La peur au ventre et la rage au coeur. Une infirmière du CHU de Lille a accepté de témoigner. Passionnée mais inquiète. Déterminée mais révoltée.
Nous l'appellerons Karine. Elle est infirmière au CHU de Lille depuis de longues années, dans un service qui pratique des greffes et qui traite des patients en ambulatoire. « Il ne faut pas virer parano, mais je me sens en danger » , lance-t-elle.
Elle qui est aguerrie, qui a pourtant été d’astreinte lors de l’épidémie d’Ebola a peur. C’est même la première fois ! Peur aussi de contaminer ses enfants. Et en plus, elle est en colère : contre ceux qui ne respectent pas le confinement, contre les gouvernements qui se sont succédés depuis 10 ans et ont asséché les moyens humains, techniques et matériels de l’hôpital public.
Devoir travailler, même malade
Elle affirme que dans son service on leur a dit : « Si vous êtes contaminés mais que vous tenez debout, venez quand même travailler avec un masque ! »
Lequel ? Le chirurgical ou le FFP2 ? « On n’en sait rien, on ne nous l’a pas dit », s’exclame Karine, abattue. Et elle ajoute que l’hôpital a tellement perdu de soignants qu’on leur suggère 3 jours d’arrêt seulement en cas d’atteinte par le virus !
Dans les services du 2ème hôpital le mieux classé de France (d’après le classement du magazine Le Point), des listes de critères pour préparer le « tri » des patients ont été établies même si les décisions de réanimation seront prises au cas par cas !
Dans son service, quand il y a des entrées « suspicion Covid », on prend en charge les patients sans même savoir si ce sont des cas avérés : "Et on ne teste pas tous les patients et pas du tout les soignants ; est-ce parce qu’on manque de tests ? En fait, on risque de se contaminer les uns les autres d’autant que les masques manquent aussi ! On veut qu’on nous dise les choses clairement, mais on a l’impression que nos chefs tâtonnent…"
Dans son service, il n’y a pas de cadre la nuit mais une seule responsable pour plusieurs le bâtiment ! Et à cause des vols de matériels qui se sont multipliés, les masques FFP2 ont été mis sous clé !
« Après cet épisode, j’aurai besoin de soutien psychologique »
Karine a du mal à supporter les citoyens qui trichent avec le confinement : « Les gens croient que c’est un jeu, mais ils ne comprennent pas à quel point c’est grave ! Si un de nos patient fait une détresse ( vitale), on a reçu comme consigne de ne pas entrer dans la chambre et d’appeler la réa » ! Elle explique que les personnels de réanimation sont équipés pour être protégés des projections en cas d’intubation ; mais si l’équipe de réa n’est pas disponible quand survient la détresse, le patient peut mourir seul ! « On nous a dit : dans ce cas c’est soit vous, soit le patient ! Moi, après cet épisode, j’aurai besoin de soutien psychologique.»
Dans son service, les lits de soins intensifs ont été fermés pour accueillir les malades « covid », les chambres doubles sont devenues individuelles et de nouvelles plages de traitement en ambulatoire ont été crées pour éviter les croisements entre patients fragiles et « covid ».
« Par rapport à ce qui se passe dans l’Est de la France, on sait qu’on vit le calme qui précède la tempête ; tous les services du CHR se sont mobilisés, on attend la vague mais on va travailler la peur au ventre, et on rentre en ayant peur de contaminer sa famille ».
Les gens ont besoin d’une bonne grosse prise de conscience. Face à ce qu’elle vit à l’hôpital, cette infirmière lance un cri d’alarme, peu sensible au consensus qui rassemble à 20H des citoyens dont elle estime qu’ils ont besoin d’une « bonne grosse prise de conscience ». D’ailleurs, elle souligne qu’aux urgences – en dehors des arrivées liées au covid-19- il n’y a jamais eu aussi peu de monde : ce qui prouve bien qu’en temps normal les urgences servent bien trop à la bobologie : "Les gens sont égoïstes", déplore-t-elle.
Le président ? Qu’il nous redonne plutôt les moyens de sauver la santé » !
Quant aux gouvernants, ils en prennent aussi pour leur grade. Karine a été choquée par une réflexion d’ Emmanuel Macron à un neurologue après une visite à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 27 février dernier. Le neurologue avait interpellé le président de la République sur les moyens en berne des hôpitaux et le lendemain Emmanuel Macron répliquait que ce médecin n’avait rien à voir avec le coronavirus …
« Le président ? Mais qu’est-ce qu’il connait lui de notre quotidien en faisant une visite de quelques minutes à l’hôpital ? Et en plus, il se permet de tâcler un neurologue en lui disant que les virus ça n’est pas sa spécialité ! Qu’il nous redonne plutôt les moyens de sauver la santé. Ça fait des années qu’on est « dans la merde », qu’on réduit le personnel , qu’on est appelé sur nos jours de repos, qu’on n’est pas payé quand on est en grève mais qu’on travaille quand même, qu’on n’est pas écouté, qu’on ne parle plus de soins mais de rentabilité. Il faut que les gens se rendent compte que l’hôpital meurt ! »
Karine, rappelle combien, selon elle, les gouvernements ont affaibli l’hôpital depuis 10 ans, en particulier depuis la loi instaurant la tarification à l’acte.
Constatant, amère que tout s’est dégradé, elle retrouve un peu d’espoir grâce à la reconnaissance qu’expriment de nouveau les patients à l’égard des soignants. "Ça c’était perdu la reconnaissance, les patients étaient devenus exigeants, nous mettant en concurrence avec internet et l’automédication ! Mais depuis l’épidémie, tout a changé !"
Et, après réflexion, Karine nuance son relatif désintérêt des applaudissements de 20 h : « La solidarité de tous ces gens qui nous soutiennent sera bien plus utile après l’épidemie car ce sera nous, soignants qu’il faudra guérir psychologiquement… »