100 ans après les célèbres grèves des Penn Sardin, les sardinières qui travaillent aujourd'hui à l'usine Chancerelle de Douarnenez tentent de comprendre les motivations de la transformation du monde ouvrier contemporain. Dans son documentaire, « Demain au boulot » Liza Le Tonquer, dresse le portrait de ces ouvrières du XXIè siècle.
À Douarnenez, sur la pointe finistérienne, les dernières conserveries ont quitté le port et sont désormais installées dans la zone industrielle. La ville, devenue aujourd'hui une carte postale pour les touristes, demeure, pour autant, une cité ouvrière particulièrement marquée par ses luttes sociales.
Cent ans après les grèves des sardinières commémorées cette année, 600 personnes, essentiellement des femmes, travaillent toujours à l'usine Chancerelle de Douarnenez, la plus vieille conserverie du monde. Beaucoup de ces femmes sont originaires de Côte d'Ivoire, du Congo ou de Madagascar.
Ces ouvrières, installées depuis plusieurs années en France, mêlent leurs voix à celles des ouvrières originaires de la région, parfois elles-mêmes filles d'ouvrières, pour faire entendre leurs inquiétudes.
Un avenir incertain
Elles se nomment Justine, Edith, Rachel, Mariem, Patricia… On les appelait autrefois "filles de presse", pour presser le poisson, ou encore "filles fritures", pour celles qui emmenaient la sardine à frire dans l'huile d'olive.
À la chaîne, leurs gestes sont précis pour enlever les entrailles des sardines. Un travail minutieux et délicat, "un savoir-faire ancestral qui se transmet de génération en génération", peut-on lire sur les emballages.
Mais si la sardine est fragile, la sardinière, elle, est courageuse et tenace, malgré un avenir incertain.
Une cadence rythmée par les chiffres
Debout pour l'étripage, à la chaîne, dans les odeurs, le bruit et les mains dans le froid, elles enlèvent la tête et les entrailles des sardines. C'est un travail difficile.
Les contremaîtres, eux, ont les yeux rivés sur les écrans de calcul, en bout de ligne, qui affichent le rendement.
Ces ouvrières sont éreintées en fin de journée. Les kilomètres pour venir à l'usine, le prix de l'essence, le repas pris dans un laps de temps chronométré, la cadence à respecter... les journées se suivent ainsi, et la fatigue s'accumule.
"Parfois, à la fin de la journée, j'ai l'impression qu'une machine m'est passée dessus" témoigne l'une des ouvrières.
Une organisation complexe
Si les transformations des mécanismes de production ont amélioré la rentabilité de l'entreprise, les sardinières, elles, se désolent de voir leur reconnaissance au travail s'amoindrir et constatent une déshumanisation de l'entreprise.
"Nous ne voyons plus les patrons" disent-elles, "seuls les maîtres et contremaîtresses s'affairent à maintenir le rythme et la cadence".
Ça sent fort, il fait froid, il y a du bruit, alors on chante toujours, comme les Penn Sardin d'autrefois, la boule au ventre.
Une sardinière
Les plannings sont très complexes. Dès lors qu'une machine tombe en panne sur la chaîne de production, c'est toute organisation qui se voit modifiée. Un ajustement quotidien du personnel, des horaires à rallonge ou écourtés, il n'y a pas de stabilité fonctionnelle et la fatigue se sent. "Nos conditions de travail sont devenues déshumanisantes" résument-elles.
Quand on arrive le matin, on nous demande de rentrer chez nous parce qu'une des machines ne fonctionne plus. Puis, on nous rappelle pour revenir, parfois pour une reprise de service à quatre heures du matin.
Une ouvrière
Pour le bien-être au travail ou pour le rendement ?
À l'heure où les guette un nouveau changement sur les lignes, les sardinières de Chancerelle à Douarnenez sont en alerte. Et malgré une réserve de rigueur dans le monde ouvrier, par pudeur ou par crainte des représailles, les langues se sont déliées, petit à petit.
« Les ouvrières ce sont comme des petites abeilles, plus vous les titillez, plus elles vont piquer » commente l'une d'elles.
Ils font ce qu’ils veulent, mais aujourd’hui c’est fini. On dormait et on s’est réveillé
Les sardinières de l'usine Chancerelle
La réalisatrice Liza Le Tonquer a filmé ces filles qui travaillent à l'usine et elle dresse le portrait de femmes inquiètes pour leur avenir.
"Demain, au boulot" un documentaire à voir sur France 3 Bretagne, le jeudi 9 janvier en deuxième partie de soirée, et sur france.tv dès maintenant.