Alors que Douarnenez célèbre le centenaire de la grève des sardinières, un film documentaire "Le chant des sardinières" s'interroge sur l'héritage laissé dans la ville portuaire, un siècle après ce mouvement social. Dans la ville, ses chants et chez les Douarnenistes, l'empreinte est restée forte.
Il pleut à Douarnenez. Nous sommes au printemps 2024. Une foule compacte se tient serrée sur les marches descendant vers le port du Rosmeur. Il y a des parapluies, des imperméables colorés et un groupe multigénérationnel qui entonne avec une puissance joyeuse des chants d’un autre temps. Cette foule, c’est la chorale Douarneniste Kanit'Ta animée et portée par Manon Hamard. Elle reprend un siècle plus tard les chants des ouvrières :
"« Écoutez claquer leur sabot, écoutez leur colère, c’est la grève des sardinières… »
C'est l'une des séquences marquantes du documentaire Littoral "Le chant des sardinières" réalisé par Nina Montagné à retrouver sur la plateforme france.tv.
Chanter pour tenir
Loin d'être anecdotique, les chants ont occupé une place essentielle lors du mouvement de révolte des sardinières en 1924. L'artiste Nolwenn Korbell, originaire de Douarnenez, raconte :
Toutes les femmes qui ont vécu à cette époque-là le disent, elles chantaient tout le temps pour se donner du courage, pour que le temps passe plus vite, pour que le travail soit moins roboratif. Je pense que le chant est encore l'un des derniers moyens gratuit et à portée de gorge, à porter de cœur pour tenir.
Nolwenn Korbell
Nolwenn korbell connaît les anciennes ouvrières, celles que l'on appelait les Penn Sardin au début du 20ᵉ siècle. Celles qui ont mené la grève de 1924 pour réclamer une augmentation de salaire et de meilleures conditions de travail ont aujourd'hui toutes disparu. Dans les années 80, la réalisatrice Marie Hélia avait pu recueillir leur témoignage dans le film devenu indispensable, "L'usine rouge".
On y voit ainsi une ancienne Penn Sardin raconter la révolution au sein de l'usine lorsqu’est apparu le chant anarchiste "Saluez riche heureux". Des ouvrières furent licenciées après l'avoir chanté à l'usine, fenêtres grandes ouvertes. Aucune strophe ne fait pourtant référence au travail des femmes de la conserverie, à la Bretagne ou à la mer. Mais le refrain, facile à mémoriser et qui dénonce la misère des ouvriers et des ouvrières, va devenir un hymne pour la ville entière. Saluez riche heureux reste, aujourd’hui encore, bien connue, et même parfois qualifiée de "chanson des sardinières"…
La chanteuse Elsa Corre, elle aussi Douarneniste, complète le récit de Nolwenn :
"Je pense que les chants ont pu être une force pour continuer à travailler, marquer la cadence de l'usine et aussi pour aller revendiquer des choses dans la rue. Et c'est très chouette de voir qu'à Douarnenez, c'est en train de revenir".
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"Cette grève, c'est dans l'ADN de la ville"
Ici et là, sur les murs de la ville portuaire, des portraits des ouvrières ont été collés. Ils rappellent la culture militante de la cité. Un groupe d’ouvrières contestataires est représenté, les coiffes traditionnelles sont de sorties. Il y a aussi des enfants et des hommes en sabots. Ils tiennent une banderole "Pemp real a vo", pour cinq sous de plus en breton, le slogan de la grève des sardinières.
Non loin de là, c'est un groupe de femmes, poing levé, fêtant leur victoire contre les patrons des conserveries. Il y a aussi le collage de l’une de ces anciennes travailleuses, Joséphine Pencalet. Elle est dessinée drapeau rouge à la main. Elle a été la première femme élue en France dans un conseil municipal.
À l’origine de ces collages, Marianne Larvol, elle aussi habitante de Douarnenez :
C'est dans l'ADN de la ville cette grève. Douarnenez n'est pas une ville qui laisse indifférent. On aime ou on n'aime pas, on sait en tout cas se faire entendre...même en étant tout au bout de la Bretagne.
Marianne Larvol
Depuis quelques années, Douarnenez a vu sa population augmenter avec notamment l'arrivée d'un nouveau profil d'habitant, souvent des urbains issus de milieux artistiques qui viennent se mettre au vert. La cohabitation n'est pas toujours simple. Il faut parfois composer. Elsa Corre raconte toutefois la volonté de préserver coûte que coûte l'esprit de la ville
Il y a un truc dans cette ville, cette impression du "c'était mieux avant" quand la ville était ouvrière, quand il y avait des travailleurs dans la rue. Aujourd'hui la ville doit faire face à l'affluence des touristes et à la "gentrification", plus personne ne peut se loger. Ce qu'il reste de cette grève et de la lutte, c'est l'envie de "faire ensemble" et ne pas se laisser marcher dessus.
Elsa Corre
Témoignages d'hier et d'aujourd'hui
Douarnenez est aussi connu pour sa culture matriarcale, un héritage là aussi du 19ᵉ et 20ᵉ siècle. À cette époque, les hommes partaient en mer longtemps et les femmes travaillaient dans les conserveries, se retrouvant parfois veuves très jeunes suite aux naufrages des bateaux.
Le documentaire de Nina Montagné interroge également cet aspect en effectuant un va-et-vient audacieux entre les témoignages de différentes époques. Ceux des anciennes Penn Sardin récoltés dans les années 80 via le film de Marie Hélia "L'usine rouge", et les femmes engagées aujourd'hui dans leur ville d'origine ou de cœur, Douarnenez.
Tout cela nous rappelle à quel point cette grève a marqué au fer rouge, c'est le cas de la dire, l'histoire de la ville.
À l'occasion du week-end célébrant le centenaire de la grève des Penn Sardin, Le Chant des sardinières de Nina Montagné et L'usine rouge de Marie Hélia seront projetés au cinéma la Balise à Douarnenez le vendredi 22 novembre à 20h.
L'ensemble des magazines Littoral sont à retrouver sur la plateforme France.tv