Comprendre Azincourt : avant la bataille, 78 ans de conflit entre la France et l'Angleterre

La bataille d'Azincourt du 25 octobre 1415 s'inscrit dans un long conflit dynastique et territorial, opposant les rois de France et d'Angleterre, qu'on appellera, une fois terminé, la "Guerre de Cent Ans". Voici un rappel des épisodes majeurs qui ont précédé.

Quand le 25 octobre 1415 les armées française et anglaise se font face à Azincourt, cela fait 78 ans que les deux royaumes ont déclenché les hostilités. Voici un rappel des principaux épisodes précédents :  
 


10 octobre 1337 : le roi d'Angleterre revendique la couronne de France 

Le 10 octobre 1337, le roi d'Angleterre, Edouard III, paraphe une lettre de défi adressée à son cousin Philippe VI, roi de France. L'évêque de Lincoln, Henry Burghersh, viendra la lui porter en personne à Paris, en mai 1338. Lue à voix haute devant la cour, elle accuse "Philippe de Valois" d'avoir usurpé le trône 10 ans plus tôt. "Pour cette cause, nous vous notifions que nous avons l'intention de conquérir notre héritage par la force des armes​", lui signifie le monarque anglais qui est aussi, par sa mère Isabelle de France, le petit-fils du roi capétien Philippe IV le Bel. Après la mort de ce dernier en 1314, une véritable hécatombe a frappé sa descendance : Louis X "le Hutin", Jean Ier "le Posthume", Philippe V "le Long" et Charles IV "le Bel" ont tous succombé en seulement 14 ans. Maurice Druon les a surnommés "les Rois Maudits". En 1328, la branche aînée des Capétiens, qui régnait sur la France depuis 987, n'avait donc plus d'héritier mâle en filiation directe. Les grands seigneurs français, réunis en assemblée, désignèrent Philippe de Valois, neveu de Philippe le Bel, et non son petit-fils, Edouard III. Inquiets de voir un étranger s'emparer de la couronne, ils prétextèrent une très vieille tradition héritée des Francs, la fameuse "loi salique", qui excluait les femmes et leur descendance de la succession au trône. Une rivalité féodale opposait aussi les deux souverains. Au XIVe siècle, le roi d'Angleterre possédait d'importants territoires en France, hérités de ses aïeux Aliénor d'Aquitaine et Henri II Plantagenêt : le comté de Ponthieu au nord-ouest et surtout, au sud-ouest, le duché de Guyenne qui comprenait une bonne partie de l'actuelle Aquitaine et des Charentes. Ces possessions en faisaient le vassal du roi de France alors qu'Edouard III se considérait - au moins - comme son égal.


4 août 1357 : la chute de Calais

En 1337, Philippe VI reprend le Ponthieu et confisque le duché de Guyenne, très important pour l'économie anglaise en raison notamment du commerce du vin. Les hostilités sont ouvertes : c'est le début ce qu'on appellera a posteriori "la Guerre de Cent Ans" qui tourne, dans un premier temps, à la faveur de l'Anglais. Edouard III a uni sur son blason les symboles des deux royaumes pour marquer ses ambitions : les fleurs de lys sur fond azur y côtoient les trois léopards d'or sur fond rouge. Il remporte en 1340 la bataille navale de L'Ecluse (Sluis, dans les actuels Pays-Bas), lors de laquelle la flotte française est anéantie, puis celle de Crécy​ en 1346, où les archers gallois expriment déjà leur vituosité meurtrière, tuant 4000 combattants dont plusieurs seigneurs de très haut rang. En 1347, Edouard III s'empare de Calais au terme d'un an de siège. Le port, situé à 30 km des côtes anglaises, restera pendant deux siècles une précieuse tête de pont sur le continent.


