cette sinistralité a fortement augmenté. De quoi refroidir nombre d'opérateurs d'assurance et rendre les autres plus exigeants.

C'est ce à quoi est confronté depuis plusieurs mois Philippe Cozette, le directeur de Valor'Aisne. "Depuis le 1er janvier 2023, on n’est pas couvert pour les dommages aux biens et la perte d’exploitation, notamment pour nos centres de tri. Pour l’instant, s’il y a un incendie dans un de nos centres de tri, on perd tout." Et cette situation l'inquiète passablement.

Ce syndicat départemental assure le traitement des déchets ménagers de la presque totalité des communautés de communes et d'agglomération de l'Aisne. En 2022, Valor'Aisne a traité 276 677 tonnes de déchets, principalement sur le site d'Urvillers. Une activité à risques qui effraie les opérateurs d'assurance, notamment sur les dommages aux biens.

Sur l’activité tri des déchets, le risque le plus important, c’est le risque incendie.

Philippe Cozette, directeur de Valor'Aisne

Fin 2022, le contrat d'assurance de cette collectivité territoriale prend fin. Pour renouveler la police, des appels d’offres sont lancés pour assurer les bâtiments, le risque de perte d'exploitation et les personnels. Seul celui concernant la protection des 130 agents conduit à la signature d'un contrat d'assurance. Et si le siège de Valor'Aisne situé à Laon est assuré "parce qu'il n'y a que des bureaux, le gros problème, c’est pour les centres de traitement des déchets à Urvillers et Saint-Germain. Sur l’activité tri des déchets, le risque le plus important, c’est le risque incendie", explique Philippe Cozette. Et d'appuyer ses dires en citant le centre de tri d'Excoffier en Haute-Savoie ravagé par les flammes le 23 octobre dernier.

Investir pour minimiser le risque

Que les deux centres de tri ne soient pas assurés, "c'est un enjeu énorme parce que ce sont des équipements onéreux, avoue Philippe Cozette. Le centre de tri d’Urvillers, qui est le principal centre de tri et qui est relativement récent, c’est 25 millions d’euros. Et je ne parle que de l’équipement. L'autre difficulté, c’est la perte d'exploitation : s’il y a un incendie et qu’il est inutilisable, nos déchets, il faut quand même qu’on les trie et qu’on les traite, donc il va falloir les envoyer dans des centres de tri privés. S’ils veulent bien de nous parce qu’ils ont aussi des capacités de tri limitées. Et ils nous les prendront, mais pas au même prix".

Les polices d’assurance, ça se chiffre en centaines de milliers d’euros par an. Pour les franchises, c’est des dizaines de milliers d’euros.

Philippe Cozette, directeur de Valor'Aisne

Sans réponse à l'appel d'offres pour les dommages aux biens des deux centres de tri, Valor'Aisne est actuellement en négociation de gré à gré avec des assureurs. Mais ça n'est pas beaucoup plus simple. Il faut minimiser le risque d'incendie au maximum. Un système de caméras thermiques reliées à une télésurveillance a été installé il y a peu pour repérer les sources de chaleur.

Un investissement de 500 000 € qui n'est pas suffisant pour les opérateurs assurantiels. "On a un énorme stock de déchets de plusieurs centaines de tonnes, détaille Philippe Cozette. Et les assureurs avec lesquels on est en discussion veulent que ce stock de déchets soit le plus éloigné possible du centre de tri parce que ce qui coûte cher, c’est le bâtiment, mais surtout tout le matériel de haute technologie qu’il y a à l’intérieur. Et l’une des solutions envisagées, c’est de construire un nouveau bâtiment pour le stock de déchets."

Une mission d'information demandée par le gouvernement

Des travaux qui se chiffrent en centaines de milliers d'euros. Auxquels il faudra ensuite ajouter les polices d'assurance et les franchises qui resteront malgré tout très élevées : "Les polices d’assurance, ça se chiffre en centaines de milliers d’euros par an. Pour les franchises, c’est des dizaines de milliers d’euros", calcule Philippe Cozette.

Face à la frilosité des assureurs, certaines collectivités ont choisi l'autoassurance en budgétisant chaque année le coût potentiel des risques. Irréalisable pour Philippe Cozette qui ne voit pas comment mettre de côté en quatre ans a minima 25 millions d'euros. Même position pour Dominique Delannoy pour la communauté de communes du Ponthieu-Marquenterre : "l’idée avait été soumise, mais c’est quand même un peu dangereux : tant qu’il ne vous arrive rien, ça va, mais quand il arrive quelque chose, ça peut vite devenir une catastrophe."

On va certainement devoir encore resserrer les boulons et encore limiter nos dépenses.

Dominique Delannoy, vice-président de la communauté de communes Ponthieu-Marquenterre

La situation est à ce point préoccupante que fin octobre, le gouvernement a confié au maire de Vesoul, Alain Chrétien, et à l'ancien président de la fédération nationale Groupama, Jean-Yves Daggès, une mission d'information sur "l'assurabilité des collectivités territoriales" dont les conclusions seront rendues en avril 2024.

En attendant, pour absorber ce surcoût assurantiel, à la communauté de communes du Ponthieu-Marquenterre, "on a déjà limité les budgets des vice-présidences à cause du coût de la vie, mais là, on va certainement devoir encore resserrer les boulons et encore limiter nos dépenses", déplore Dominique Delannoy.

Philippe Cozette, de son côté, continue de négocier avec les assureurs et de limiter les risques au maximum : "on était déjà vigilants avant mais aujourd’hui, de fait, on l'est encore plus. Mais au quotidien, ne pas être assuré, c’est un peu anxiogène."

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