Ils viennent des Hauts-de-France, ont 20, 30 ou 50 ans et sont liés par une expérience un peu particulière : être nés un 29 février. Entre galères et beaux moments, ils partagent leurs histoires.
"Je vais avoir six ans", annonce Laura Devoncre en riant. La jeune étudiante en comptabilité fêtera en réalité ses 24 ans, ce 29 février. Elle et d'autres personnes nées à cette date particulière, qui "n'existe" que tous les quatre ans, ont accepté de nous raconter leur expérience.
"Ça me démarque un peu des autres, ça me fait plutôt sourire, quand j'en parle on me demande toujours ce que ça fait et tout, j'en tire plutôt une force et une attention des gens à mon égard", explique Loïc Guillot, né un 29 février où la neige tombait abondamment sur Abbeville.
"J'en suis fière, je le revendique, ajoute Laura Devoncre. Parfois, j'entends des histoires de parents qui déclarent le 28 févier ou le 1ᵉʳ mars à l'état civil, je trouve ça un peu triste."
Cette fierté est le point commun de plusieurs témoignages : "Ça fait de moi quelqu'un d'unique", souligne ainsi Mélanie Blanquin, qui célèbre cette année ses 44 ans. Pourtant, à l'époque de sa naissance, ses parents ont essayé de décaler l'enregistrement de sa naissance au 28 février, ce qui a été refusé.
"La particularité, souligne-t-elle, c'est qu'on n'a pas forcément l'impression d'avoir un anniversaire, est-ce pour cela que je n'ai pas l'impression de vieillir ?" Cette spécificité peut aussi être un soulagement pour les proches : ceux qui oublient de souhaiter l'anniversaire le 28 février peuvent se rattraper le 1ᵉʳ mars !
Astuces et expertise
"Quand on fait les cartes de fidélité aux magasins, les gens reçoivent des petits cadeaux, moi non, observe Laura Devronce. Donc, je dis que je suis née le 28 pour avoir quelque chose !"
Une astuce que Sabrina Czaban-Forycki refuse d'adopter : "Je donne quand même la bonne date de naissance, c’est à eux de s’adapter", nous confie la jeune femme.
À force de provoquer la curiosité, certaines personnes deviennent incollables sur cette date de naissance particulière. "J'adore tout ce qui a un rapport avec le système solaire, donc expliquer que la terre fait le tour du soleil en 365,25 jours... Et qu'en réalité, c'est un peu moins ! Donc en 2100, il n'y aura pas de 29 février pendant huit ans, pour régler ce petit décalage. Est-ce que je serai toujours là pour voir ça ?", se projette Laura Devronce.
"Concernant cette date, je peux vous dire qu'on la doit à Jules César, qui, par rapport à l'alignement des planètes, a jugé bon pour le calendrier Romain et le calcul astral qu'il y ait 29 jours, tous les quatre ans", détaille Loic Guillot. Dans le système précédent, l'année durait 355 jours et un "mois intercalaire" à durée variable était décrété par les autorités.
"Pour la naissance de ma fille Sarah, on nous a offert un journal qui ne paraît que le 29 février", raconte l'Abbevilloise Anne Evrard. En effet, il s'agit de La bougie du sapeur, un journal humoristique qui ne paraît qu'à cette date depuis 1980 et va donc sortir son douzième numéro.
Quelques galères administratives
"Quand j'ai déclaré la naissance de ma fille à la CAF, ils m'ont renvoyé des papiers avec le 28 février comme date de naissance, se souvient Anne Evrard. J'ai appelé pour signaler l'erreur, la dame au téléphone m'a répondu 'Mais ça n'existe pas, le 29 février !', elle ne voulait pas en démordre et j'ai dû demander à parler à sa responsable pour régler la situation !"
Des erreurs ont également été commises par l'école, les impôts, la sécurité sociale. "À partir de ses 8 ans, tous les quatre ans jusqu'à ses 16 ans, il fallait que je la réinscrive sur ma carte vitale, je suis contente qu'elle en ait une à elle maintenant !" souffle Anne Evrard. Depuis, sa fille Sarah vérifie scrupuleusement sa date de naissance sur tous les documents administratifs.
