La réforme du concours de l'internat est entrée en vigueur cette année. Avec elle, des étudiants ont préféré redoubler. En tout, 1510 postes ont été supprimés. Une pétition détaille l’ampleur des problèmes que leur pose cette réforme.
Inquiets de devoir épouser une profession qui ne leur plaît pas, des internes ont lancé une pétition en ligne demandant une réouverture de postes pour leur rentrée. 55 000 personnes l'ont déjà signée.
Dedans, on peut lire : "Nos études ont fait l’objet de nombreuses réformes dont nous avons essuyé les plâtres. Réforme de la PACES-One (première année commune aux études de santé) mettant fin aux redoublements autorisés, puis celle de la R2C (Reforme du deuxième Cycle). Les termes de cette dernière [ndlr, réforme] n’avaient pas encore été posés clairement lorsque nous avons commencé notre deuxième cycle, et n’ont fait que changer au cours du cursus."
Là encore, c'est une réforme qui a mis les étudiants en colère. Le mode d'évaluation du concours de l'internat a été modifié, ajoutant un examen oral au QCM de la précédente version. Cette méthode est jugée arbitraire par les futurs internes. "Cet examen subjectif s’est passé dans des conditions de neutralité douteuses", peut-on lire dans leur pétition.
La génération "crash test", comme elle se présente elle-même, était effrayée par le fait d'être une nouvelle fois dans l'incertitude. Une partie de ces étudiants a préféré redoubler son année plutôt que d'avancer à l'aveuglette.
Des risques sur la santé mentale des internes
Il y aura donc beaucoup moins d'internes cette année. Ils étaient 9 484 en 2023 et ils ne seront plus que 7 974 cette année. Puisqu'il y a moins de candidats, le ministère de la Santé a aussi réduit le nombre de postes : l'opportunité pour lui et les agences régionales de santé de revoir la répartition des postes entre les spécialités.
Le nombre de postes a été réduit "sans prendre en compte" les souhaits d'orientation des nouveaux internes, diminuant par exemple "de moitié" les postes en chirurgie plastique, alors que d'autres spécialités sont moins touchées, déplorent les signataires de la pétition. "Trop d'étudiants devront choisir une spécialité par dépit dans laquelle ils seront moins investis et la qualité de leurs soins en pâtira. Après six ou sept ans d'études acharnées, on ne nous permet pas de choisir notre métier", rapportent aussi ces derniers.
« Choix de spécialité qui tourne au cauchemar »
— Clara (@ClaraBxrt) August 19, 2024
Ce thread pour vous expliquer ma situation personnelle en tant qu’étudiante en 6e année de médecine censée choisir sa spé actuellement. On est en train de vivre une injustice monstrueuse.#ANEMFecoutemoi #touchepasàMESpostes
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Jérome Delécrin est vice-président du Bureau des Internes Picards. Il s'inquiète pour ses successeurs, mais aussi pour des services entiers : "On est un peu dans le stress, surtout pour ceux qui doivent faire leur choix. Ils ne savent pas ce qui les attend ni où ils vont aller. Dans les hôpitaux, pour l'instant, on ne sait pas non plus ce qui va se passer, combien d'internes ont choisi une division. C'est assez flou. Pour l'instant, je pense que les hôpitaux ne se préparent pas forcément, parce qu'ils ne savent pas combien d'internes ils auront".
Sa première préoccupation porte sur la santé mentale des internes : "Le risque, c'est qu'on se retrouve avec des médecins qui vont prendre une spécialité par défaut alors qu'ils vont faire ça toute leur vie. Au niveau de la santé mentale, ce n'est pas très bien, pas du tout. D’autant plus qu'il y a un suicide d'interne tous les 18 jours donc c'est très fort. Ce qui va se passer cette année, ça nous fait très peur."
Le bien-être des patients à défaut de celui des soignants
L'objectif pour le ministère de la Santé, dans cette nouvelle répartition de postes entre les spécialités, c'est de former en priorité des médecins dans les domaines les plus urgents. Et ce, quitte à délaisser les spécialités parfois plus demandées par les étudiants pour privilégier les besoins des patients.
