C’est une directive européenne qui a officiellement ouvert les portes du métier de sage-femme aux hommes en 1982. Si la profession reste majoritairement féminine, près de 800 hommes ont choisi d’exercer ce métier, comme Renaud Lenne. Un métier qui n’est pas cantonné aux salles d’accouchement. (Première publication le 10/02/2024).
Renaud Lenne est sage-femme au CHU d’Amiens 80 % de son temps. Il a commencé une activité libérale en échographie à raison d’une journée par semaine. Lui qui a grandi dans la campagne picarde, avec ses parents agriculteurs, n’aurait pas imaginé, enfant, exercer cette profession.
Petit garçon, il joue au football, fait du moto-cross, mais il sait déjà qu’il ne prendra pas la succession de son papa. Après le BAC, il entame des études de médecine.
Pas évident de trouver sa place, de faire intégrer aux patientes et à leurs conjoints notre légitimité d’être là.
Renaud Lenne, sage-femme
"Après deux années en médecine, je ne voulais pas me fermer de portes, ni perdre ces deux années d’études. J’avais plusieurs possibilités d’orientation, et j’ai eu envie de découvrir l’école des sages-femmes".
Quand il a annoncé cette décision à sa famille, ses parents étaient un peu étonnés, mais son père lui a dit comme à chaque fois : "Écoute, si tu veux faire ces études, vas-y, mais fais-les jusqu’au bout".
Renaud, qui s’était dit "j’y vais, je fais un an pour voir", a très vite découvert un magnifique métier. "Ce n’est pas facile à appréhender quand on a 20/21 ans. Pas évident de trouver sa place, de faire intégrer aux patientes et à leurs conjoints notre légitimité d’être là. Pas que pour les hommes, je pense, une jeune étudiante doit aussi passer par là, tout simplement parce que nous sommes là pour apprendre dans le cadre de nos stages, de notre formation. C’est lors de ces stages que j’ai compris que je serai sage-femme".
Toutes mes appréhensions ont été gommées par l’humain. Parce que l’humain, c’est ce qui fait que ce métier je l’aime, c’est vraiment un extraordinaire métier, et quinze ans après, je ne regrette rien.
Renaud Lenne, sage-femme
Avant d’aller plus loin, il est important de rappeler le sens du nom sage-femme. Beaucoup pensent qu’il se rapporte à la professionnelle, à tort ou à raison. Mais sage viendrait du latin sapere qui signifie s’y "connaître en". Autrement dit, et même si cette origine est parfois contestée, "qui a la connaissance de la femme". Sage-femme est également un mot épicène, qui ne varie pas selon le genre.
"Je me suis retrouvé dans l’intimité de la femme à 20 ans. On arrive comme si on marchait sur des œufs, il faut prendre en compte la pudeur. Toutes mes appréhensions ont été gommées par l’humain. Parce que l’humain, c’est ce qui fait que ce métier, je l’aime, c’est vraiment un extraordinaire métier, et quinze ans après, je ne regrette rien".
Notre profession ne se résume pas qu’à l’accouchement. Et cela, beaucoup ne le savent pas.
Renaud Lenne, sage-femme
Un métier en manque de reconnaissance ?
Cinq années d’études à l’époque, car à la rentrée de septembre, pour devenir sage-femme, il faudra désormais six années d’études après le BAC pour obtenir le diplôme d’État de docteur en maïeutique. Soit le même nombre d’années que pour devenir chirurgien-dentiste.
Je suis quasi convaincu que si ce métier est si peu reconnu, c’est parce qu’à la base, c’était un métier de femmes.
Renaud Lenne, sage-femme
"Mais quand on démarre dans la profession, les grilles de salaires à l’hôpital ne sont absolument pas identiques ! C’est presque du simple au double ! Et pourtant, quand on est sage-femme, on a une lourde responsabilité, tout peut basculer en un quart de seconde. De plus, notre profession ne se résume pas qu’à l’accouchement. Et cela, beaucoup ne le savent pas. Par exemple, nous accompagnons les futures mamans tout au long de leur grossesse, avant et après l’accouchement. Nous faisons des échographies, assurons un suivi gynécologique tel que la prescription de contraceptifs et pas seulement au moment de la grossesse. Nous préparons le couple à la parentalité, et bien sûr, faisons appel aux médecins dès que c’est nécessaire".
