Témoignages. Dans le quotidien des proches aidants auprès des séniors : "moralement, c'est fatigant"

Publié le Écrit par Céline Brégand

Les seniors vivant à domicile dans les Hauts-de-France sont confrontés, plus qu’ailleurs, à la perte d’autonomie. Mais l'entourage est un soutien très présent dans cette région, selon une étude de l'Insee publiée le 12 décembre 2023. Deux aidants, Myriam et Eric, ont accepté de confier leur histoire, entre dévouement inconditionnel et fatigue psychologique.

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Dans les Hauts-de-France, en 2021, 9,3 % des personnes de 60 ans ou plus vivant à domicile, soit 133 000 personnes, déclarent éprouver d’importantes difficultés dans les actes de la vie quotidienne, contre seulement 7,2 % en France métropolitaine, selon les résultats d'une étude de l'Insee publiée mardi 12 décembre 2023.

Des chiffres qui s'expliquent notamment par le niveau de vie moins élevé des habitants et la surreprésentation des ouvriers, dont les conditions de travail, plus pénibles, ont des effets à terme sur la santé.

Une forte solidarité intergénérationnelle

La région se distingue cependant par la plus forte solidarité intergénérationnelle du pays. 21 % des seniors bénéficient d'une aide à domicile de leur entourage contre 17 % en France métropolitaine.

Pour ceux en perte d'autonomie vivant à domicile, 95 % d'entre eux bénéficient d'une aide professionnelle (infirmier, aide ménagère) ou technique (canne, déambulateur, fauteuil roulant, etc.) et 94 % d'entre eux bénéficient d'une aide de leur entourage (contre 91 % en France métropolitaine). Dans la plupart des cas, les deux types d'aide se cumulent.

Myriam Mandine et Eric Hadengue font partie de ces aidants. Depuis plusieurs années, ils s'occupent chacun quotidiennement de leur mère, en perte d'autonomie. Ils ont accepté de livrer leur témoignage à France 3 Hauts-de-France.

"J'essaie d'y aller au moins une fois par jour"

"Physiquement, je suis assez alerte. Mais moralement, c'est fatigant, on ne sait jamais comment on va la retrouver", constate Eric Hadengue, 62 ans. Depuis la mort de son père en 2018, il s'occupe quotidiennement de sa mère, Françoise, atteinte de la maladie d'Alzheimer. "Elle mélange les dates, les médicaments, les enfants et les petits-enfants."

À 84 ans, Françoise vit seule dans sa maison de Roye, dans la Somme. Après une carrière dans un magasin de pièces de rechanges et comme responsable des services généraux dans une usine, Eric est désormais à la retraite depuis deux ans. Il habite seulement à quelques pas de chez sa mère. "J'essaie d'y aller au moins une fois par jour", explique celui qui "ne compte pas" ses heures auprès de sa mère.

Il y a des moments où des choses un peu idiotes me mettent hors de moi, comme le fait qu'il y ait plein de cartons sur la table ou l'évier engorgé. C'est la maladie qui veut ça. Mais c'est pas évident. 

Eric Hadengue, aidant auprès de sa mère Françoise, 84 ans

Selon l'étude de l'Insee, les femmes sont plus concernées par la perte d'autonomie que les hommes. Dans les Hauts-de-France, 11 % des femmes âgées de 60 ans ou plus, vivant à domicile, sont confrontées à une perte d’autonomie en 2021, contre seulement 7 % des hommes. En comparaison, au niveau national, ces parts s’élèvent respectivement à 8,6 % et 5,6 %. Un écart qui s'explique notamment par la plus grande espérance de vie des femmes.

"Je ne peux pas sortir la tête du guidon"

À Gandelu dans l'Aisne, Myriam Mandine vit quant à elle avec sa mère, Marie-José, 89 ans, dans la maison de cette dernière. Ancienne professeure de sport et coach à domicile, Myriam a dû mettre sa vie entre parenthèses depuis trois ans pour s'occuper à plein temps de sa mère, qui souffre de nombreux problèmes de santé consécutifs à une mauvaise chute. Elle fait partie des 22 % des seniors de la région à rencontrer des difficultés pour se déplacer.

Je n'ai jamais de recul, ni de temps de repos, je ne peux pas sortir la tête du guidon. [...] De vouloir l'accompagner, c'est moi qui suis complètement délaissée.

Myriam Mandine, aidante auprès de sa mère Marie-José, 89 ans

La célibataire de 58 ans avait pour idée de monter un gite rural dans l'Aisne autour du bien-être, un projet qui a dû être mis sur pause.

Au début, Marie-José et Myriam ont sollicité des aides professionnelles à domicile. Mais aucune des différentes expériences n'a été satisfaisante. "C'était très mal organisé. Ils ne prennent pas assez en compte la personnalité et le mode de vie de la personne. C'est plutôt à la personne de s'adapter au personnel que l'inverse...", regrette Myriam. Les deux femmes disent également avoir été victimes d'abus de confiance de la part d'une aide et de son compagnon.

"Sa volonté est de rester dans sa maison"

Désormais, une femme de ménage vient travailler chez Marie-José deux fois par semaine et un jour de plus de temps à autre pour faire du repassage. Mais Myriam aurait besoin d'une aide pour l'administratif et le jardin.