On trouve quelques exemples de ses suppressions de postes dans la pétition : "les postes de chirurgie plastique et reconstructrice ont été diminués de moitié, tandis que la médecine générale à Bordeaux l’a été de 20%"
Un mauvais calcul selon la docteure Ricard-Hibon, porte-parole du syndicat SAMU-Urgence de France : "Tous les services qui ferment des lits et tous les établissements qui ferment des lits par souci d'effectifs, ça se répercute forcément sur les urgences qui sont ouvertes tout le temps et n'ont pas la possibilité de refuser un patient qui a besoin d'être hospitalisé. (...) C'était anticipable parce que toutes réformes, on sait qu'elles aboutissent à cette crainte des internes et qu’il y a plus de redoublements."
Une charge de travail encore plus conséquente
40% des "ressources médicales" dans les CHU sont constitués par les internes, selon le syndicat SAMU-Urgence de France. Les soignants présents, moins nombreux à la rentrée, devraient ainsi se partager une charge de travail qui elle, ne diminuerait pas comme l'explique la pétition : "Dans les spécialités à garde, cela va encore alourdir la répartition des gardes, la charge de travail, et mettre en danger la santé mentale des internes."
Une affirmation confirmée par Jérome Deléclin en Picardie, qui est déjà épuisé par le rythme qu'impose sa spécialité : la médecine d'urgence. "Ça va être une charge de travail beaucoup plus importante alors que ça fait déjà plusieurs années qu'on a lutté pour les 48 heures/semaine qui devraient normalement être appliquées partout. C'est une directive européenne." Selon la dernière étude de l'Intersyndicale Nationale des Internes, en moyenne, un interne est à 59h par semaine.
Pas de conséquences immédiates ?
Les conséquences de ce manque d'effectif pourraient se faire sentir dès le mois de novembre, au moment du roulement des internes. Pourtant, la docteure Ricard-Hibon, porte-parole du syndicat SAMU-Urgence de France nuance : "La première année d'internat est dans cette phase socle, ils pratiquent, bien sûr, mais ils pratiquent sous l'autorité d'un senior en étant encadré systématiquement. Quand on a des internes en fin d’internat, qui sont en dixième année par exemple, ils sont en autonomie supervisée, c’est-à-dire qu'ils font plein de choses tout seul. En première année d'internat, ils ne pratiquent jamais seuls. À la fin de leur internat en revanche, ça va poser un problème, parce qu'ils seront docteurs juniors. Là, ils ont des responsabilités et peuvent prendre en charge des patients seuls". Le manque se ferait donc ressentir dans 4 à 5 ans selon les spécialités.
Une affirmation que réfute complètement le vice-président du Bureau des internes Picards. "Les internes voient des patients dès le premier trimestre. Bien sûr, ils doivent rendre compte, normalement, à des seniors, mais dans les faits, les urgences de n'importe quels hôpitaux sont souvent tenues par des internes de premier ou deuxième semestre, que ça soit une médecine d'urgence ou en médecine générale. Ils vont voir des patients et ne sont absolument pas en observation".
Des solutions ?
La solution qui serait pour l'instant envisagée pour compenser ces absences, ce serait de recruter des étudiants étrangers, voire des médecins étrangers, communément appelés des "faisant fonction d'interne" (FFI). "Il y a plusieurs pistes pour compenser dès le mois de novembre, il y a des compensations par des faisans en fonction, qui sont le plus souvent des étudiants étrangers, de façon à compléter le nombre de postes d'interne qui sont manquants", explique la docteure Ricard-Hibon.
Dès lors que cette génération sera diplômée, ce seront les médecins diplômés qui seront en sous-effectif. Pour ce problème : même solution. "Là aussi, on peut très bien avoir des recrutements qui se font vers l'étranger, ce qui n’est pas forcément toujours apprécié, où on utilise les effectifs de pays qui ont aussi besoin", se désole la vice-présidente de SAMU-Urgence de France. Ces médecins étrangers sont bien moins coûteux que des médecins formés en France.
Le gouvernement semble, jusque-là, sourd aux réclamations des internes. La venue d'un nouveau gouvernement dans les semaines à venir laisse tout de même entrevoir un espoir aux étudiants qui concluent leur pétition par ces mots : "Nous demandons avec insistance la réouverture des négociations sur le nombre de postes d’internes proposés pour mieux adapter leur répartition à la demande des étudiants."