Au tribunal correctionnel de Cherbourg, lors de la deuxième journée du procès de plusieurs entreprises soupçonnées de travail dissimulé sur le chantier du futur réacteur EPR de Flamanville, Bouygues a reconnu des "dysfonctionnements" dans des contrats avec une agence d'intérim internationale.
Bouygues TP a reconnu mercredi des "dysfonctionnements" dans des contrats avec Atlanco, agence d'intérim international, "un peu fantôme" selon le tribunal de Cherbourg qui examine l'emploi irrégulier d'au moins 460 travailleurs étrangers sur le chantier du réacteur EPR de Flamanville (Manche).
"Il y a eu des dysfonctionnements" dans le contrat passé entre Bouygues TP et Atlanco, a reconnu à la barre du tribunal correctionnel Philippe Amequin le directeur général délégué du géant du BTP, au 2e jour d'audience, mais ce contrat "ne concerne aucun salarié" visé par les poursuites.
Au moins 460 salariés concernés par les poursuites
Le procureur de la République Éric Bouillard ne partage pas ce point de vue et estime, lui, que ce contrat est bien visé par la procédure. Les poursuites concernent "au moins 460 salariés", dont 163 Polonais employés par Atlanco et 297 Roumains salariés de l'entreprise Elco, basée à Bucarest entre 2007 et 2012, selon le parquet. Selon Flavien Jorquera avocat de la CGT, partie civile, un peu de plus 70 Polonais travaillaient pour Bouygues via Atlanco en plus de ces 163 qui travaillaient selon Bouygues TP pour une autre société, Welbond Armatures. Le nombre global de salariés concernés dans cette affaire reste donc incertain et le tribunal devra dire si ces quelque 70 s'ajoutent aux 163 ou y sont inclus, et s'ils sont hors procédure ou pas.
Poursuites pour "recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé"
Bouygues TP et Quille, toutes deux filiales de Bouygues construction, et la société françaises Welbond Armatures sont poursuivies notamment "pour recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé". Elles travaillaient sur le chantier au sein d'un même groupement d'entreprises.
"Pression" du maître d'oeuvre sur les délais
Les personnels Bouygues TP chargés de contrôler qu'Atlanco fournissait bien à Bouygues TP les papiers prouvant la régularité de ses embauches, "se sont laissés endormir par leurs interlocuteurs", qui promettaient d'envoyer les pièces manquantes, a expliqué M. Amequin. "Tout semblait aller bien. Les cartes d'accès étaient délivrées" aux ouvriers par EDF, a ajouté M. Amequin. EDF, maître d'oeuvre du chantier qui n'est pas poursuivi dans cette affaire, a "quand même" délivré aux ouvriers des badges d'accès au chantier sans pourtant avoir reçu les pièces qu'elle avait elle aussi demandé et prouvant la régularité des embauches, a noté le président. Interrogé par le président du tribunal, le responsable de Bouygues TP a confirmé une "pression" exercée par EDF sur les entreprises à Flamanville pour que soient tenus les délais sur ce chantier "un peu hors norme" selon le tribunal. Avec un retard d'au moins cinq ans aujourd'hui, et un coût qui a explosé à plus de 8,5 milliards d'euros, l'EPR a fait l'objet de multiples déboires depuis son lancement fin 2007. Son démarrage est annoncé pour 2017. "A l'époque", le chantier emploie "environ 3.000 personnes" avec "de l'ordre d'un tiers de nationalité étrangère", a expliqué à la barre Jean Fresneda inspecteur du travail de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Atlanco grand absent du procès
L'ombre de la société Atlanco Limited, absente au procès car la justice n'a pas réussi à la retrouver, a continué de planer sur ce procès qui doit durer jusqu'à vendredi. "Son siège a d'abord semblé être en Irlande avant que des salariés n'évoquent un siège à Chypre qui s'est avéré n'être seulement qu'un bureau qui permettait de faire fonctionner cette société un peu fantôme", a dit le président du tribunal. Le niveau de cotisations sociales patronales est de 51,7% en France contre 12,1% à Chypre, a souligné mercredi le tribunal. Atlanco et Elco sont poursuivies notamment pour travail dissimulé.Le représentant de la société de BTP roumaine interrogée mardi dans la soirée par le tribunal s'est montré très évasif, assurant exemple ne "pas savoir" quelle était la part du chiffre d'affaires de la société à l'étranger. Le tribunal a évoqué une activité à plus de 90% hors Roumanie. Elco affiche aujourd'hui un effectif de 500 à 600 personnes en tout en Europe.
Selon le parquet, les prévenus ont économisé plusieurs millions d'euros de cotisations sociales en France.