Les trois autres enfants de Marie-José "ne s'occupent pas d'elles", déplore Marie-José. "Ils veulent mettre ma mère en Ehpad et trouvent tous les prétextes pour dire qu'elle serait mieux là-bas alors que sa volonté est de rester dans sa maison, qui est aménagée pour elle".

Marie-José a connu une carrière variée. Elle a notamment été gestionnaire d'une association de prévention de la délinquance mineure et maire de Gandelu. Son mari est décédé en 2013. "Je suis propriétaire de la maison. Je n'ai pas envie de la laisser. Si je pars, elle sera abandonnée", craint Marie-José.

Si l'octogénaire se déplace souvent en déambulateur ou essaie de se déplacer avec des cannes, elle a récemment retrouvé une certaine forme et "de la tonicité" grâce aux soins qui lui sont prodigués. Une kiné se rend notamment à son domicile deux fois par semaine. "Elle veut participer. Mais il y a des limites physiques, de fatigue et de traumatisme", explique sa fille.

Une solidarité familiale essentielle

À la mort de son père, Eric s'est occupé de tous les papiers. "C'était plus pratique que ce soit moi qui le fasse parce que je n'étais pas loin." Un de ses frères habite Évreux et l'autre à 40 km de Roye. "Ils téléphonent à notre mère tous les jours", précise Eric. Et lorsque lui et sa femme veulent partir en vacances, un de leurs fils ou un des frères d'Eric prend le relais auprès de Françoise.

Un voisin vient également voir la vieille dame deux fois par semaine, et un des fils d'Eric lui rend régulièrement visite. Mais au quotidien, "dès qu'il faut intervenir pour prendre un rendez-vous, pour le médecin, les VSL", c'est Eric qui s'en occupe. "Et je lui fais toutes les courses", ajoute-t-il. Trois fois par semaine, Françoise bénéficie par ailleurs d'un service de portage de repas.

Depuis quelque temps, un infirmier passe aussi deux fois par jour pour surveiller la prise de médicaments.

Avant, c'était mon épouse qui préparait le pilulier, mais sa prise de médicaments était aléatoire. Là, on est sûr qu'elle les prend bien.

Eric Hadengue, aidant auprès de sa mère Françoise, 84 ans

En raison d'un manque de personnel, l'aide professionnelle proposée par la communauté de communes du Grand Roye pour la toilette s'est arrêtée. Les autres structures n'avaient personne à lui proposer ou une offre inadaptée. "Les dossiers à monter pour les aides, il faut vraiment en vouloir !", souligne Eric. "Et pour celui qui n'a pas de facilité à utiliser l'informatique, c'est pas évident", appuie-t-il.

Le sexagénaire s'est donc tourné vers une société privée. Françoise emploie une personne pour l'aider pour la toilette et le ménage deux fois par semaine pour un coût de 130 € par mois. Une somme qu'elle finance, malgré sa petite retraite de femme de ménage.

Des structures pour accompagner les aidants

En avril 2023, alors que sa mère était hospitalisée à Villiers-Saint-Denis, Myriam a eu connaissance de l'existence de la plateforme d'accompagnement et de répit des aidants. "Avec eux, quelque chose de rassurant se met en place, on peut être aidées ensemble et individuellement", se réjouit-elle. Dernièrement, mère et fille ont participé à un atelier sport et santé. D'autres activités sont organisées plusieurs fois par semaine, auxquelles elles pourront participer à deux ou séparément.

Prochainement, grâce à la plateforme, Myriam devrait pouvoir prendre un peu de temps pour elle. "Une personne pourra venir six heures par mois à la maison pour s'occuper d'elle", explique la quinquagénaire.

Pour la première fois, j'aurai six heures d'affilée déterminées pour pouvoir faire autre chose. Je vais en profiter pour essayer d'y voir clair, déterminer les priorités dans ma vie et notre gestion de vie à toutes les deux.

Myriam Mandine, aidante auprès de sa mère Marie-José, 89 ans

La plateforme propose également une aide juridique. Un coup de main bienvenu qui donne à Myriam "un espoir pour mieux gérer la situation et pour qu'[elles soient] mieux accompagnées". L'objectif principal pour Myriam est que "ça se passe bien avec [s]a mère, ensemble, et que des choses puissent être mises en place pour chacune".

"Une fatigue morale"

Depuis six mois, Eric et Françoise sont, eux aussi, aidés par une plateforme d'accompagnement et de répit des aidants : Aliis Somme Est, portée par le Centre hospitalier intercommunal de Montdidier-Roye.

"Quand je les ai rencontrés, c'était pour que ma maman fasse des activités autres que de rester devant la télé. Tous les jeudis, ils viennent la chercher pour des activités manuelles et variées. Elle voit du monde. Et je sais que, du matin au soir, elle est prise en charge, qu'il y a quelqu'un avec elle toute la journée". Un soulagement pour Eric.

Aliis lui a également permis de rencontrer d'autres aidants récemment lors d'une promenade organisée. "C'est là qu'on se rend compte que la plupart des aidants ont une fatigue morale."

L'Insee prévoit encore une augmentation croissante du nombre de séniors dépendants dans la région jusqu'en 2050. Face à ce constat, le législateur se penche de plus en plus sur cette question. Une proposition de loi sur le "bien veillir" a d'ailleurs été adoptée au mois de novembre à l'Assemblée nationale.

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