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Des cotisations qui doublent de 14 à 28% du bénéfice, des milliers d'euros de charges en plus à l'année, des doutes sur l'avenir de leur profession, on a rassemblé les témoignages de paramédicaux qui expliquent l'impact que pourrait avoir la réforme des retraites sur eux.
Loin des grèves de la SNCF et de la RATP, les kinés, orthophonistes ou encore les podologues libéraux cherchent à faire entendre leur voix. La réforme des retraites risquerait de mettre à mal leur caisse de retraite autonome et excédentaire. Dans leur témoignage, l'inquiétude transparaît, certains professionnels de santé envisagent même une reconversion.
Delphine, orthophoniste : "Avec la réforme, je me pose pas mal de questions"
Delphine est orthophoniste depuis sept ans sur Lille. Le matin, elle se rend au domicile des personnes âgées et l'après-midi, elle est collaboratrice et travaille auprès des enfants.
Elle reçoit environ 55 patients par semaine. "Je voudrais m'installer dans mon propre cabinet dans les prochaines années mais avec la réforme, je me pose pas mal de questions. Si le taux de cotisation au régime de retraite passe à 28% au lieu de 14 %, cela me ferait 7 000 euros de charges en plus par an alors que je paie aussi 500 euros par mois à l'URSSAFF [Union de recouvrement pour la sécurité sociale et les allocations familiales. Elle collecte les cotisations et les contributions sociales de la Sécurité sociale]."
A cela s'ajoutent les charges liées à la location du cabinet, à l'achat de jeux pour les enfants, à du nouveau matériel, au frais d'essence et d'entretien de la voiture. "En tout, plus de la moitié de mon chiffre d'affaires part dans ces charges". A la fin du mois, il reste à cette orthophoniste 1 800 à 1 900 euros net. "C'est pas cher payé pour les grosses journées que l'on fait et avec les 28%, il va même diminuer"
Et impossible pour les orthophonistes de répertorier le manque à gagner sur leurs tarifs : "C'est la CPAM qui les fixe et nous n'avons pas été augmentés depuis plusieurs années. On ne peut donc pas compenser ainsi la hausse des charges de retraite."
François, kinésithérapeute : "C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase"
François est kinésithérapeute. Il a commencé en tant que salarié il y a huit ans avant de rejoindre le libéral, deux ans et demi plus tard. "J'ai fait ce choix pour avoir une plus grande liberté d'exercice, de me dire que j'étais mon propre patron même si la réalité est un peu différente de l'idée qu'on en a." Chaque semaine, il accueille une centaine de patients et fait des journées de plus de 10 heures.
"Contrairement aux salariés, nous, la réforme de retraite ne va pas nous toucher uniquement au moment de la retraite mais aura un impact dès demain avec l'augmentation des cotisations. Aujourd'hui, je cotise à hauteur de 700 euros par mois, si la réforme reste en l'état, ces cotisations vont doubler." Pas de quoi remettre en question la pérennité de son cabinet qui accueille sept autre kinés, mais suffisamment pour affecter son mode d'exercice.
"'C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Est-ce que je pourrais toujours consacrer une demie heure par patient ? ou alors est-ce qu'il faudra que je prenne plus de patients en même temps ou sinon leur consacrer seulement une quinzaine de minutes ? Une autre manière de répercuter les coûts serait d'investir moins dans du matériel ou de recourir au dépassement d'honoraires.", regrette-t-il.
François s'inquiète aussi pour ses confrères : "De notre côté, on va subsister même si ça va être compliqué. Mais forcément, pour toutes les professions libérales, il y a une baisse de motivation. Il y a moins en moins de kinés qui vont s'installer en libéral, la patientèle risque de se tourner vers les hôpitaux. Or ils sont déjà débordés et manquent de moyens."
Carine, podologue-pédicure : "J'envisage soit de changer de métier soit de quitter la France"
Carine est podologue-pédicure. Elle détient deux cabinets dans le boulonnais situés en zone rurale et hyper-rurale. Cela fait 18 ans qu'elle exerce ce métier. Elle accueille 8 à 20 patients par jour et une fois la journée terminée, vers 19 h 30, elle se charge de la stérilisation et du ménage du cabinet. Le week-end, elle s'occupe de l'administratif.
"Avec cette réforme, c'est mon avenir qui est remis en cause. J'envisage soit de changer de métier soit de quitter la France pour m'installer au Maroc ou au Canada. On nous demande beaucoup d'efforts. On fait tout pour soigner les gens mais on nous écrase de plus en plus"
Malgré ses deux cabinets, elle gagne 2 000 euros net par mois en bossant de 45 à 60 heures par semaine. "Avec mon mari, on est tous les deux dans la même galère. Il est aussi podologue et il ne gagne même pas le Smic horaire." En ce moment, elle ne travaille pas pour s'occuper de ces deux filles qui viennent de naître. Comme l'ensemble des libéraux, elle n'a pas le droit aux congés maternité et reçoit "50 euros brut par jour en sachant que je n'ai plus d'autres activités rémunérées durant cette période".
La réforme aurait aussi un impact indirect sur les patients. "Déjà que seulement une petite part des soins en pédicure ou podologie sont remboursés. Si j'augmente les tarifs sur les séances non remboursées, plus personne ne viendra se soigner car ça deviendra trop cher", déplore Carine.
En quoi le régime de retraite des paramédicaux libéraux était-il jusque-là différent ?
A la différence du régime de retraite général, les libéraux cotisent pour des régimes autonomes. Comme des entrepreneurs, ils paient des charges, des cotisations et financent à 100% leur régime de retraite. Avec la réforme des retraites telle qu'elle a été présenté, le montant des cotisations des libéraux passeraient de 14 à 28 % de leurs bénéfices. Une augmentation qui se traduit par des milliers d'euros en moins à la fin de l'année.
En plus de ces cotisations versées à leur régime de retraite, les professions libérales participent aussi au financement des autres régimes. Ils cotisent tous les mois au régime de sécurité sociale. A la différence des salariés, ils n'ont pas de droits à l'assurance chômage, de congés payés, de congés parentaux, de paiement d'heures supplémentaires et leur délai de carence en cas de maladie est de 90 jours et non trois dans le privé et un dans le public.
A ces différentes cotisations s'ajoutent les impôts et les charges liées à leur activité : achat de matériel, location ou achat d'un cabinet, charges d'eau et d'électricité, frais liés à la voiture pour les praticiens à domicile.
Pour Patricia Navarro, administratrice au sein du syndicat FNO, fédération nationale des orthophonistes, rien n'est encore acté. "Les négociations sont toujours en cours. On reste très vigilant à ce que ce qui est dit soit en accord avec les spécificités de nos professions." Les discussions se concentreraient sur trois axes : "la compensation de la hausse des cotisations, le maintien de la gouvernance sur la caisse de retraite et le sort des réserves car notre caisse se portant très bien, nous étions excédentaires. On souhaite donc maintenir les choses qui fonctionnent bien."