19 septembre 1356 : le roi de France est capturé

L'épidémie de peste noire qui s'abat sur l'Europe prolonge plusieurs années durant la trêve conclue après la chute de Calais. Quand les hostilités reprennent en 1355, Jean II "le Bon" a succédé à son père Philippe VI, mort cinq ans plus tôt. Courageux mais piètre tacticien, il affronte un redoutable adversaire dont les chevauchées dévastatrices lui valent une sinistre renommée dans toute la France : Edouard de Woodstock, fils aîné d'Edouard III, plus connu sous le surnom de "Prince Noir". Le 19 septembre 1356, ce dernier parvient à capturer le roi de France et l'un de ses fils, Philippe (futur duc de Bourgogne), lors de la bataille de Poitiers. Edouard III peut alors dicter ses conditions. Soucieux de mettre un terme au conflit qui pèse sur les finances de son pays, il renonce temporairement à la couronne de France, mais obtient en contrepartie la ratification du traité de Brétigny (1360) qui lui accorde de larges concessions territoriales (Ponthieu, Poitou, Limousin, Périgord, Rouergue, Armagnac, Béarn...). Une rançon exorbitante est exigée pour la libération du roi de France qui finira sa vie en captivité à Londres en 1364. Elle ne sera jamais payée en intégralité mais pèsera lourdement sur les finances du royaume, provoquant de graves troubles sociaux. Peu de temps après la mort de Jean II, la France subit un autre revers dans la Guerre de Succession de Bretagne. Lors de la bataille d'Auray du 29 septembre 1364, les Montfort, soutenus par les Anglais, l'emportent sur les Blois, alliés des Français. 


18 novembre 1368 : Charles V lance la reconquête

Le successeur de Jean II, Charles V, est un homme bien plus avisé. Il n'avait que 18 ans quand son père a été capturé et a dû assumer la régence du royaume en son absence. Après avoir restauré l'ordre en se débarrassant des "Grandes Compagnies", ces groupes de mercenaires démobilisés qui pillaient le pays sans vergogne, le nouveau roi a rétabli les finances avec la mise en place d'un impôt permanent, réorganisé son armée et préparé patiemment la reconquête. Sur le plan diplomatique, il s'est attelé à isoler l'Angleterre en nouant des liens étroits avec l'Ecosse, la Castille et le Saint Empire Germanique. Le 18 novembre 1368, sûr de ses forces, il décide de dénoncer le traité de Brétigny et relance la guerre contre les Anglais pour reprendre les territoires perdus. Le "Prince Noir", jusqu'alors maître de l'Aquitaine, a perdu de sa superbe. Son ambition dévorante l'a entraîné dans la guerre civile de Castille de l'autre côté des Pyrénées, où il a laissé beaucoup d'argent et surtout sa santé. Atteint de dysenterie, il doit rentrer en Angleterre où il meurt en 1376, un an avant son père, Edouard III. Pendant ce temps, Charles V, soutenu par de brillants chefs de guerre comme Olivier de Clisson, Jean de Vienne et Bertrand du Guesclin, multiplie les succès en son royaume (Pontvallain en 1370, La Rochelle en 1372...) et reprend la main en Bretagne. A sa mort en 1380, les Anglais ne possèdent plus en France que Calais et une Guyenne étriquée autour de Bordeaux et de Bayonne.
 

20 mai 1380 : vers une longue trêve 

Le 20 mai 1380, Français et Anglais entament des négociations de paix à Leulinghen (aujourd'hui Leulinghen-Bernes, dans le Pas-de-Calais), un village situé à mi-distance entre Calais et Boulogne-sur-mer, où seront conclues plusieurs trêves dans les années qui viennent. Deux adolescents sont désormais assis sur les trônes de France et d'Angleterre : en 1380, Charles VI, fils de Charles V, a 12 ans ; Richard II, fils du "Prince Noir" et petit-fils d'Edouard III, en a 13. Après avoir envisagé un débarquement outre-Manche, le jeune roi de France va se rapprocher progressivement de son rival anglais, sur les conseils intéressés de son oncle Philippe "le Hardi", duc de Bourgogne, qui possède aussi le comté de Flandre, dont la santé économique et la paix sociale dépendent étroitement du commerce de la laine avec l'Angleterre. En 1396, une trêve de 28 ans est conclue entre les deux royaumes. Charles VI marie sa fille, Isabelle de Valois, à Richard II. La nouvelle reine d'Angleterre n'est qu'une enfant de 7 ans.    