La CAF réveille aussi de mauvais souvenirs pour Sabrina Czaban-Forycki : "Je ne pouvais pas m’inscrire sur le site de la CAF : impossibilité de me connecter, car la date de naissance n’était pas reconnue. C’était un cauchemar, ça a pris très longtemps à être corrigé, plusieurs mois." Mais d'après elle, depuis sept à huit ans, les problèmes de ce type se font de plus en plus rares.
Le regard des autres
Une chose est certaine, cette date de naissance ne laisse pas indifférent. "Tout à l’heure, j'ai reçu une commerciale, je lui ai donné ma date de naissance, elle m’a répondu 'ah, c’est dommage'", raconte Sabrina Czaban-Forycki. Elle va fêter ses 36 ans cette année et a dû attendre d'avoir entamé la vingtaine pour accepter cette partie de son identité qui provoque systématiquement des réflexions.
"Quand on est adolescent, ça peut être désagréable, déplore Sabrina Czaban-Forycki. Au moment du collège, je n’acceptais pas ma date de naissance, c’était très compliqué. Je n’aimais pas quand on arrivait sur le 28, j’avais cette appréhension. Il y avait aussi les taquineries de la famille, 'pas d’anniversaire, pas de cadeau', c’est juste une blague, mais c’était pénible."
D'autres, comme Loic Guillot, prennent le parti d'en rire : "Je ne trouve pas que ce soit une galère, mais plutôt un amusement avec des blagues genre 'tu n'existes pas', 'le calendrier t'a encore oublié cette année', 'tu attends minuit le 28 et puis rien... Tu passes en mars' (...) Je suis aussi imitateur, je me dis que même ma naissance est un sketch, un peu comme Chaplin qui a réussi à mourir le 25 décembre, pour faire rire jusque dans sa mort."
Et puis, il y a les parents, qui aident à rendre cette expérience agréable. "Mon papa, qui n'est plus là, pour me consoler quand j'étais petite fille, me disait : 'Une date exceptionnelle pour une petite fille exceptionnelle'. Cette phrase m'a empêchée d'être malheureuse toute petite et d'en être fière par la suite, maintenant, c'est amusant", confie ainsi Élodie Decherf.
"Ma maman fait quelque chose d’original : elle me souhaite 'Bon...', le 28 et '...Anniversaire', le 1er" sourit Sabrina Czaban-Forycki.
"Mais tu le fêtes quand, ton anniversaire ?"
C'est évidemment LA question à laquelle toute personne née un 29 février a déjà dû répondre. Et il y a deux écoles. Sabrina Czaban-Forycki le fête ainsi le 1ᵉʳ mars, car si elle n'était pas née une année bissextile, ce serait sa date de naissance.
Anne Evrard, elle, organise l'anniversaire de sa fille Sarah le 28 février, "parce qu'elle est née en février". Et les années où il y a un 29 février, elle met les petits plats dans les grands. "Elle parle de son 'vrai anniversaire' quand il y a un 29... Cette année, ce sont ses 20 ans, elle va avoir une belle surprise", annonce la maman.
"Quand il y a un 29, je dis que j'ai un anniversaire, les autres années, je n'en ai pas vraiment, abonde Mélanie Blanquin. Il y a quatre ans, le 29 était un samedi et je fêtais mes 40 ans, une date charnière, ça m'a fait quelque chose." Mais cette année, le 29 février est un jeudi, plusieurs personnes ont donc prévu de décaler les réjouissances au week-end.
Ce n'est pas le cas de Sabrina Czaban-Forycki, qui se prépare à passer une excellente journée : "Je refuse de travailler le 29, je ne fais rien, c’est ma journée et je profite de mes proches. Je me dis que c’est mon jour, on mange et on fait ce que je veux !"
Elle a aussi prévu de souhaiter "bon anniversaire" à près de 1 000 autres personnes, car il existe même un groupe Facebook pour celles et ceux qui sont nés un 29 février.