Depuis quelques jours et jusqu'en 2028, le Groupement d'étude des milieux estuariens et littoraux (GEMEL) participe à une étude des populations de crabe chinois sur les côtes de Picardie et du Nord. Cette espèce invasive est dans le viseur des scientifiques européens, car elle cause déjà de gros dégâts en Belgique.
Il est sur la liste des 100 espèces invasives considérées comme les plus néfastes. Le crabe chinois ou crabe à mitaines est un petit crustacé de neuf centimètres de large, facilement reconnaissable à ses pattes velues et à ses pinces blanches.
Introduit en Allemagne au début du XXe siècle, il serait présent sur les côtes du nord de la France depuis les années 1930. Il n'a pourtant jamais fait l'objet d'un suivi scientifique qui permettrait d'évaluer la taille et l'évolution de sa population.
Une méconnaissance qui va être corrigée grâce à un nouveau projet européen de recherche, auquel participe le Groupement d'étude des milieux estuariens et littoraux (GEMEL) basé à Saint-Valéry-sur-Somme, aux côtés de scientifiques d'Allemagne, de Suède et de Belgique.
11 fleuves de la région sous surveillance
Les deux premières nasses ont été posées le 30 octobre dans l'embouchure de la Bresle, à la frontière entre la Somme et la Normandie. L'une d'entre elle a été relevée le 6 novembre, mais en raison du fort courant causé par les précipitations de ces derniers jours, aucun animal n'y a été piégé. L'autre nasse a été volée, malgré l'étiquette précisant qu'il s'agit d'un projet scientifique.
Mais ce début difficile ne décourage pas les membres du GEMEL, car la tâche à accomplir est vaste : quatre fois par an jusqu'en 2025, ils vont répliquer ce suivi sur 11 fleuves de la Somme et du Nord. Ce sont les estuaires qui les intéressent particulièrement, puisque le crabe chinois vit en eau douce et se reproduit dans l'eau salée, il migre donc régulièrement entre ces deux milieux.
La raison de ce nouveau suivi européen initié par l'université d'Anvers et l'agence flamande pour l'environnement, ce sont les nuisances causées par ce crustacé. "Cette espèce rentre en compétition avec les espèces locales, par exemple les poissons qui migrent et les écrevisses, les crabes s'alimentent des mêmes proies, détaille Céline Rolet, directrice et chargée de recherches au GEMEL. Ils endommagent aussi les digues et berges en creusant des terriers. Quand ils se reproduisent en mer, ils restent coincés dans les filets, ce qui pose un problème aux pêcheurs."
Piéger pour étudier
L'étude européenne, appelée Clancy, suit un protocole différent selon les pays. Sur nos côtes, il s'agira principalement de piéger des crabes pour évaluer la quantité présente. "Une fois au laboratoire, nous les tuons directement par congélation, indique Céline Rolet. Ensuite, nous faisons des mesures biométriques : leur taille, leur poids, leur sexe, si les femelles ont des œufs. Nous regardons s'ils sont parasités pour avoir un état sanitaire de la population."
Les crabes sont ensuite envoyés au laboratoire de l'université d'Anvers pour déterminer leur profil génétique : les scientifiques veulent en effet savoir s'il s'agit de la même population dans les différents pays.
Selon une étude à laquelle a participé l'Université d'Anvers, une grande partie de l'ADN du crabe chinois, espèce invasive présente en Belgique, provient en réalité d'un crabe japonais de Russie https://t.co/Y8bpRM7qwD
— Daily Science (@dailyscience2) June 2, 2022
Il reste encore beaucoup à découvrir sur la présence du crabe chinois en France, mais d'après Céline Rolet, "il y en aurait de plus en plus depuis quelques années. Il y a trois ans, un monsieur à Herre-les-Rue nous a appelé, car il en a trouvé un dans son jardin, donc ils se promènent parfois loin de leurs cours d'eau." Un spécimen fût également retrouvé dans le canal de l'Aisne en 2018.
L'opération permettra également d'évaluer la présence d'autres nuisibles : "Nous allons peut-être capturer des écrevisses dans les nasses, dont l'écrevisse de Louisiane qui est invasive, ajoute Céline Rolet. Si on en attrape, nous suivrons également cette espèce." Cette espèce de crabe n'est en effet pas le seul crustacé invasif suivi par le GEMEL, qui a réalisé une étude sur trois autres espèces nuisant aux élevages de coquillages entre 2021 et 2023.
Sensibiliser et valoriser
Quand la phase de suivi de la population sera plus avancée, le GEMEL sensibilisera le public à la reconnaissance de ce crabe invasif. S'il est considéré comme un mets raffiné en Chine où il se vend à bon prix, il vaut mieux ne pas improviser lorsqu'il s'agit de le cuisiner : il est en effet porteur de la douve orientale du poumon, un ver parasite qui peut contaminer les humains.
En Belgique et en Allemagne, où l'espèce prolifère et cause de gros dégâts sur la biodiversité depuis au moins cinq ans, le projet va aussi permettre de déployer des pièges pour réduire la taille des populations.
Dans ces pays, des filières d'export vers le marché chinois existent déjà : il est menacé en Chine en raison de la surpêche. Le crabe chinois peut également être utilisé comme appât de pêche, aliment pour les poissons et même dans l'industrie cosmétique... Si sa prolifération se vérifie sur nos côtes, cela représentera peut-être une opportunité.