Un procureur allemand s'est penché mercredi sur des archives d'une association de "malgré-nous" à Strasbourg pour tenter, 70 ans après les faits, de faire progresser une enquête sur le massacre perpétré par les SS à Oradour-sur-Glane.
Soixante-dix ans après le massacre d'Oradour-sur-Glane, un procureur allemand s'est rendu en Alsace pour tenter de faire progresser son enquête, en fouillant notamment mercredi à Strabourg dans les archives d'une association de "malgré-nous", ces Alsaciens incorporés de force dans les troupes allemandes.
Sans s'avancer sur le nombre de personnes qui pourraient être jugées en Allemagne si ses investigations devaient aboutir, le procureur de Dortmund, Andreas Brendel, a expliqué qu'il s'agirait d'Allemands et non d'Alsaciens, alors que la question des malgré-nous reste très sensible en Alsace.
Le procureur de Dortmund a déjà à son actif plusieurs enquêtes à l'encontre de criminels nazis - tels que l'ex-gardien d'Auschwitz, Reinhold Hanning, condamné à 5 ans de prison le 17 juin. Sur Oradour, il a longtemps concentré ses efforts sur Werner Christukat, ancien SS inculpé en janvier 2014, qui a bénéficié d'un non lieu en décembre 2014 faute de preuve, confirmé en appel en juin 2015.
"Le sang doit couler"
Le 10 juin 1944, 642 personnes, dont plus de 450 femmes et enfants, avaient été enfermées et brûlés vives par les SS dans une église de ce village de Haute-Vienne. Les investigations avaient été relancées en octobre 2010, après la découverte par un historien d'un document tiré d'une enquête de la Stasi, la police secrète est-allemande. Il apportait notamment le témoignage d'un ancien SS présent à Oradour, révélant cette phrase lancée aux troupes par l'un des chefs avant la tuerie: "Aujourd'hui, le sang doit couler".C'est également un livre, "Entre deux fronts, les incorporés de force alsaciens dans la Waffen SS" de Nicolas Mengus et André Hugel, qui a orienté le procureur allemand vers des procès-verbaux détenus au siège strasbourgeois de l'Association des Déserteurs, Évadés et Incorporés de Force (ADEIF). Ces procès-verbaux sont ceux d'interrogatoires et de témoignages recueillis pour le procès qui s'est tenu en 1953 devant un tribunal militaire à Bordeaux.
Au cours de ce procès, 21 soldats avaient été jugés pour leur participation présumée à la tuerie, dont une majorité de Français d'Alsace enrôlés de force dans l'armée allemande. Les Français avaient ensuite été amnistiés au nom de la réconciliation nationale. Ce sont notamment ces documents que M. Brendel a demandé à consulter mercredi, lors de cette visite qui constitue un acte d'enquête et non une perquisition, a-t-il insisté. Il était accompagné par un major de la gendarmerie française, appartenant à l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre, cette visite se déroulant dans le cadre d'une demande d'entraide pénale internationale adressée par l'Allemagne à la France.
"Nous avons trouvé des documents d'archives que nous cherchions et qui complètent ce que nous avions déjà", a expliqué M. Brendel, soulignant qu'il était trop tôt pour savoir si ces document feraient progresser l'enquête.
Témoignages non retrouvés
Le temps écoulé depuis les faits complique fortement sa tâche. "Certaines personnes qu'on soupçonne d'avoir participé sont déjà mortes et beaucoup de témoins aussi, c'est pour cela qu'il faut se fonder sur des documents", a-t-il expliqué, soulignant que ces documents n'auraient toutefois "jamais la même valeur qu'une personne qui témoigne directement au tribunal".
Les enquêteurs doivent d'ailleurs entendre jeudi un Alsacien âgé de 90 ans et une femme résidant en Moselle. L'historien Nicolas Mengus, présent lors de la consultation des archives, a indiqué que les enquêteurs avaient trouvé à Strasbourg "dix documents qu'ils n'avaient pas". "Mais il y a des dépositions et des témoignages qu'on n'a pas retrouvés", a-t-il constaté, soulignant que ses propres recherches remontaient à environ 10 ans.
"Ce qui nous inquiète c'est qu'une fois de plus, on refasse le procès de Bordeaux, où on n'a accusé que des deuxièmes classes, des lampistes. On a toujours protégé les hauts gradés", a dit Gérard Michel, secrétaire général de l'ADEIF, choqué par la présence du procureur allemand dans ses locaux. "Avant d'envoyer une enquête allemande dans les locaux de l'ADEIF à Strasbourg, n'eût-il pas mieux valu qu'une haute autorité allemande vienne publiquement demander le pardon pour l'incorporation de force (des Alsaciens) ?", s'est interrogée l'association.