29 septembre 1399 : Richard II d'Angleterre est destitué

La politique "francophile" de Richard II ne fait pas l'unanimité outre-Manche. Les lords anglais reprochent surtout au jeune monarque sa conduite très autoritaire des affaires dans un royaume où la Magna Carta ("Grande Charte") limite depuis 1215 l'arbitraire royal et l'exercice solitaire du pouvoir. Après avoir fait exécuter un des oncles, Thomas de Woodstock, en 1397, Richard II est renversé le 29 septembre 1399 par son cousin Henry Bolingbroke qu'il avait contraint à l'exil et privé de l'héritage du duché de Lancastre. Celui-ci prend la couronne sous le nom d'Henry IV et fait assassiner son prédécesseur dans sa cellule du château de Pontefract en 1400. Mais le nouveau roi a du mal à asseoir sa légitimité. Accusé d'avoir "usurpé" le trône (il n'était pas le mieux placé dans l'ordre de succession), il doit affronter plusieurs rébellions dans le nord de l'Angleterre et au Pays de Galles. La rivalité avec la France passe provisoirement au second plan, même si son coup d'état a ravivé les tensions entre les deux rives de la Manche. En 1399, les Français avaient monté une vaine expédition pour tenter de secourir Richard II et sa jeune épouse (Isabelle fut renvoyée dans son pays en 1401). Un an plus tard, en 1402, le duc Louis d'Orléans, frère de Charles VI, provoquera le "soit-disant roi d'Angleterre", en combat singulier. Henry IV lui répondra qu'il ne s'abaisserait pas à affronter un seigneur d'un rang inférieur au sien. Le duc lancera en représailles quelques offensives en Guyenne.
 

10 août 1412 : les Anglais reviennent

Le 10 août 1412, Thomas de Lancastre, duc de Clarence et fils cadet d'Henry IV, débarque à Saint-Vaast-la-Hougue, en Normandie, avec 1000 hommes d'armes et 3000 archers. Il répond à l'appel du jeune duc Charles d'Orléans, cousin de Charles VI, en conflit ouvert avec un autre prince français, Jean Sans Peur, duc de Bourgogne. En 1407, ce dernier a fait assassiner son père, Louis d'Orléans, dans les rues de Paris. Depuis, une véritable guerre de factions divise le royaume entre Bourguignons et Orléanais (appelés aussi "Armagnacs" du nom de leur allié Bernard VII d'Armagnac et de ses terribles combattants gascons à la sinistre réputation). Le roi de France, diminué par des crises de "folie" régulières (il était sans doute épileptique voire schizophréne), n'est pas parvenu à enrayer la montée de la violence. Chaque parti a obtenu successivement le soutien de l'Angleterre. En 1411, des archers anglais déjà sont venus prêter main forte à Jean Sans Peur pour casser le siège de Paris, mais en 1412, l'expédition de Thomas de Lancastre pour soutenir les Orléanais est d'une toute autre ampleur. Face à cette menace, Charles VI est sorti de sa torpeur. Il participe au siège de Bourges et contraint les Orléanais à renoncer à l'alliance anglaise. Furieux, le duc de Clarence n'accepte de quitter la France qu'en échange de bijoux et plusieurs otages dont il pourra monnayer la libération. Avec ses troupes, il mène une terrible chevauchée dévastatrice jusqu'à Bordeaux.      


21 mars 1413 : Henry V devient roi d'Angleterre

Le 21 mars 1413, Henry de Lancastre, prince de Galles, succède à son père, Henry IV, sur le trône d'Angleterre. Il est le frère aîné du duc de Clarence et d'un tempérament tout aussi belliqueux. Fin stratège, il sait qu'il doit encore asseoir sa légitimité et celle de la lignée. Devant les divisions qui affaiblissent le voisin français , il n'hésite pas à relancer les hostilités et à revendiquer, comme son arrière-grand-père Edouard III, la couronne de France et la restitution des territoires perdus. En août 1415, il débarque en Normandie avec près de 12 000 hommes et attaque Harfleur, port stratégique, qui permet de contrôler l'embouchure de la Seine. Mais le siège va durer plus longtemps que prévu et causer de nombreuses pertes dans les rangs anglais frappés par la dysenterie. Harfleur tombe le 22 septembre mais Henry V n'a plus les moyens de poursuivre la conquête de la Normandie. Il décide rapatrier ses troupes en remontant vers Calais. Le roi de France, Charles VI, a déjà appelé à la mobilisation du plus grand nombre de seigneurs pour tenter de l'intercepter. Bourguignons et Orléanais font de nouveau cause commune, même si Jean Sans Peur décide de rester à l'écart. Le choc entre les deux armées se produit à Azincourt, dans le sud de l'Artois, le 25 octobre 1415. Les Anglais, pourtant moins nombreux, infligent une défaite mémorable à la chevalerie française, qui perd près de 6000 combattants dont beaucoup de seigneurs de haut-rang. Charles d'Orléans, qui avait pactisé avec l'ennemi héréditaire trois ans plus tôt, est capturé. Il ne sera libéré qu'en 1440. Le désastre d'Azincourt va de nouveau donner la main à l'Angleterre dans cet interminable conflit qui va durer encore quelques décennies.
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