Même si après 15 ans de carrière, Renaud ne regrette rien, ce qui le chagrine vraiment, c’est le manque de reconnaissance de cette profession. Alors, le fait qu’il y ait des hommes sages-femmes peut-il faire changer les choses ?
"Je suis quasi convaincu que si ce métier est si peu reconnu, c’est parce qu’à la base, c’était un métier de femmes. Il y a un vrai décalage entre le niveau de responsabilité et le niveau de reconnaissance, si le fait qu’il y ait des hommes qui exercent cette profession pouvait faire bouger les choses, ça serait bien, mais j’en doute", raconte-t-il dans l'émission Hauts féminin.
Les réactions des futures mamans ?
"Bien sûr, j’ai essuyé quelques refus, mais ce n’est pas ce qui m’a le plus marqué. Je dois sans doute montrer un peu plus patte blanche qu’une femme lorsqu’arrive dans la salle de naissance une maman sur le point d’accoucher. Parfois les futurs papas sont étonnés de voir un homme à cause de la sexualisation du nom de notre métier. Lorsque je revois certaines patientes, elles me disent souvent 'vous êtes plus doux', ce à quoi je réponds toujours avec beaucoup d’humour que je ne saurai jamais ce que cela fait d’accoucher, alors je fais de mon mieux pour que ce moment se passe bien ".
Un métier aux multiples facettes, avec des moments heureux partagés avec les jeunes parents, mais aussi parfois des moments douloureux. "Quand une naissance tourne mal, même si on se dit, et c’est avéré, que ce n’est pas notre faute, c’est quelque chose avec laquelle il faut vivre."
Être sage-femme, c’est aussi l’accompagnement des parents au centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal.
Ce service permet de détecter sur le fœtus in utero des maladies particulièrement graves d’origine génétique, infectieuse ou autre. Constitué d’une équipe de professionnels de la santé, l’objectif de ce service est bien sûr de soigner l’enfant à naître, d’aider les parents à l’accueillir, mais parfois "il y a des anomalies, des malformations tellement graves qu’elles rendent l’enfant non viable. Les médecins spécialistes ont donc le droit de rendre licite une interruption médicale de grossesse. Pour les parents, prendre la décision d’accepter que leur médecin arrête la vie de leur enfant est, vous pouvez l’imaginer, une décision douloureuse. Notre rôle en tant que sage-femme est de les accompagner, et notre relation est encore plus forte, plus profonde avec les parents…"
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Sa motivation ? L'humain
C’est donc l’humain qui motive Renaud Lenne et qui fait qu’aujourd’hui encore son métier le passionne. Et quand on lui demande combien de bébés il a mis au monde depuis le début de sa carrière : "Honnêtement, je n’en ai aucune idée ! J’ai une collègue et amie, qui a tout noté dans des petits carnets, tel jour est né tel bébé de tel poids de telle taille, moi je ne note rien (rires)".
Il [son fils] est né par césarienne, mais je n’aurais pas voulu le faire naître. Sage-femme et Père, sont deux personnes différentes.
Renaud Lenne
Pourtant, des notes, il en fait ! Car il y a énormément de tâches administratives à faire avant et après un accouchement. Et il faut bien tout remplir, tout cocher, "car ce qui n’est pas noté est considéré comme pas fait !"
Pas de souvenir d’un accouchement particulier, mis à part celui d’un accouchement qui aurait pu mal tourner et qui s’est bien terminé, mais, en revanche, une anecdote qui a changé sa vie.
"J’avais une collègue sage-femme qui est venue, avec l’accord de la direction et des services concernés, accoucher sa belle-sœur un jour où elle ne travaillait pas. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à nous rapprocher."
Aujourd’hui en couple avec sa collègue, Renaud a, d’une première union, un petit garçon qui aura six ans le 29 août. Alors, à votre avis, a-t-il mis son fils au monde ? "Il est né par césarienne, mais je n’aurais pas voulu le faire naître. Sage-femme et père, sont deux personnes différentes. Chacun sa place au moment voulu ".